Bénin : une majorité regonflée à bloc
À trois mois des élections législatives, le chef de l’État – et du gouvernement – bat le rappel de ses troupes. Il s’appuie sur deux nouvelles coalitions. Et pourrait tirer profit des hésitations de l’opposition.
Bénin : bilan d’étape pour Patrice Talon
État des lieux politique et socio-économique à mi-mandat, avant le test électoral des législatives, le 28 avril.
Trois chevaux montés par des hommes habillés à la façon des cavaliers wassangaris se cabrent violemment. Un danseur traditionnel, sur des échasses, amuse un groupe d’enfants médusés. Ce 8 décembre 2018, la ville de Parakou, à 400 km au nord de Cotonou, accueille le congrès constitutif du Bloc républicain, membre de la majorité présidentielle. Vêtu d’une ample tunique blanche et coiffé d’une toque verte, Abdoulaye Bio Tchané s’avance à la tribune. « J’ai la certitude que les conclusions de vos travaux permettront au Bloc de travailler inlassablement afin que, dès le soir des prochaines élections législatives, nous envoyions un message fort à tout le peuple béninois », lance le ministre d’État chargé du Plan et du Développement.
Fixées au 28 avril, ces élections feront date dans l’histoire récente du Bénin, avec l’application d’un nouveau code électoral et de la Charte des partis politiques. Adoptés en juillet 2018, ces deux nouveaux textes législatifs sont censés bouleverser le paysage politique. Leurs dispositions – par exemple, seules les formations ayant recueilli au moins 10 % des suffrages exprimés sur le plan national pourront siéger au Parlement – visent à favoriser la création de grands partis, aux assises nationales. La création du Bloc républicain en est la conséquence directe.
En première ligne
« Les effets du nouveau code électoral seront mis en évidence à l’occasion des élections législatives, pour lesquelles mon gouvernement jouera pleinement sa partition », a rappelé Patrice Talon dans son message sur l’état de la nation, prononcé le 27 décembre devant l’Assemblée nationale.
Investi en avril 2016, le chef de l’État tient particulièrement à ce scrutin. « Il est conscient qu’il lui serait difficile de gouverner si l’opposition venait à remporter la majorité des sièges. L’ancien président Thomas Boni Yayi dit souvent que ses ennuis ont débuté lorsque sa coalition a perdu le perchoir, en 2011 », explique l’un des proches de Patrice Talon. Lequel est plus que jamais en première ligne.
Depuis l’adoption du code électoral, l’ancien homme d’affaires a tout fait pour dessiner le nouveau visage de la majorité. C’est lui qui est à l’origine de la constitution des deux nouvelles coalitions soutenant son action – il avait même envisagé d’en créer trois –, le Bloc républicain et celui de l’Union progressiste.
Plus d’affinités avec le Bloc républicain
Coprésidé par le numéro deux du gouvernement, Abdoulaye Bio Tchané, et par les députés Jean-Michel Abimbola et Robert Gbian, le Bloc républicain regroupe une dizaine de partis. On y retrouve notamment le député Rachidi Gbadamassi, le maire de Parakou, Charles Toko, et le patron de presse Malick Gomina. Après plusieurs semaines de tergiversations, le Parti du renouveau démocratique (PRD, d’Adrien Houngbédji) a finalement refusé d’intégrer le Bloc. La formation du président de l’Assemblée nationale ira donc seule aux élections.
L’Union progressiste est également présidée par un trio constitué de Bruno Amoussou, vieux routier de la politique béninoise et ancien chef de l’Union fait la nation (UN), de Sacca Lafia, le ministre de l’Intérieur, ex-premier vice-président de l’Assemblée nationale, qui fut le directeur de campagne de Patrice Talon en 2016, et d’Abraham Zinzindohoué, président de l’une des deux branches de la Renaissance du Bénin (RB).
Une dizaine de partis ont accepté de rejoindre cette formation, contrairement à l’Union démocratique pour un Bénin nouveau (UDBN), de la députée Claudine Prudencio, qui reste pourtant proche de la mouvance présidentielle. Très impliqué dans la construction de ces deux coalitions, Patrice Talon reçoit régulièrement leurs principaux animateurs, même s’il donne l’impression d’avoir plus d’affinités avec le Bloc républicain.
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Sentiment de frustration
Qu’en est-il de l’opposition ? Elle semble aujourd’hui affaiblie. Ses acteurs comptent malgré tout s’appuyer sur le sentiment de frustration qui semble s’être emparé d’une partie des Béninois. En avril 2018, Sébastien Ajavon, les anciens présidents Nicéphore Soglo et Thomas Boni Yayi, des personnalités comme Albert Tévoédjrè ainsi que quelques ténors des Forces cauris pour un Bénin émergent (FCBE) et du Parti communiste du Bénin s’étaient réunis à Djeffa, à quelques kilomètres de Cotonou, annonçant leur intention de faire front commun aux législatives.
Depuis, aucun accord n’a été entériné et, si la situation a évolué, les chances de voir émerger une liste unique de l’opposition sont quasi nulles. Le 16 janvier, Nicéphore Soglo et Boni Yayi ont annoncé la mise en place d’une liste commune à laquelle participera Éric Houndété, vice-président de l’Assemblée nationale. Néanmoins, les négociations avec Sébastien Ajavon n’ont pour le moment pas abouti. Installé à Paris depuis sa condamnation à Cotonou, en octobre 2018, à vingt ans de prison, Sébastien Ajavon, qui dirige l’Union sociale libérale (USL), tente de demeurer un acteur majeur de l’opposition. Il a multiplié les tractations, notamment avec Boni Yayi.
Cependant, les deux hommes n’ont pas réussi à s’entendre sur les contours d’une liste commune, et il est aujourd’hui probable qu’ils iront chacun de leur côté aux élections. « Yayi estime que les FCBE doivent être la clé de voûte de la coalition de l’opposition, que leur logo doit prévaloir sur celui des autres partis. Le problème est qu’Ajavon tient trop à sa formation pour accepter cela », explique un observateur.
L’enjeu des législatives
Sébastien Ajavon en exil, les conseillers de l’ancien président estiment que Boni Yayi est aujourd’hui en position de force. Toujours très populaire dans le Nord, ce dernier multiplie les déplacements sur le terrain. Il n’a en revanche toujours pas annoncé s’il serait candidat à ces élections. « Un jour, il dit oui, l’autre non. Sans doute attend-il de savoir si le rapport de force lui sera favorable », estime l’un de ses proches.
Enfin, le positionnement de Candide Azannaï, ex-ministre délégué à la Défense et ancien ami du chef de l’État, reste un mystère. Après sa démission du gouvernement à la fin de mars 2017, cet ancien pilier du système Talon s’était un temps rapproché de Boni Yayi, mais il ne s’est jamais affiché avec les autres ténors de l’opposition. Il s’exprime très rarement et les récentes déclarations des lieutenants de son parti, Restaurer l’espoir, très critiques envers les leaders en exil, ont semé le trouble.
L’enjeu est de taille. Si l’opposition parvient finalement à présenter une seule liste aux législatives, elle pourrait évidemment fragiliser l’exécutif. Dans le cas contraire, pourra-t-elle à empêcher le président Talon de s’offrir une nouvelle majorité ?
VIP en exil
Au Bénin, il ne fait pas bon s’opposer au président Patrice Talon. Outre Sébastien Ajavon, plusieurs pourfendeurs de l’ancien roi du coton ont quitté leur pays pour éviter d’avoir à répondre aux convocations d’une justice qu’ils estiment inféodée au pouvoir. De leur côté, les autorités démentent toute instrumentalisation politique et mettent en avant leur volonté de mener une lutte impitoyable contre la corruption et la mal-gouvernance.
Accusé de trafic de drogue, Sébastien Ajavon a été condamné à vingt ans de prison par la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (Criet, juridiction créée en août 2018) et vit désormais principalement à Paris. L’ex-homme d’affaires y a retrouvé Léhady Soglo. Le fils de l’ancien président béninois, dépossédé successivement de son poste de président de la Renaissance du Bénin (RB) et de celui de maire de Cotonou pour « fautes lourdes », est visé par trois mandats d’arrêt internationaux.
Autre opposant de marque, Komi Koutché est également sous le coup d’un mandat d’arrêt international dans un dossier lié à sa gestion du Fonds national de la microfinance lorsqu’il en était le patron. L’ex-ministre d’État chargé de l’Économie et des Programmes de dénationalisation dans le gouvernement de Boni Yayi a été interpellé à Madrid, le 14 décembre, par la police espagnole. Après avoir repris des études aux États-Unis, l’ancien grand argentier comptait faire son retour sur la scène politique. Réussira-t-il à échapper à une extradition vers Cotonou ?
Nouveau code
Les législatives sont organisées selon un scrutin de liste à la représentation proportionnelle, à un seul tour. 83 sièges sont à pourvoir pour un mandat de 4 ans. Chaque liste doit comporter un nombre de candidats égal à celui des sièges à pourvoir et un suppléant pour chaque candidat.
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