Harry Roselmack : « Nous devons créer nos propres rôles »

Homme de télévision et symbole de la diversité, le quadragénaire s’attaque à son premier long-métrage, « Fractures », qui brosse le portrait d’une France profondément divisée.

Harry Roselmack (France), journaliste, presentateur du journal televise de TF1. A Paris, le 04.12.2018. © Vincent Fournier/JA

Harry Roselmack (France), journaliste, presentateur du journal televise de TF1. A Paris, le 04.12.2018. © Vincent Fournier/JA

leo_pajon

Publié le 23 janvier 2019 Lecture : 5 minutes.

On l’a longtemps vu devant les caméras de télévision, et il vient de passer – en force – derrière une caméra de cinéma. Harry Roselmack présente son film, Fractures, comme une « fable contemporaine » qui raconte le face-à-face improbable, sur un yacht, entre une escort-girl et un jihadiste aux visions du monde évidemment antinomiques.

Pour ce long-métrage, il a pratiquement coiffé toutes les casquettes : scénariste, réalisateur et même diffuseur, proposant le streaming payant de son œuvre sur un site web. Harry Roselmack, dont les parents sont tous deux martiniquais, personnifie encore, pour beaucoup de Français, la diversité. Il fut le premier homme noir à présenter, le 17 juillet 2006, Le Journal de 20 heures sur TF1.

Pour l’intégration des minorités

Engagé, entre autres, pour l’intégration des minorités dans les médias, il n’a jamais cessé d’arpenter le terrain à la faveur de documentaires – Harry Roselmack en immersion : « derrière les murs des cités », « avec les fondamentalistes musulmans » –, mais aussi, plus récemment, pour l’émission Sept à huit en allant à la rencontre des « gilets jaunes ». C’est pour décrire une France en morceaux qu’il a fait le choix de cet ambitieux – et risqué – pari cinématographique.

Jeune Afrique : Comment est née l’idée de Fractures ?

Harry Roselmack : Lors de la réalisation de mes documentaires. Durant les immersions que j’ai faites pour TF1 à la rencontre de SDF, de banlieusards, de paysans, de salafistes… j’ai découvert une France composée de nombreuses identités, très différentes les unes des autres. La question que je me suis posée était : comment peuvent-elles encore coexister ?

Si mon long-métrage est lucide, quelque part, c’est en rendant compte d’une société fracturée… mais la fracture y est plus identitaire que sociale

Vos personnages expriment tous, à leur manière, une radicalité. Le film rassemble un xénophobe, un jihadiste, une jeune femme qui décide de se prostituer pour échapper à la misère…

Et pourtant ils sont le reflet de personnes qui existent aujourd’hui dans notre pays, et que je n’ai pas caricaturées. Ce qui était improbable, c’était de les faire se rencontrer sur un yacht, le temps d’un huis clos, et de les faire dialoguer. C’est là que la fiction m’a servi.

La France a vécu ces dernières semaines des périodes de grande tension qui, d’une certaine manière, font écho à votre film.

Quand j’ai commencé à l’écrire, il y a trois ans et demi, je ne pensais évidemment pas que l’on assisterait à un épisode de type « gilets jaunes ». Si mon long-métrage est lucide, quelque part, c’est en rendant compte d’une société fracturée… mais la fracture y est plus identitaire que sociale. Mon film n’apporte certainement pas de solution toute faite, mais il donne des pistes : il faut rétablir le dialogue, essayer de se comprendre.

Lors de mes reportages, je suis allé à la rencontre d’une France protéiforme où tout le monde me disait : « On n’est pas écoutés ! On fait les choses d’en haut sans nous consulter. »


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Nous avons encore des problèmes en France… non pour montrer la diversité, mais pour la sortir d’un ghetto mental où les Noirs doivent jouer seulement certains types de rôles

Votre casting fait le pari de la diversité avec des acteurs d’origines très diverses. Est-ce que cette France-là est assez présente à votre goût sur les écrans ?

Non, car le cinéma aujourd’hui n’est pas piloté par des gens qui incarnent la diversité. Il y a énormément d’acteurs d’origine africaine, antillaise, asiatique… mais de producteurs et de réalisateurs ? Pour autant, lorsque j’ai fait les auditions, je ne me suis pas posé la question de la couleur de peau. Sauf pour le personnage du jihadiste – blanc –, car il me semblait important de montrer que le radicalisme religieux n’était pas une question d’origine, justement, mais de parcours personnel.

Comprenez-vous la colère des actrices noires qui s’est manifestée au dernier Festival de Cannes et dans Noire n’est pas mon métier, un livre publié aux éditions du Seuil ?

Oui, car nous avons encore des problèmes en France… non pour montrer la diversité, mais pour la sortir d’un ghetto mental où les Noirs doivent jouer seulement certains types de rôles. C’est d’autant plus frustrant que des productions anglo-saxonnes ont dépassé cela depuis longtemps. Je pense, par exemple, à Kenneth Branagh, qui a donné très tôt à Denzel Washington un rôle qui sortait du cadre habituel [celui de Don Pedro d’Aragon, en 1993, dans une adaptation de la pièce de Shakespeare Beaucoup de bruit pour rien].

En revanche, je pense qu’il ne suffit pas de se plaindre de ne pas avoir assez de rôles. Il faut les créer et produire, si nécessaire, soi-même ses films. Il faut continuer de défendre la diversité, car elle produit du débat, elle permet de dire et de montrer des choses différentes.

Je sais, de par mes origines, que l’on n’est pas obligés d’être les mêmes pour vivre ensemble

Vos parents sont d’origine martiniquaise. Avez-vous le sentiment que cela influe sur votre vision du monde ?

Oui. J’ai gardé un rapport fort à la Martinique, où je me rends régulièrement – mes parents, installés temporairement à Tours, sont aujourd’hui repartis sur place – et j’ai tissé des liens amicaux et professionnels.

Pour sa taille, l’île regroupe un nombre étonnant d’artistes et d’intellectuels inspirants : je pense à la réalisatrice
Euzhan Palcy, mais aussi, évidemment, à Aimé Césaire, à Frantz Fanon et à Édouard Glissant…

En quoi cela influe sur ma vision du monde ? Les créoles ont vu des extrêmes cohabiter, des maîtres vivre avec des esclaves. Je sais, de par mes origines, que l’on n’est pas obligés d’être les mêmes pour vivre ensemble.

Un film juste, mais un peu juste

On aurait aimé aimer… Difficile d’attaquer Harry Roselmack sur le fond de son film, qui pointe les lignes de faille d’une société française profondément divisée. On ne peut aussi que saluer le courage et la ténacité du journaliste, qui a pris en charge l’écriture, la réalisation, la diffusion, mais aussi la promotion d’un projet qui lui tenait à cœur.

Malheureusement, ce premier long-métrage peine à convaincre. Scénario peu crédible qui fait le pari d’un débat entre une prostituée et un jihadiste, dialogues bavards, réalisation répétitive s’appuyant de façon un peu systématique sur la caméra subjective… Le huis clos de Fractures tire un peu en longueur.

D’autant que, malheureusement, l’interprétation, inégale, ne vient pas relever l’ensemble. Gageons que, pour un prochain projet cinéma, le regard lucide de Roselmack sur ses contemporains sera mieux mis à profit.

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