Maroc-Mauritanie : à l’heure du grand dégel

Gestes diplomatiques réciproques, échanges de visites au plus haut niveau, forum d’affaires… Amorcé il y a un an, le réchauffement des relations entre les deux États est désormais une réalité.

Le chef du gouvernement marocain, Saadeddine El Othmani (à g.), accueilli par son homologue mauritanien Mohamed Salem Ould Béchir, le 6 décembre 2018, à Nouakchott. © AMI

Le chef du gouvernement marocain, Saadeddine El Othmani (à g.), accueilli par son homologue mauritanien Mohamed Salem Ould Béchir, le 6 décembre 2018, à Nouakchott. © AMI

fahhd iraqi

Publié le 29 janvier 2019 Lecture : 5 minutes.

Des retrouvailles, et en grande pompe ! Mi-janvier, c’est tout le gotha des voyagistes mauritaniens qui s’est retrouvé à Nouakchott, pour un dîner organisé par la Royal Air Maroc (RAM). La compagnie, qui avait dépêché sur place son délégué ­général pour l’Afrique, Ahmed Benarbia, en a profité pour distribuer des trophées à ses meilleurs partenaires mauritaniens.

Au milieu de la centaine d’invités, l’ambassadeur du Maroc, Hamid Chabar, nommé en juin 2017 et qui a finalement pu présenter ses lettres de créance au président Mohamed Ould Abdelaziz en juin 2018. Un signe, un de plus, du ­réchauffement, ces derniers mois, des relations entre les deux pays.

Satisfaire la requête de Nouakchott fut un pas important dans la réconciliation

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Nouveau chapitre

Au terme du second et – théoriquement dernier mandat d’Ould Abdelaziz, le Maroc semble déterminé à ouvrir un nouveau chapitre avec la Mauritanie sur les ­meilleures bases possible. « C’est un secret de polichinelle, l’affaire Bouamatou empoisonnait depuis de nombreuses années les relations entre Rabat et Nouakchott, explique un ancien ­diplomate marocain. Satisfaire la requête de Nouakchott fut un pas important dans la réconciliation. »

Le plus célèbre opposant au président Aziz, Mohamed Ould Bouamatou, vivait expatrié à Marrakech depuis 2011. Le 20 décembre dernier, dans la nuit, le ministère marocain des Affaires étrangères lui a fermement signifié par un communiqué qu’il était désormais indésirable : « Le royaume du Maroc […] ne ­permettra en aucune manière que son territoire soit exploité afin de porter atteinte à la stabilité de la Mauritanie ou de s’attaquer à ses institutions suprêmes. »

Le président mauritanien Mohamed Ould Abdelaziz à Nouakchott, le 2 juillet 2018. © Ludovic Marin/AP/SIPA

Le président mauritanien Mohamed Ould Abdelaziz à Nouakchott, le 2 juillet 2018. © Ludovic Marin/AP/SIPA

C’est que, pour le royaume, la Mauritanie compte désormais plus que jamais dans l’épineuse affaire du Sahara. Dans les pourparlers engagés en décembre dernier par l’envoyé personnel du secrétaire général de l’ONU, Horst Köhler, la distinction onusienne classique entre « parties intéressées » (Algérie et Mauritanie) et « parties au conflit » (Maroc et Polisario) a été mise entre parenthèses, ce que Nouakchott a accepté de bonne grâce.

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard de calendrier si Nasser Bourita s’est rendu en Mauritanie, au lendemain de l’annonce de la tenue des pourparlers à Genève, pour remettre à Aziz, outre sa lettre d’invitation, une missive de Mohammed VI. Selon nos informations, l’ensemble de cet entretien a tourné autour de la question du Sahara.

Ismaïl Ould Cheikh Ahmed comprend bien que son pays, comme l’Algérie, fait partie du conflit et donc de sa solution

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Sentiment de trahison

« Au cours de la table ronde de Genève, Ismaïl Ould Cheikh Ahmed, le ­nouveau ministre des Affaires étrangères mauritanien, a fait preuve d’une attitude ­positive, confie un proche du département ­marocain des Affaires étrangères. Il comprend bien que son pays, comme l’Algérie, fait partie du conflit et donc de sa solution. »

Quand bien même cette position de Nouakchott n’est pas publiquement ­formulée, elle n’en reste pas moins précieuse pour Rabat. Le patron de la ­diplomatie mauritanienne, qui avait d’ailleurs réservé son premier ­déplacement à l’étranger au Maroc, est un connaisseur du dossier sahraoui. « Il a par exemple clairement compris qu’un des membres de la délégation du Polisario [M’Hamed Khaddad, responsable du Comité national du référendum au sein du Polisario, ­originaire de Zouerate] n’est même pas natif des territoires contestés », ­poursuit notre source.

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>>> À LIRE – Sahara occidental : Rabat accuse le Polisario de « provocations »

Tous les chefs d’État mauritaniens successifs – à l’exception de Mohamed Khouna Ould Haidalla, proche d’Alger – ont observé la neutralité à l’égard des différentes parties. Aziz n’a pas dérogé à cette règle, se faisant ­pourtant, à l’occasion, l’avocat médiatique du « peuple sahraoui, qui vit une situation dramatique ». Dans sa dernière interview à Jeune Afrique, le même a appelé à « des sacrifices de part et d’autre » pour dépasser « les ­rivalités entre États ».

Depuis la reprise des combats au Mali, Aziz est coincé entre l’Algérie et le Maroc

Pourtant, l’ancien élève de l’Académie royale militaire de Meknès a toujours été perçu comme proche du Maroc. À son arrivée au pouvoir, en 2008, Aziz avait pu compter sur le soutien appuyé de Mohammed VI. Le roi s’était même rendu à Nouakchott après le putsch du 6 août 2008. Les Marocains ont donc considéré n’avoir pas été suffisamment récompensés, tant sur la question du Sahara que sur celle de la relation entre Nouakchott et Alger. Rabat a même vécu cela comme une forfaiture.

« Depuis la reprise des combats au Mali, Aziz est coincé entre l’Algérie et le Maroc, plaide un membre du premier cercle du président mauritanien. Compte tenu de la situation sécuritaire dans ce pays, il ne peut pas se mettre à dos l’Algérie, au risque de s’exposer dangereusement. » Aussi, depuis 2008, aucune rencontre au sommet entre Ould Abdelaziz et Mohammed VI n’a pu avoir lieu. « Le souverain ne s’est plus rendu chez son voisin depuis l’élection d’Ould Abdelaziz, rappelle un habitué des tournées africaines de Mohammed VI. Alors qu’à l’époque du président Maaouiya Ould Taya (jusqu’en 2005) le roi s’était déplacé à Nouakchott à deux reprises. » En 2014, les préparatifs d’une visite royale auraient même été lancés avant d’être annulés pour cause de « distorsions protocolaires ».

Équation géostratégique

Entre-temps, il est vrai, d’autres dossiers, comme le cas du Mauritanien Moustapha Limam Chafi, avaient fait basculer la relation dans l’ère glaciaire. Début 2012, les autorités mauritaniennes avaient demandé aux Marocains d’extrader l’ex-conseiller spécial de Blaise Compaoré, contre qui elles venaient de lancer un mandat d’arrêt international pour « intelligence avec des groupes terroristes ». Rabat y avait opposé un refus catégorique et Nouakchott avait rappelé son ambassadeur. « Le président a interprété cela comme une trahison d’un pays frère », confirme un proche de Mohamed Ould Abdelaziz.

>>> À LIRE – Sahel : quels sont les liens entre les jihadistes et Moustapha Chafi, ex-conseiller de Compaoré ?

Depuis qu’Abdelilah Benkirane, alors Premier ministre, est venu calmer le jeu après les propos de Hamid Chabat, secrétaire général de l’Istiqlal, lequel avait déclaré en décembre 2016 que « la Mauritanie [était] une terre marocaine et que les enclaves du Maroc s’étend[ai]ent de Sebta [Ceuta] au fleuve Sénégal », le dégel est manifeste. Les Marocains ont profité de cette affaire pour renouer avec la Mauritanie. Et régler le « cas » Bouamatou.

Les équations géostratégiques dans la sous-­région dictent une sorte de ­symbiose entre les deux pays

« Bien au-delà de l’affaire du Sahara ou de questions liées à la politique intérieure ­mauritanienne, les équations géostratégiques dans la sous-­région dictent une sorte de ­symbiose entre les deux pays, soutient Cherkaoui Roudani, expert en ­géostratégie et en relations internationales. Les deux nations font face aux mêmes défis ­sécuritaires dans la bande sahélo-saharienne, ou économiques, la Mauritanie étant naturellement tournée vers l’Afrique et le Maroc lui offrant un tremplin vers l’Europe. » C’est ainsi qu’en décembre le royaume a choisi d’être représenté à la réunion du G5-Sahel par le chef de gouvernement, accompagné du patron du contre-espionnage (DGED), Yassine Mansouri.

Le même mois, Saadeddine El Othmani a rencontré à Nouakchott son ­homologue Mohamed Salem Ould El Béchir pour discuter, entre autres, de la mobilisation de 2 milliards d’euros pour le financement des ­investissements prioritaires du G5 Sahel, qui regroupe, outre la Mauritanie, le Burkina Faso, le Mali, le Niger et le Tchad. « Pour le Maroc, la Mauritanie est un rempart contre le risque terroriste venu du Sahel. Et le Maroc est à son tour un rempart pour l’Europe », insiste Roudani. À la fin des fins, la realpolitik reprend toujours ses droits.

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