Investissement – Adel Grar, PDG d’Al Karama Holding : « Pour Carthage Cement, tout va se jouer en 2019 »
Deux ans après sa prise de fonctions, le dirigeant tunisien dresse son bilan et livre les ambitions du groupe chargé de vendre les entreprises confisquées après la révolution.
Au lendemain de la révolution de 2011, Al Karama Holding (ex-Princesse El Materi Holding) a eu pour mandat de gérer et de vendre les participations confisquées par l’État aux parents et aux proches de l’ancien président Ben Ali et de son épouse, Leila Trabelsi. Des actifs qui ne trouvent pas toujours preneurs, alimentant les critiques. Son PDG, Adel Grar, qui assure avoir dépassé ses objectifs en 2018 en réalisant 507 millions de dinars (147 millions d’euros) de cession, explique à Jeune Afrique les raisons de ses difficultés et dévoile son programme pour 2019.
Jeune Afrique : Une grande partie des dix-neuf sociétés à vendre inscrites dans la loi de finances 2018 sont finalement restées dans le giron d’Al Karama. N’est-ce pas un résultat décevant ?
Adel Grar : Il y a eu un malentendu sur cette formulation. Je n’ai jamais dit que ces entreprises allaient forcément être cédées l’an passé. Notre programme prévoyait simplement qu’en 2018 nous allions commencer à travailler sur les dossiers de cession de ces sociétés, dont la liste a été réduite à dix-sept, deux d’entre elles ayant finalement été vendues dès la fin de 2017. Courant 2018, trois entreprises ont pu être cédées : le projet Zitouna II, Zitouna Takaful et la Banque Zitouna. D’autres sont en cours, mais ces ventes doivent être progressives : pensez-vous vraiment que le marché actuel est capable d’absorber dix-sept entreprises en un an ? Je vous donne un exemple : nous avons commencé à travailler sur les dossiers Hyundai et Ford. Mais si nous publions les appels d’offres en même temps, alors que la clientèle est pratiquement la même, nous perdrons des investisseurs. Il faut donc décaler ces deux cessions.
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Qu’est-ce qui freine les investisseurs ?
Les procédures de vente imposées par la loi sont certes transparentes, mais éliminent de fait toute une catégorie d’investisseurs en empêchant le « sur-mesure ». Ce n’est pas toujours la meilleure option. Celui qui achète une participation majoritaire dans une société achète un projet. Ce n’est pas un partenaire dormant. Il va assister aux conseils d’administration et va prendre des décisions stratégiques. Certaines des sociétés que nous vendons sont en cours de redressement et nécessitent une capitalisation. Tout cela s’étudie. L’investisseur se demandera donc : « De combien a besoin cette entreprise ? Où va-t-elle ? Quelle sera sa rentabilité future ? » Or, quand on vend par appel d’offres, on ne discute pas le projet, on dit simplement : « Faites vos offres ! » Là, soit l’investisseur prend le risque de faire une offre à l’aveugle, soit il refuse de faire une proposition. Nous sommes en train de vendre selon des conditions standards à des investisseurs qui ont chacun des visions différentes de l’avenir de la société et de la position à adopter vis-à-vis du partenaire.
Serait-il possible de faire autrement ?
Pour des participations minoritaires, il est peut-être possible de composer avec les partenaires existants. Nous essayons d’optimiser, de trouver les meilleures conditions de vente au meilleur prix. Cependant, nous ne sommes pas dans une logique de partenariat. Notre mandat est de nous désengager de ces entreprises dans les meilleures conditions.
Il semblerait que le dossier Carthage Cement soit à la peine…
Nous sommes en phase de négociation, sur tous les plans. Mais le dossier étant encore en cours, et la société étant cotée en Bourse, j’ai une obligation de réserve qui est parfois compliquée à respecter, car il y a beaucoup de fausses informations qui circulent. Il y a différents groupes de pression – et même probablement des investisseurs potentiels – qui ont intérêt à diffuser des informations contre cette entreprise. Oui, Carthage Cement connaît, comme n’importe quelle cimenterie, des difficultés, au niveau de l’activité, liées au secteur. Si elles s’étaient révélées insurmontables, j’aurais pris le risque de le dire. En tant que président du conseil d’administration, j’ai veillé à ce qu’il y ait deux communications financières. Ensuite, aux investisseurs qui présentent leurs offres, et à eux seuls, je transmets les informations supplémentaires nécessaires. Chez Al Karama Holding, nous consacrons 40 % de notre temps à Carthage Cement. La commission, la société et les banquiers attendent de nous des propositions. Nous n’avons pas intérêt à ce que la phase de cession perdure, car ce processus perturbe l’activité de la société. Dans cette opération, nous avons eu un premier appel d’offres, pour lequel nous n’avons pas eu de proposition dans les délais, ce que j’ai notifié aux autorités, dont le Conseil des marchés financiers.
« Les marchés local et international commencent à être plus porteurs »
Que va-t-il se passer maintenant ?
L’appel d’offres est en cours, et je ne peux pas pour l’instant dire que c’est une offre infructueuse. Nous planchons aussi sur un plan B, dont je ne peux rien révéler. Dans les deux cas, 2019 sera l’année où tout va se jouer. Et nous avons de la chance, car les marchés local et international commencent à être un peu plus porteurs. En outre, Carthage Cement commencera à récolter les fruits de ses investissements. Il a défini une stratégie commerciale agressive et coûteuse qui fait qu’il détient aujourd’hui plus de 20 % de parts de marché sur le plan national. Dans le Grand Tunis, ses parts de marché sont encore plus importantes. La société possède sa propre carrière, et la qualité du calcaire y est extraordinaire. L’année 2019, c’est aussi la fin du contrat avec NLS (filiale du danois FLSmidth, qui gère l’exploitation de la cimenterie). Ces informations sont transmises bien évidemment aux investisseurs, qui vont définir leurs stratégies commerciales.
Qu’en est-il de la controverse liée à la vocation agricole du terrain sur lequel la carrière est bâtie ?
Et si je vous disais que, dans le contrat de vente, nous nous sommes engagés à résoudre ces questions ? Dans le projet de contrat, il existe ce qu’on appelle les conditions suspensives. Ce sont les engagements de l’acheteur et du vendeur, et ce n’est qu’une fois qu’ils seront tenus par les uns et par les autres que la vente se concrétisera. Mais depuis quand l’État vend-il des terrains à vocation agricole pour induire en erreur un investisseur ? Ce qui m’étonne, c’est que l’on évoque sans cesse ce sujet-là, et pas celui du port. Pourtant, pour la première fois dans l’histoire de l’industrie du ciment en Tunisie, il y a un quai dévolu à l’export, et nous avons justement travaillé pour que les actions de Carthage Cement soient vendues dans les meilleures conditions possibles.
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Quels sont vos objectifs pour 2019 ?
Nous venons de vendre la société Shipping Cruise pour 37,84 millions de dinars à un consortium composé de GPH, un gestionnaire de port, et MSC Cruises, filiale du géant du transport maritime MSC. En 2019, nous allons également continuer le processus de cession de nos participations dans Carthage Cement et dans Shems FM. Nous lancerons aussi la vente de nos participations dans la concession automobile Ford, les sociétés Newrest, Jet Multimedia, Havas Tunisie, MCTC, Plastec Technologies, la Société agricole Al Baraka, Adwya et AVS. Bien entendu, notre souhait est de clore tous ces dossiers courant 2019. En tout état de cause, l’objectif de vente est de 200 millions de dinars, mais nous ferons tout pour le dépasser.
Les ventes d’Orange Tunisie ne se feront donc pas par appel d’offres ?
Dans ce cas, nous ne pouvons vendre qu’à Orange, c’est un engagement contractuel. Reste à négocier le prix.
Al Karama Holding a-t-il vocation à s’inscrire dans la durée, au-delà de la vente des entreprises confisquées ?
Peut être. L’un de nos objectifs est d’insérer Al Karama dans le processus de réflexion stratégique sur l’optimisation des actifs et valeurs mobilières de l’État, d’en faire la banque d’affaires de l’État.
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