François Burgat : « Les islamistes réagissent à une overdose de la présence occidentale »

Directeur de recherche au CNRS et islamologue français de référence, François Burgat n’identifie pas les partis islamistes par leurs idées, mais avec l’influence du contexte culturel et politique. Interview.

François Burgat (France), islamologue et politologue, directeur de recherche au CNRS (2016) et a l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman (IREMAM). À Roissy, le 16.01.2019. Photo Vincent Fournier/JA © Vincent Fournier/JA

François Burgat (France), islamologue et politologue, directeur de recherche au CNRS (2016) et a l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman (IREMAM). À Roissy, le 16.01.2019. Photo Vincent Fournier/JA © Vincent Fournier/JA

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Publié le 30 janvier 2019 Lecture : 3 minutes.

 © Yassine Gaidi/Anadolu Agency/AFP
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Maghreb : quel avenir pour les partis islamistes ?

Depuis une décennie, ces formations issues de l’opposition radicale se fondent tant bien que mal dans le paysage politique, au point d’occuper souvent des responsabilités gouvernementales. Comment ont-elles résisté à l’épreuve du pouvoir ? Sont-elles vouées à l’exercer longtemps encore ? Enquête.

Sommaire

Directeur de recherche au CNRS, François Burgat est, avec Olivier Roy et Gilles Kepel, l’un des trois islamologues français de référence. Moins hostile a priori aux courants islamistes que la plupart de ses confrères, il suscite souvent la polémique, comme lorsqu’il a cosigné en 2018 une tribune réclamant une justice impartiale pour le prédicateur Tariq Ramadan. Contrairement à nombre de ses détracteurs, qui le jugent parfois complaisant avec les courants islamistes radicaux, Burgat a vécu longuement dans plusieurs pays du Maghreb et du Moyen-Orient.

>>> À LIRE – Livres : en Tunisie, l’islam en questions

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Jeune Afrique : Y a-t-il un seul islam politique « africain », ou autant de versions qu’il y a de pays ?

François Burgat : L’influence du contexte culturel et politique est plus importante à mes yeux que leur dénominateur commun « islamique ». Il y a donc effectivement une réelle diversité nationale. Les racines sont en revanche communes. Ces courants sont avant tout une réaction à une sorte d’overdose de la présence occidentale – coloniale d’abord, « impériale » ensuite. Ils ancrent banalement leur capacité de mobilisation dans la vieille dynamique indépendantiste, qu’ils poursuivent, comme leurs prédécesseurs, sur le terrain politique et économique, mais en lui donnant un prolongement culturel et symbolique.

C’est la répression gouvernementale qui pousse ces courants à la radicalisation, et non l’inverse

Les différences viennent du fait que les modalités de cette présence occidentale n’ont pas été partout les mêmes. La position des élites indépendantistes dans le champ religieux et surtout leur mode de gouvernement ont varié d’un pays à l’autre. On sait par exemple la différence évidente entre la laïcité de combat du Tunisien Habib Bourguiba et le fondamentalisme d’État du Commandeur des croyants marocain. Le penchant plus ou moins avéré des gouvernants pour la répression conditionne un principe absolument essentiel.

L’Afrique subsaharienne (avec Boko Haram ou les Shebab somaliens) est là pour le confirmer : c’est la répression gouvernementale qui pousse ces courants à la radicalisation, et non l’inverse. Et les courants radicaux débordent d’autant plus inéluctablement le courant « frériste » que celui-ci est lui-même criminalisé au nom de la lutte contre le terrorisme.

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S’il fallait résumer le destin de ces courants dans chacun des trois pays maghrébins ?

L’Algérie a expérimenté le choc frontal consécutif à la longue et sanglante répression du Front islamique du salut après sa victoire électorale de décembre 1991. Mais les contre-performances de ces « gardiens de la laïcité », que la France a aveuglément soutenus, ont été si manifestes que le pays se retrouve aujourd’hui dans une impasse.

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Contrairement au FLN algérien, le pouvoir marocain n’a pas reçu le cadeau empoisonné du monopole de la légitimité indépendantiste. Très tôt, il a opté pour une gestion plus souple de ses opposants islamistes. Refusant toute éradication à l’algérienne, il a incité certains d’entre eux à accepter des miettes de son pouvoir, réussissant ainsi à différer l’urgence d’une réelle redistribution dudit pouvoir.

La formule démocratique tunisienne a bien sûr des limites et des fragilités, mais elle constitue un cas à peu près unique de participation active de l’opposition islamiste à un gouvernement dirigé par une équipe qui se trouve être l’héritière plus ou moins directe de l’ancien régime. C’est là le meilleur exemple de cette fragile trajectoire de « transaction au centre » qui a épargné à la Tunisie la montée des extrêmes vers l’affrontement.

Vous dites que les partis islamistes sont parfois porteurs de valeurs démocratiques et modernistes. Des exemples ?

Je n’identifie pas les partis islamistes par leurs idées, mais par l’usage qu’ils font d’un lexique islamique, à mes yeux moins religieux que home made, qui leur permet de se démarquer de l’Occident. Mais j’insiste sur le fait que ce « parler musulman » n’est qu’un lexique, et non une grammaire, ce qui signifie qu’il ne conditionne pas les idées et les programmes de ces courants : quel rapport entre les agendas et les modes d’action politiques d’un Rached Ghannouchi et d’un Abou Bakr al- Baghdadi ?

Sur le terrain de l’intériorisation des exigences de la pratique démocratique, les islamistes ne vont en fait ni plus ni moins vite que leurs prédécesseurs des gauches dites laïques, ou, bien sûr, que les indéboulonnables régimes qui les combattent eux aussi au nom de la laïcité et de valeurs démocratiques qu’ils sont les premiers à bafouer.

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