Banque : pourquoi NSIA ne panique pas malgré des résultats décevants
Alors que le groupe ivoirien de bancassurance connaît une sévère baisse de régime, son fondateur, Jean Kacou Diagou, revient sur le devant de la scène. Il assure que la gouvernance a été renforcée et défend sa stratégie.
L’année 2018 aurait dû être triomphale pour NSIA. Les douze mois précédents, l’entreprise fondée en 1995 par Jean Kacou Diagou (JKD) avait franchi à une vitesse folle plusieurs étapes clés dans son ambition de devenir un véritable groupe de bancassurance. En novembre 2017, sous la houlette de sa directrice générale, Janine Kacou Diagou, le groupe a racheté pour 61 millions d’euros les actifs francophones du nigérian Diamond Bank. Cette opération l’a propulsé au sixième rang dans la zone Umoa, avec 5,5 % du marché, devant Coris Bank, Oragroup et BNP Paribas.
Quatre mois auparavant, sa principale filiale, NSIA Banque Côte d’Ivoire, avait sonné la place d’Abidjan en mobilisant 36 milliards de F CFA (54,9 millions d’euros) en quelques heures pour son introduction en Bourse. À la mi-mai, le géant Swiss Re avait déboursé 100 millions d’euros pour acquérir un peu moins de 30 % de Manzi Finances, holding de la famille Diagou. Ce dernier détient deux tiers de NSIA Participations, maison mère de 29 sociétés de banques, d’assurances, de finance et de technologie. Plus récemment, en juillet 2018, le groupe a décroché un accord inédit avec le français Orange pour fournir des services financiers.
La crise est derrière nous. Nous avons rehaussé nos exigences de garanties et renforcé nos liens avec les régulateurs agricoles en Côte d’Ivoire
Malgré ces avancées, NSIA a pourtant passé la seconde moitié de 2018 sur la défensive. NSIA Banque Côte d’Ivoire et Diamond Bank Côte d’Ivoire ont été durement frappés par la faillite, en octobre, du négociant SAF Cacao, à hauteur respectivement de 24,5 milliards et de 8 milliards de F CFA. Le groupe est le plus exposé des créanciers de l’entreprise ivoirienne, devant BGFIBank et Ecobank. Une fraude sur les cartes de paiement lui a par ailleurs causé un préjudice de 1,2 milliard de F CFA. Pour ne rien arranger, NSIA Banque CI a cédé un tiers de sa valeur à la Bourse régionale des valeurs mobilières (BVRM), à Abidjan. Au début de 2019, le titre a été retiré de l’indice phare BRVM-10.
Coup dur inédit
Face à cette tempête, JKD a pris la parole fin octobre. Dans une interview donnée au quotidien ivoirien Fraternité Matin, le septuagénaire a fustigé la surévaluation du coût réel de la fraude et de la faillite de SAF Cacao, insisté sur le récent renforcement des processus de décision et vanté la solidité du groupe. « La crise est derrière nous. Nous avons rehaussé nos exigences de garanties et renforcé nos liens avec les régulateurs agricoles en Côte d’Ivoire », déclare-t-il à Jeune Afrique.
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Les critiques demeurent pourtant. La progression historique de NSIA – dont le bilan a décuplé en vingt ans – est questionnée avec d’autant plus de vigueur que son fondateur avait semblé prendre du recul ces dernières années au profit de ses enfants. Sa fille, Janine Kacou Diagou, a notamment contribué, en 2015, à l’arrivée de Banque nationale du Canada au capital de NSIA Participations et, en 2017, aux négociations avec Swiss Re. Et elle a surtout piloté l’acquisition des actifs de Diamond Bank dans l’Uemoa.
Reste que le résultat net 2018 de NSIA Banque CI sera durement affecté, au moins du point de vue comptable, concède JKD. C’est un coup dur inédit pour le groupe. Cette filiale représente 30 % des revenus de NSIA Participations et a engrangé, en moyenne, 17 milliards de F CFA de bénéfices par an entre 2015 et 2017, de loin la meilleure performance du groupe.
Sanctions
Pour bien des détracteurs, la mauvaise séquence de 2018 est venue confirmer leurs doutes sur le pilotage opérationnel de NSIA. « La fraude sur les cartes, en 2018, est une réplique de celle qui avait coûté 400 millions de F CFA en 2010. Comment expliquer que cette faille n’ait pas été résolue depuis ? » peste un ancien cadre de la banque. Sur la faillite de SAF Cacao, un investisseur ouest-africain s’interroge : « Comment a-t-on pu autant exposer la banque à un seul client ? »
Ces reproches exaspèrent la direction de NSIA. « Des sanctions ont été prises contre les managers responsables », assure JKD. « Nous avons été injustement ciblés, alors que douze établissements – dont deux banques internationales – ont subi la faillite de SAF Cacao », ajoute Léonce Yacé, DG de la banque ivoirienne, interrogé par JA. La banque estime avoir été réactive, en provisionnant agressivement les créances de SAF Cacao et en renforçant sa sécurité et ses systèmes informatiques : un responsable a été recruté, et une convention d’assistance a été signée avec le marocain DataProtect, spécialiste de la cybersécurité.
Enfin, le manager ivoirien, également administrateur de NSIA Banque Bénin (ex-Diamond Bank SA), pointe la rapidité d’absorption des actifs rachetés fin 2017. Le changement de dénomination a été réalisé au Bénin, au Togo et au Sénégal, selon le calendrier réglementaire. De nouveaux dirigeants ont été nommés à Cotonou et à Abidjan.
2019, une année d’ores et déjà décisive
De fait, l’année 2019 s’annonce décisive pour le groupe familial. L’absorption de Diamond Bank Côte d’Ivoire par NSIA Banque CI – qui doit encore être approuvée, en juin, par l’assemblée générale des actionnaires – doit permettre à NSIA de basculer dans le top cinq des banques ivoiriennes. Le groupe familial doit également boucler – en principe – avant le délai réglementaire du 31 mai 2019, le renflouement de ses filiales d’assurances, pour atteindre le capital minimum de 3 milliards de F CFA. Cela représente, selon nos estimations, un investissement d’environ 20 milliards de F CFA.
Plus largement, l’intégration réussie des ex-filiales de Diamond Bank permettra de proposer des produits d’assurance aux clients (sur les emprunts contractés, l’immobilier, l’automobile…). Elle est importante pour donner un nouveau souffle au groupe, présent dans douze pays africains.
Les critiques de NSIA rappellent volontiers, en effet, que ses performances éclatantes en Côte d’Ivoire masquent les résultats ternes, voire décevants, des autres filiales. Les revenus de NSIA Participations ont certes doublé à plus de 200 milliards de F CFA entre 2010 et 2017. Mais cette progression est due pour plus de 40 % uniquement à NSIA Banque Côte d’Ivoire et à NSIA Vie Côte d’Ivoire. Elles sont d’ailleurs les seules des dix premières sociétés du groupe avec des revenus régulièrement en hausse depuis le milieu de la décennie, les autres n’enregistrant au mieux qu’une croissance en dents de scie, ou un net recul, notamment en Afrique centrale.
Des revenus en forte baisse au Gabon et au Congo
En trois ans, les revenus des filiales non-vie au Gabon et au Congo ont baissé de respectivement 60 % et 30 %. Les primes émises par NSIA Assurances Côte d’Ivoire (non-vie) sont tombées en 2017 à leur plus faible niveau depuis cinq ans. Les filiales non-vie au Gabon, au Congo, au Sénégal et au Togo affichaient, à la fin de 2016, une perte combinée supérieure à 11 milliards de F CFA.
Pour NSIA, les performances des filiales d’assurance sont la conséquence d’un bras de fer engagé avec les courtiers internationaux après que le groupe a souhaité renégocier ses contrats d’assurance santé. NSIA estime qu’en mesure de rétorsion ceux-ci ont résilié l’ensemble des contrats attenants, y compris les « gros risques industriels » (grandes entreprises, projets d’infrastructures, etc.). « Nous avons repris langue avec eux et espérons nouer de nouvelles relations sur des bases saines », assure JKD.
Une autre source, éludant la brouille avec les courtiers, insiste plutôt sur l’intérêt d’explorer plus avant le marché des particuliers et des PME, avec des produits standardisés, faciles à vendre. « C’est assez cohérent, et on le ressent sur le terrain. NSIA se concentre sur la banque, le retail, l’assurance des particuliers. D’où le partenariat conclu avec Orange en juillet 2018 pour distribuer de la banque et de l’assurance », décrypte un courtier européen interrogé par JA. À l’actif de NSIA, il faut noter que ses filiales affichent des ratios sinistres/primes plus faibles que ses pairs, signe d’une rentabilité mieux calibrée, dans plusieurs gros marchés (Côte d’Ivoire, Gabon, Sénégal, Bénin, Togo). NSIA Assurances devrait connaître des résultats 2018 supérieurs à ceux de 2017, selon nos informations.
Une direction rajeunie et féminisée
« La rentabilité reste notre maître mot sur l’ensemble des métiers », affirme JKD. Or la qualité des actifs de Diamond Bank rachetés par NSIA ne fait pas l’unanimité. En 2017, leur bilan combiné au Bénin, au Sénégal, au Togo et en Côte d’Ivoire a reculé de 16 % à 859 milliards de F CFA, contre une hausse moyenne de 8,6 % dans la sous-région, selon nos estimations. « Nous avons commencé à faire le ménage dans notre portefeuille de prêts, restructuré la direction, dégraissé et mis à niveau les effectifs. Nous sommes en ordre de bataille pour aller de l’avant », martèle JKD.
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« Il est plus facile de réaliser une success-story avec un seul gros actif bancaire. Mais c’est une autre paire de manches lorsqu’il s’agit d’une présence dans cinq pays », prévient un actionnaire de NSIA Banque Côte d’Ivoire. La direction du groupe, fortement rajeunie et féminisée ces dernières années, compte il est vrai peu de managers ayant une longue expérience bancaire internationale. « Les RH dans nos pays ne sont pas aussi prolifiques qu’en Occident », regrette JKD.
Pourtant, plusieurs poids lourds du métier ont été écartés – sans aucune explication publique – ces dernières années. C’est le cas de Philippe Attobra, longtemps DG en Côte d’Ivoire et un temps pressenti pour diriger le nouveau pôle bancaire, qui a été débarqué à la fin de 2017, en même temps que Séverin Anguilé, longtemps cadre puis DG de NSIA Assurances Gabon.
Reprise en main temporaire
Au demeurant, les relations avec Banque nationale du Canada (BNC), entré au capital de NSIA Participations en 2015, restent tendues. Le colosse de Montréal avait peu apprécié l’arrivée de Swiss Re au capital de Manzi Finances. La manœuvre a permis au groupe familial de contourner l’opposition ferme de BNC à ses plans d’expansion, mais a créé un fossé difficile à combler entre les deux partenaires.
« Il est normal qu’il y ait des frictions, mais il n’y a pas péril en la demeure », estime malgré tout JKD. Le fondateur de NSIA a néanmoins décidé de reprendre les rênes pour gérer ce début d’année difficile, alors qu’on pensait la passation du leadership à sa fille déjà bien entamée.
Interrogé sur la durée de cette transition, JKD botte en touche et pointe le nécessaire travail de préparation. Ses soutiens louent d’ailleurs le soin apporté par Jean Kacou Diagou à faire monter progressivement en responsabilité les représentants de la famille au sein des structures exécutives : tous diplômés de grandes écoles internationales (USA, Royaume-Uni, Canada…), ils affichent dix à quinze ans ou plus d’expérience dans leurs secteurs respectifs.
« Allons vite, mais sans précipitation. Ce groupe a été construit brique par brique. Je veux être sûr que le flambeau est bien passé. Un beau matin, vous serez surpris », lâche, un brin mystérieux, le fondateur de NSIA.
Un groupe familial
À l’instar de Janine Kacou Diagou, titulaire d’un master en finance de Middlesex University (R.-U.) et qui occupe les postes de directrice générale du groupe et directrice générale adjointe (intérim) du pôle banque-finance et autres métiers, les enfants de Jean Kacou Diagou occupent des fonctions clés.
On trouve ainsi, au poste de directrice générale adjointe du groupe, pôle assurances, Mansan Dominique Diagou Ehilé (titulaire d’un MBA de Bryant University (États-Unis).
De son côté, Ange Diagou, ancien d’Etisalat et de Teyliom Group, titulaire d’un master en technologies de l’information de l’École de technologie supérieure (Canada) est directeur général de NSIA Technologies, tandis que Franck Olivier Diagou (titulaire d’un MBA en finance de Butler University, aux États-Unis) est chargé d’affaires grandes entreprises pour NSIA Banque Côte d’Ivoire.
Mais le fondateur de NSIA s’appuie aussi sur des compagnons de route tels que Bernard N’Doumi, ancien directeur de la Caisse nationale de protection sociale, administrateur de plusieurs sociétés du groupe NSIA, Marcel Kodjo, ancien directeur général de la BIAO et d’Air Afrique et administrateur de NSIA Banque Côte d’Ivoire ou encore Béné Boèvi Lawson ex-directeur général de la branche assurances de NSIA, administrateur de NSIA Banque Côte d’Ivoire.
Une prise de choix
Enfin, en mai 2018, l’assemblée générale de NSIA Banque Côte d’Ivoire a approuvé la nomination, comme administrateur, du haut fonctionnaire français Christian Noyer (68 ans), ancien gouverneur de la Banque de France.
Technocrate et homme de réseaux, cet énarque a présidé le Club de Paris (qui regroupe les pays créanciers des États africains) et siégé aux conseils d’administration de Suez, Société générale, Air France et EDF. Il a également obtenu une dérogation de nationalité pour rejoindre le conseil d’administration de l’ex-Diamond Bank Bénin.
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