Hévéa : l’ivoirien SAPH dans les starting-blocks
Malgré la faiblesse chronique des cours dont souffre l’ensemble de la filière caoutchouc, les analystes prédisent un bel avenir au numéro un ivoirien.
«C’est la crise. » Pas de doute. Des planteurs aux agro-industriels, les acteurs de la filière caoutchouc ivoirienne sont unanimes. La faiblesse des prix du caoutchouc naturel, coté à la Bourse de Singapour autour de 1,60 dollar le kg en janvier, perdure depuis bientôt cinq ans, malgré une légère embellie en 2017 (2 dollars/kg en moyenne sur l’année).
Pour ne rien arranger, la Côte d’Ivoire, numéro un en Afrique (71 % de la production), traverse une crise de surproduction, conséquence de la vague de plantations effectuées entre 2010 et 2012, du temps où le caoutchouc flirtait avec les 6 dollars le kg. Ainsi, depuis trois ans (l’hévéa arrive à maturité au bout de cinq à sept ans), les quantités produites ne cessent d’augmenter mais sans trouver un accroissement correspondant des capacités industrielles, faute d’une anticipation adéquate de la part des usiniers.
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La Société africaine de plantations d’hévéas (SAPH) est en première ligne. Avec ses cinq usines de transformation représentant 28 % (163 175 t) de la production nationale de caoutchouc, le numéro un ivoirien a vu son chiffre d’affaires glisser de près de 100 milliards de F CFA (152 millions d’euros) sur les neuf premiers mois de l’année 2017 à 91 milliards de F CFA sur la même période en 2018. Quant à son résultat net, il est passé dans le même temps de 8 milliards à – 600 millions de F CFA. Des chiffres qui pourraient légitimement inquiéter ses actionnaires de référence, le groupe ivoirien Sifca, détenu par la famille Billon et Alassane Doumbia, et le géant mondial du pneu, le français Michelin.
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Des efforts « considérables » depuis 2013
Et pourtant… Lors de sa dernière évaluation, en mai 2018, l’agence de notation Wara a multiplié les commentaires positifs à l’endroit de la société dirigée par le français Marc Genot. Entreprise « leader », dotée d’une « forte capacité d’adaptation », SAPH bénéficie selon l’agence d’une « vision stratégique claire » ainsi que d’une « très bonne qualité d’exécution ». C’est que les analystes ne s’arrêtent pas au cours du caoutchouc.
Un chiffre trahit les efforts considérables entrepris depuis 2013 : en cinq ans, SAPH est parvenue à diviser par quatre (de 4,10 à 1,09 dollar) son seuil de rentabilité par kg de caoutchouc produit. « Si l’on s’attarde sur les chiffres de 2014, à un moment où les cours étaient retombés, observe Oumar Ndiaye, analyste chez Wara, on s’aperçoit que SAPH ne maîtrisait pas ses charges d’exploitation, que ce soit pour la masse salariale ou les achats de marchandises, ce qui l’empêchait de dégager des marges. Sans changement managérial, la société a modifié sa stratégie et a cherché à gagner en efficacité, en investissant dans l’existant et en dégraissant un peu sa masse salariale, le tout afin d’abaisser son point mort, c’est-à-dire le seuil de prix de vente à partir duquel une société devient bénéficiaire. »
Conserver un taux d’endettement raisonnable
SAPH a ainsi rattrapé son retard en matière de rentabilité sur le belge SOGB, numéro deux en Côte d’Ivoire, qui avait su optimiser son modèle avant même la crise.
Tout le monde sait que nous nous trouvons dans un cycle baissier et que, tôt ou tard, les cours remonteront
En 2017, Sifca et Michelin ont déposé une OPA sur les 20 % de capital flottant restant de SIPH, actionnaire principal de SAPH. Alors que le cours des actions de SIPH était de 60 euros, les partenaires ont proposé 85 euros par action. Cette offre n’aura pourtant permis de récupérer qu’environ la moitié des actions. « Cette opération est révélatrice, remarque Boris Afran, analyste financier chez Hudson & Cie. Chacun a pu observer qu’en 2017, alors que le prix de vente moyen du caoutchouc naturel avait augmenté de 30 %, SAPH a affiché une augmentation de 999 % de son résultat net. Or, tout le monde sait que nous nous trouvons dans un cycle baissier et que, tôt ou tard, les cours remonteront. »
Reste une difficulté : le financement des investissements. Comme le concède Bertrand Vignes, directeur du pôle caoutchouc du groupe Sifca et directeur général de SIPH, « le challenge est de réussir à poursuivre ses investissements avec des niveaux de cours faibles tout en conservant un taux d’endettement raisonnable. Pour l’instant, la stratégie consiste toujours à optimiser les usines existantes ». Cette approche permet à SAPH de gagner en capacité sans engager des montants trop importants, en attendant la construction d’une nouvelle usine déjà dans les cartons.
Haro sur la taxe sur le chiffre d’affaires
Les industriels sont vent debout contre la taxe de 5 % sur le chiffre d’affaires instaurée par l’État en 2012. « Elle a des répercussions directes sur la rentabilité et la capacité d’autofinancement des acteurs industriels », juge ainsi la SOGB, contactée pour l’occasion. SAPH comme SOGB l’accusent même d’être responsable du sous-investissement dans l’appareil industriel. Pourtant, depuis 2015, l’État a modulé cette taxe qui ne s’applique que si le prix du kilo dépasse 1 000 F CFA (1,73 dollar) puis augmente progressivement (5 % au-dessus de 1 600 F CFA). Même si elle ne s’applique donc pas à l’heure actuelle, les industriels pourraient obtenir un rabais sur les années fiscales 2019 et 2020, avec un plafond institué à 2,5 %.
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