Tunisie : cinquante nuances de féminisme

En Tunisie, on peut être une femme de poigne tout en restant attachée aux valeurs de la famille. C’est ce que tentent de prouver des dirigeantes d’Ennahdha, qui se sont fait leur place dans le parti malgré les obstacles et prônent une égalité femme-homme, chacune à sa façon. Rencontre avec Farida Labidi, Sayida Ounissi et Mehrezia Labidi.

Des Tunisiennes tiennent une pancarte lors d’une manifestation pour demander l’égalité entre hommes et femmes à Tunis (Tunisie), le 10 mars 2018 (image d’illustration). © Hassene Dridi/STR/AP/SIPA

Des Tunisiennes tiennent une pancarte lors d’une manifestation pour demander l’égalité entre hommes et femmes à Tunis (Tunisie), le 10 mars 2018 (image d’illustration). © Hassene Dridi/STR/AP/SIPA

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Publié le 15 janvier 2019 Lecture : 3 minutes.

Des Tunisiennes voilées du drapeau national prient devant la mosquée Zitouna, à Tunis, le 8 août 2013. © Hassene Dridi / AP / SIPA
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Tunisie : être femme et islamiste

Le Parlement débattra prochainement d’un projet de loi instaurant l’égalité entre les sexes en matière de succession. Pour les cadres dirigeantes et les élues d’Ennahdha, ce sera l’heure de vérité.

Sommaire

Farida Labidi, député et membre du bureau exécutif

PortraitFaridaLabidi2013_01

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« Je n’aime pas ce mot de “féminisme”. Je défends des droits plus larges, ceux de la ­citoyenneté, les droits et ­libertés de l’Homme avec un grand H. » L’avocate n’exclut pas qu’une femme soit un jour élue présidente. En ­attendant, elle promeut les droits sociaux de ses concitoyennes et la parité en politique. Pour nombre de Tunisiens, elle reste celle qui a proposé – en vain – de graver « la complémentarité homme-femme » dans la Constitution. Beaucoup lui attribuent encore l’idée que l’égalité absolue n’existe pas.

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Elle s’en défend, rappelant que sa proposition concernait les rôles dans la famille : « Personne ne peut nier la complémentarité des rôles dans la famille et la société. Sinon, comment ­relever nos défis ? Avec tout mon travail, si je ne suis pas à la maison, mon mari prépare le repas, fait la ­vaisselle. Nous nous ­remplaçons mutuellement quand c’est nécessaire. » Concernant l’égalité dans l’héritage, c’est toujours non.

Sayida Ounissi, ministre de l’Emploi et de la Formation professionnelle

La députée d’Ennahdha Saïda Ounissi au Bardo, le 16 mars 2015. © Ons Abid pour JA

La députée d’Ennahdha Saïda Ounissi au Bardo, le 16 mars 2015. © Ons Abid pour JA

« Comme Ennahdha doit toujours montrer patte blanche en matière de droit des femmes, elle en fait deux fois plus que les autres ! » Sayida Ounissi l’assure : « C’est le meilleur parti en ce qui concerne l’évolution de carrière. Notre parole est prise en compte, et nous sommes respectées. » Cette fille de militant exilé, élevée en France, a connu une ascension fulgurante : revenue au pays en 2012, elle a été députée puis secrétaire d’État, avant d’être nommée ministre à 31 ans, quelques semaines après son accouchement.

Concilier référentiel religieux et égalité des genres ? « Une problématique très française », répète-t-elle. Étudiante en sciences politiques, elle avait rédigé une partie de sa thèse sur le féminisme islamique. Elle en est revenue. « Ici, je me rends compte que la question des droits des femmes est universelle, les identités sont plus fluides, nous ne sommes pas renvoyées à notre identité de musulmanes ni d’Arabes. »

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Selon elle, le référent religieux peut toutefois « être utilisé pour expliquer qu’il faut sortir de la tradition patriarcale, car, religieusement, il n’y a absolument aucune contre-indication ». Elle prône l’égalité, défend les droits économiques et sociaux des femmes, ainsi que leur non-subordination. En politique, elle souhaiterait voir les candidates davantage soutenues « dans des régions gagnables par leurs partis ».

>> A LIRE – Le féminisme islamique, un mouvement en expansion qui rejette le modèle occidental d’émancipation

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Mehrezia Labidi, Ex-vice-présidente de l’Assemblée constituante

Meherzia_Labidi_Maiza

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Fille d’un imam zitounien, la députée dit avoir été élevée dans un esprit d’égalité. Ancienne militante de l’UGTE (syndicat étudiant d’obédience islamiste) à Paris, ni ex-prisonnière ni « femme de », Mehrezia Labidi a su se faire une place dans le parti après la révolution. Et refuse de jouer les potiches : « Ils se seraient trompés sur toute la ligne s’ils avaient voulu faire de moi une vitrine. »

Elle mène « la protestation » dès 2012 pour réclamer des quotas de femmes dans les instances dirigeantes. « On n’est pas en politique pour faire la cuisine », tonne cette adepte du bon mot. Elle ne perçoit pas de « lutte » mais « un partenariat » entre femmes et hommes. Pour elle, ce qui compte, c’est la famille.

« Quand je voyageais, mon mari s’occupait des enfants sur ses RTT, clame l’ex-traductrice. Je suis dans le postféminisme. Je l’adopte avec ma sensibilité de croyante. » Elle rejette l’idée selon laquelle le conservatisme ­religieux serait au service d’un ordre établi : « Ceux qui se disent modernistes sont parfois les plus sclérosés. » Son foulard, elle le porte aussi à sa façon. Opposée au voile intégral, elle a écrit une lettre ouverte à ses consœurs à ce sujet. « La liberté doit primer, c’est une atteinte à la dignité quand il est imposé. »

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