Bénin – Mathieu Adjovi (AIC) : « Quand le coton va, tout va »

De la production à l’égrenage, rien ne se fait dans le coton sans l’Association interprofessionnelle du coton (AIC). Son président, Mathieu Adjovi, dont la très grande proximité avec Patrice Talon n’est un secret pour personne, ne cache pas sa fierté au regard du bilan des trois dernières campagnes cotonnières. Et il y a de quoi.

Au port de Cotonou. © Jean-Claude MOSCHETTI/REA

Au port de Cotonou. © Jean-Claude MOSCHETTI/REA

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Publié le 24 janvier 2019 Lecture : 7 minutes.

Attade Gantoli, un fermier qui cultive du coton biologique au Bénin © Andrew Esiebo/PANOS-REA
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Bénin : bilan d’étape pour Patrice Talon

État des lieux politique et socio-économique à mi-mandat, avant le test électoral des législatives, le 28 avril.

Sommaire

Il est l’homme clé d’une filière qui enchaîne les records. Mathieu Adjovi, 64 ans, préside l’Association interprofessionnelle du coton (AIC). Cette structure réunissant producteurs, égreneurs et distributeurs d’intrants a été remise sur les rails par Patrice Talon dans la foulée de son arrivée au pouvoir, en avril 2016, et gère de nouveau la filière. Intrants, prix d’achat aux producteurs, agrément de nouvelles lignes de production…

Entre les campagnes 2015-2016 et 2017-2018, la production de coton-graine du Bénin a presque doublé, la superficie emblavée est passée de moins de 307 000 ha à plus de 530 000 ha, et la filière, après avoir été secouée par une crise profonde pendant près de dix ans, est en passe de prendre le dessus sur sa voisine burkinabè.

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Jeune Afrique : Quelles sont vos prévisions pour la campagne 2018-2019 ?

Mathieu Adjovi : Nous attendons une production de l’ordre de 700 000 tonnes de coton-graine pour la campagne en cours. Alors qu’avant l’élection de Talon la récolte était à peine de 300 000 t, dès la campagne 2016-2017, nous sommes passés à une production de près de 452 000 t. Et la production a atteint 598 000 t lors de la campagne suivante, en 2017-2018 !

La production béninoise pourrait-elle bientôt dépasser celle du Burkina Faso ?

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Absolument. Surtout si le Burkina plafonne à 750 000 t/an de coton-graine. Nous envisageons en effet d’atteindre 800 000 t pour la campagne 2019-2020 et 1 million de tonnes dans deux ou trois ans.

Les 19 usines d’égrenage du pays sont actuellement en capacité de traiter 600 000 t de coton-graine. Que va-t-il advenir du surplus ?

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Nous avons la possibilité de faire stocker le surplus à proximité de pratiquement toutes les usines d’égrenage, afin de pouvoir traiter l’intégralité de la production. Par ailleurs, un nouvel opérateur va entrer en lice : nous avons lancé une consultation, et un investisseur italien s’est présenté. Mais les discussions étant en cours, je préfère ne pas dévoiler son nom pour le moment. L’État et l’AIC doivent donner leur accord, de façon à ce que les nouvelles capacités d’égrenage entrent en exploitation d’ici à 2020.

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Et qu’en est-il de la nouvelle unité agréée en juin 2018 ?

La nouvelle usine d’égrenage qui est en construction à Kérou [Nord], en plein cœur du bassin cotonnier, est l’extension d’une ligne qui appartient au groupe Sodeco [Société pour le développement du coton]. Elle devrait être opérationnelle pour la campagne 2019-2020.

Qu’est-ce qui a permis à la filière d’être relancée si solidement ?

C’est sa meilleure organisation, en ce qui concerne la fourniture d’intrants – de bonne qualité et, surtout, à temps –, ainsi que l’encadrement des producteurs. C’est aussi le paiement à bonne date de ces derniers. Nous avons également mis en place une politique d’amélioration des rendements à l’hectare et sommes passés de 900 kg/ha à 1,12 t/ha.

Le fait que Patrice Talon ait été un magnat du coton change évidemment la donne…

Il connaît les problèmes des acteurs du secteur, il a su les accompagner, les conseiller et donner une vision de ce que l’État peut apporter à la filière, qui est entièrement privée. Mais à côté du coton, il y a d’autres cultures qui, elles, dépendent de l’engagement de l’État. Quand le coton se porte bien, les autres cultures aussi.

Et depuis que le président Talon est arrivé au pouvoir, nous avons décidé d’apporter des intrants vivriers et de les mettre à la disposition des producteurs d’or blanc pour qu’ils cultivent à la fois du coton et du vivrier. Cela a été vraiment important, car cela permet d’assurer la culture de rente tout en assurant la subsistance.

Il n’y a aucune ingérence directe du président Talon dans les dossiers critiques

Quelles actions ont été engagées pour éviter que le chef de l’État ne se trouve en position de conflit d’intérêts ?

Le président Talon a travaillé une partie de sa vie dans la filière, mais il l’a quittée. Il a énormément pesé sur les réformes conduites, mais je ne vois pas pourquoi on pourrait parler de conflit d’intérêts puisque ceux qu’il avait dans la filière ont été cédés à sa famille ou à d’autres personnes.

Aujourd’hui, le secteur peut parfaitement bien fonctionner sans qu’il intervienne directement en tant qu’acteur privé. Et il n’y a aucune ingérence directe du président Talon dans les dossiers critiques, c’est-à-dire l’importation d’intrants, l’encadrement des producteurs, les agréments concernant l’égrenage, l’extension des lignes de production, etc.

Le secteur sort d’une période difficile sur le plan économique, mais aussi sur le plan structurel et judiciaire. Cette page est-elle tournée ?

De 2012 à 2016, l’État a mis fin au fonctionnement de l’AIC et exercé toutes ses fonctions à son profit, sans connaître le métier. Les ministres choisis par le chef de l’État se sont occupés de toute la chaîne, et cela a été la porte ouverte à tout… Lorsque nous sommes arrivés aux responsabilités, le chef de l’État a restitué à l’AIC la totalité de ses prérogatives. À sa demande, l’AIC a avancé les fonds pour combler les 30 milliards à 40 milliards de F CFA [de 46 millions à 61 millions d’euros] de dettes que nous avons trouvés en arrivant. Désormais, les choses sont plus fluides.

Que la Sodeco fournisse tous les intrants ne me choque pas

Vous siégez au conseil d’administration de la Sodeco, qui possède 80 % des capacités d’égrenage du pays. Elle a été la seule à répondre à l’appel d’offres pour l’importation d’intrants, trois campagnes de suite. N’y a-t-il pas un risque de monopole ?

Tout d’abord, je suis l’un des administrateurs de la Sodeco parce que je suis égreneur et que l’une de mes sociétés fait partie du groupe Sodeco. Je n’y siège pas en qualité de président de l’AIC. Lorsque le président Talon est arrivé au pouvoir, le 6 avril 2016, il n’y avait pratiquement aucun intrant sur place. Or les producteurs en avaient besoin au plus tard en mai. Il y avait urgence. Il a demandé à la Sodeco d’intervenir.

Ensuite, nous avons lancé un appel d’offres international et, à tort ou à raison, personne ne s’est manifesté. Que la Sodeco fournisse tous les intrants ne me choque donc pas. En outre, c’est un avantage, car la Sodeco est intéressée à la qualité de la production. Et nous n’avons pas augmenté le prix des intrants depuis 2016.

Quels sont les prix d’achat du coton-graine aux producteurs pour la campagne 2018-2019 ? Quels sont les critères qui les déterminent ?

Nous payons le meilleur prix dans la sous-région. Lors de la campagne 2017-2018, le prix payé aux producteurs était de 260 000 F CFA/t. Pour la campagne en cours, nous le payons 265 000 F CFA/t, là où l’égreneur paie 280 000 F CFA [le différentiel sert à financer l’AIC]. Il y a un mécanisme de calcul très complexe dans lequel nous intégrons les intrants, la main-d’œuvre, le cours du coton-fibre et l’évolution du dollar.

Le Bénin a l’avantage d’être voisin du Nigeria et de ses 200 millions d’habitants. Il n’y a pas de doute : le marché est là

Beaucoup d’observateurs estiment que, face à la concurrence asiatique, il est impossible pour la filière coton béninoise de se lancer dans l’industrie textile. Êtes-vous d’accord ?

Nous sommes confrontés à la petitesse des marchés. Un industriel ne doit pas s’installer au Bénin pour produire pour le pays ou pour la sous-région, il doit s’y installer en ayant pour objectif d’exporter.

Dans un contexte d’ultra-concurrence, où les marchés ne sont pas protégés, n’est-ce pas un vœu pieux ?

Pas du tout. Le président Talon a pris contact avec des industriels asiatiques qui ont l’habitude d’exporter vers l’Afrique. Il leur propose de venir installer leurs usines ici, chez nous, et de produire du fil coton pour l’exportation. Le Bénin a l’avantage d’être voisin du Nigeria et de ses 200 millions d’habitants. Il n’y a pas de doute : le marché est là.

Reprise en main

Dès le lendemain de son investiture, le président Patrice Talon prend plusieurs mesures visant l’industrie du coton, un secteur dans lequel il a fait fortune (on le surnommait « le roi du coton ») et qui fut l’un des principaux facteurs de tensions avec son prédécesseur, Thomas Boni Yayi.

Le 11 avril 2016, le gouvernement met fin aux réquisitions des usines d’égrenage de la Société pour le développement du coton (Sodeco). Son actionnaire majoritaire, Patrice Talon, en confie les postes de direction à des proches. Il est demandé au directeur général de la Société nationale pour la promotion agricole (Sonapra) de « régler les redevances » de ces réquisitions, soit 12 milliards de F CFA (près de 17,7 millions d’euros). Dès le 28 avril 2016, le secteur est « re-libéralisé »,

et l’AIC est rétablie dans ses fonctions – l’accord-cadre qui déléguait la gestion de la filière au secteur privé via l’AIC avait été annulé en avril 2012 à la suite d’accusations de malversations.

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