Tewolde GebreMariam (Ethiopian Airlines) : « Nous voulons devenir un super-connecteur mondial »

Après des performances record en 2018, le pavillon éthiopien accélère son plan de développement tout en préparant l’ouverture de son capital, symbole du vent nouveau qui souffle sur le pays.

Tewolde GebreMariam, directeur général d’Ethiopian Airlines, répond fin novembre aux questions de JA dans la palmeraie d’un grand hôtel de Rabat lors de la cinquantième assemblée générale de l’Association des compagnies aériennes africaines (Afraa). le 27 novembre 2018.© M’HAMMED KILITO pour JA © M’HAMMED KILITO pour JA

Tewolde GebreMariam, directeur général d’Ethiopian Airlines, répond fin novembre aux questions de JA dans la palmeraie d’un grand hôtel de Rabat lors de la cinquantième assemblée générale de l’Association des compagnies aériennes africaines (Afraa). le 27 novembre 2018.© M’HAMMED KILITO pour JA © M’HAMMED KILITO pour JA

Rémy Darras © Francois Grivelet pour JA

Publié le 26 décembre 2018 Lecture : 7 minutes.

Serein, mesuré, réfléchi, Tewolde GebreMariam, directeur général d’Ethiopian Airlines (ET), répond fin novembre aux questions de JA dans la palmeraie de ce grand hôtel de Rabat où se tient la cinquantième assemblée générale de l’Association des compagnies aériennes africaines (Afraa). S’il esquisse bien quelques sourires, l’euphorie est loin de gagner le dirigeant d’une compagnie qui a pourtant pulvérisé tous ses records sur la période 2017-2018, tant au niveau du trafic (10,6 millions de passagers, + 21 %) que sur le plan des résultats financiers (2,75 milliards d’euros, + 43 %), avec 110 appareils à sa disposition.

Le transporteur éthiopien revient de loin : en 2010, il était quatrième en Afrique derrière Egyptair, Kenya Airways et South African Airways, autant de compagnies à la santé aujourd’hui guère florissante… En 2018, le hub d’Addis-Abeba a dépassé celui de Dubaï en ce qui concerne le volume de passagers en transit pour l’Afrique (+ 85 % depuis 2013). L’annonce de sa privatisation partielle a été l’un des symboles de la libéralisation économique décrétée cette année par le Premier ministre, Abiy Ahmed.

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Porté par une vision fondée sur la croissance continue du trafic sur le continent et la dynamique des échanges sino-­africains, ET souhaite passer à l’étape supérieure. La compagnie a pris des participations dans une dizaine de nouveaux pavillons nationaux sur le continent et travaille étroitement avec l’industrie aéronautique chinoise. Il lui faut se battre avec Emirates, Etihad, Turkish Airlines pour être enfin admis à l’échelle mondiale dans la cour des plus grands.

Si les populations et les économies de la Corne s’unissent, elles peuvent former un marché considérable pour les investisseurs asiatiques, européens et moyen-orientaux

Jeune Afrique : L’année fut riche en bouleversements en Éthiopie et dans la Corne de l’Afrique. Vous y ­attendiez-vous il y a un an ?

Tewolde GebreMariam : Les problèmes étaient là. Nous savions que des changements allaient intervenir, mais nous étions loin d’en imaginer l’envergure et la rapidité.

Que cela change-t-il pour vous ?

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La plupart de nos vols étaient obligés de passer par le Soudan, ce qui occasionnait de nombreux détours. Désormais, nous avons l’autorisation de survoler l’espace aérien érythréen. On économise une demi-heure de vol, donc beaucoup de carburant… L’économie éthiopienne va s’ouvrir de plus en plus aux investisseurs étrangers. Ethiopian sera une passerelle entre l’Érythrée, la Somalie et leurs diasporas.

Si les populations et les économies de la Corne s’unissent, elles peuvent former un marché considérable pour les investisseurs asiatiques, européens et moyen-orientaux. La sécurité en Somalie reste certes un défi, mais l’Éthiopie, grand pays agricole et industriel de 105 millions d’habitants, et ses voisins peuvent créer des synergies pour soutenir leurs importations et leurs exportations. Tout cela générera beaucoup de trafic passagers et fret.

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Le facteur de la réussite a été notre vision à long terme. Des millions de Chinois travaillent sur le continent aujourd’hui

Vous avez réalisé huit ans avant son terme les objectifs de votre plan Vision 2025 et travaillez déjà au plan Vision 2030. Quels en seront les contours ?

Quand on a lancé ce plan, en 2010, nombreux étaient les sceptiques, car notre économie était alors très sous-développée. Le facteur de la réussite a été notre vision à long terme. Des millions de Chinois travaillent sur le continent aujourd’hui. Nous avons été capables de nous positionner pour profiter au bon moment de la tendance des investissements chinois en Afrique, tout en maîtrisant nos coûts et en diversifiant nos activités. Nos managers sont des professionnels de l’aviation et non des politiques.

L’interventionnisme a causé la ruine de nombre de compagnies aériennes africaines. Il s’agit désormais d’intensifier notre croissance, avec une flotte étendue, davantage de destinations, de fréquences et de connectivité. Nous voulons devenir un super-connecteur, non seulement panafricain mais mondial. Aujourd’hui, nous sommes déjà un connecteur significatif entre, d’un côté, le Japon, la Corée et, de l’autre, le Brésil et l’Argentine. Nous développons de nouveaux segments le tourisme et l’hôtellerie.

Près de l’aéroport, nous disposerons d’un complexe hôtelier d’un millier de chambres, dont la première tranche a été ouverte en décembre. Du fait de notre alliance avec DHL, nous nous intégrons dans une chaîne de transport multimodale et souhaitons offrir le plus d’options logistiques possible au secteur manufacturier éthiopien.

Un Boeing 787 Ethiopians Airlines. © Elias Asmare/AP/SIPA

Un Boeing 787 Ethiopians Airlines. © Elias Asmare/AP/SIPA

Des compagnies aériennes chinoises pourront aussi devenir actionnaires

Comment avance votre processus de privatisation partielle ?

Elle est planifiée mais sera menée dans la durée. Certains grands pays africains comme l’Afrique du Sud, le Nigeria, le Kenya et le Ghana pourraient prendre des parts minoritaires.

Ne craignez-vous pas de recréer une sorte d’Air Afrique et d’être otage du politique ?

Non, Air Afrique était possédé par onze pays. Dans notre cas, le groupe est géré comme une entreprise privée. Les actions seront croisées.

La Chine est l’un de vos marchés phares. Une bonne partie de vos 66 avions en commande est destinée à la desservir. Des Chinois pourraient-ils entrer dans votre capital ?

Des compagnies aériennes chinoises pourront aussi devenir actionnaires. Par ailleurs, nous travaillons étroitement avec l’avionneur chinois Comac et surveillons l’avancée de leurs projets. Nous envoyons fréquemment nos ingénieurs à Shanghai. Comac souhaite livrer rapidement des appareils à China Eastern en 2021. Dès qu’ils seront prêts et certifiés, nous entamerons les négociations.

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La compétition sur le marché domestique ne constitue pas un enjeu pour nous, car ce n’est pas un segment profitable

Votre statut d’entreprise publique vous avantage. Ne craignez-vous pas de perdre votre protection ?

Notre marché est différent de celui du Kenya, du Maroc, de l’Afrique du Sud, de l’Égypte, de la Turquie, qui sont de grandes destinations touristiques. Le trafic depuis et vers le Maroc ou le Kenya est important. Alors que le trafic de point à point vers l’Éthiopie est faible : il représente moins de 1 million de passagers. Le transit représente 70 % à 75 % du trafic. C’est pourquoi il n’y a pas autant de compagnies à Addis-Abeba qu’à Nairobi ou à Johannesburg. La compétition sur le marché domestique ne constitue pas un enjeu pour nous, car ce n’est pas un segment profitable.

Vous avez pris des parts dans des compagnies au Tchad, en Guinée équatoriale, en Guinée, au Ghana… Est-ce que le trafic y est suffisant pour assurer la viabilité de ces transporteurs ?

Ce sont de petits marchés, mais ils sont en pleine croissance. Au Tchad, l’objectif est de constituer un hub entre l’Afrique de l’Ouest et le Moyen-Orient, en profitant du marché du hajj. Nous attendons la décision de Kinshasa pour entrer dans Congo Airways. Notre objectif consiste à créer des hubs qui permettent de desservir d’autres continents, comme on le fait à Lomé et à Abidjan vers le continent américain. Les petites compagnies qui n’ont ni le volume ni la taille critique peuvent tirer profit de notre réseau et de nos ressources pour réaliser des économies d’échelle.

Le marché régional reste limité à Lomé pour votre filiale Asky. Si vous aviez le choix, échangeriez-vous Asky contre Air Côte d’Ivoire ?

Air Côte d’Ivoire est déjà partenaire d’Air France. Asky a huit appareils et doit en recevoir deux supplémentaires. Il va démarrer des opérations vers Paris et la Chine. Nous souhaitons attirer du trafic d’Afrique de l’Ouest vers Addis et offrir le plus de choix possible, que ce soit en passant par Addis ou non. Si cela dépendait de nous, nous aurions voulu qu’Asky et Air Côte d’Ivoire travaillent ensemble. Lomé représente un petit marché, mais c’est un important marché de connexion.

Vous avez lancé en décembre Ethiopian Mozambique Airlines, dans un pays où il y a déjà LAM Mozambique et Fastjet. Cela ne crée-t-il pas de la surcapacité ?

Le gouvernement nous a sollicités car il estimait que ces deux compagnies ne suffisaient pas à répondre aux problèmes de connectivité aérienne.

Avez-vous envisagé un rapprochement avec Kenya Airways, en difficulté ?

[Sourire.] Nous discutons au niveau gouvernemental. C’est une possibilité, mais elle est délicate. Hélas, chaque pays tient à conserver sa propre compagnie.

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Nous gardons un œil sur le marché nigérian, qui reste très important pour nous

Pourquoi le partenariat avec Nigeria Air n’a-t-il pas abouti ?

Il n’y a pas eu de décision claire du côté du gouvernement, qui évalue beaucoup d’options. Il y a des élections en février. Nous gardons un œil sur le marché nigérian, qui reste très important pour nous.

Êtes-vous revenu sur votre décision de suspendre la livraison d’une vingtaine de Bombardier, dont le programme C-Series a été repris par Airbus sous le nom A220 ?

Non. Le chapitre est clos. Ce n’est plus le même avion. C’est un rebranding avec un nouveau propriétaire. Nous verrons comment Airbus le commercialisera.

Y aura-t-il plus d’Airbus dans votre flotte, surtout composée de Boeing ?

Il y aura plus de Boeing. Ce constructeur dispose d’une gamme d’appareils plus étendue.

Duel Éthiopie-Turquie dans le ciel africain

Selon les observateurs, c’est à celui qui additionnera le plus d’initiatives pour prendre le contrôle du ciel. Si les Éthiopiens prennent des parts tous azimuts dans des pavillons africains (souvent sans bourse délier, en mettant simplement des appareils à disposition), ils sont imités par les Turcs.

Ces derniers disposent déjà de Turkish Airlines, présent dans cinquante-quatre villes du continent, mais ils veulent aussi prendre position dans le domaine aéroportuaire, une manière d’avoir prise sur le trafic. Après avoir construit les aéroports de Dakar et du Caire, des groupes turcs se sont installés à Niamey et à Khartoum.

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