Russie : un pied dans chaque camp libyen

Le 17 mars 2011, quand le Conseil de sécurité de l’ONU se réunit pour prévoir la mise en place d’une zone d’exclusion aérienne en Libye, la Russie laisse faire en ne mettant pas son veto. Pour voir. Et elle a vu : la coalition de forces occidentales et arabes guide la rébellion jusqu’à la mort du dictateur, en octobre 2011, à Syrte. Le pays sombre dans le chaos.

Le Premier ministre Fayez al-Sarraj et son rival le maréchal Khalifa Haftar, au château de La Celle-Saint-Cloud, en juillet 2017. © Michel Euler/AP/SIPA

Le Premier ministre Fayez al-Sarraj et son rival le maréchal Khalifa Haftar, au château de La Celle-Saint-Cloud, en juillet 2017. © Michel Euler/AP/SIPA

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Publié le 5 février 2019 Lecture : 2 minutes.

« La Libye, peut-être plus encore que d’autres crises, incarne l’échec occidental aux yeux de Moscou », résume Jalal Harchaoui, enseignant en géopolitique à l’université de Versailles. La doctrine pour le monde arabe est fixée : pour assurer sa stabilité, il faut s’appuyer sur des hommes forts capables de « tenir » les populations.

Haftar, l’homme providentiel ?

De ce point de vue, Khalifa Haftar a tout pour plaire. Lui qui fait peu de cas des processus politiques, prenant le contrôle de la Cyrénaïque par la force, est parvenu à interdire l’Est libyen aux différentes milices islamistes. Signe du succès d’estime acquis du côté de Moscou, le maréchal est invité à bord du Kouznetsov, le porte-avions russe, en janvier 2017. Il rencontre à plusieurs reprises Sergueï Lavrov, ministre russe des Affaires étrangères, et Sergueï Choïgu, le ministre de la Défense.

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Une réunion sur « la lutte contre le terrorisme et la résolution de la crise en Libye » avec ce dernier le 7 novembre 2018, à Moscou, a soulevé des questions sur l’aide militaire russe à Haftar. Dans une vidéo de la rencontre, on distingue Evgueni Prigogine, un milliardaire russe proche de Vladimir Poutine. L’oligarque contrôle la société militaire privée Wagner, active en Syrie et qui lorgnerait à présent le marché libyen.

« Il est très possible en effet que Wagner envoie un petit commando de mercenaires pour aider Haftar dans l’Ouest libyen, notamment pour sécuriser les champs pétrolifères du Fezzan », avance Harchaoui.

Bataille pour l’or noir et bleu

Principaux clients de ces sociétés militaires, les géants des hydrocarbures russes participent à la bataille pour l’or noir et l’or bleu libyens. Gazprom et Taftneft négocient avec la NOC pour reprendre leurs activités interrompues en 2011. Quant à Rosneft, elle a déjà trouvé un accord pour investir dans le pétrole libyen.

« La Russie a pour politique d’acheter le plus possible d’hydrocarbures auprès de pays proches de l’UE. Cela permet de mieux contrôler l’acheteur européen et d’exporter davantage vers l’Asie, sans céder sa position d’exportateur clé vers l’Europe », explique Harchaoui.

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Plusieurs cartes

Si la plupart des champs pétrolifères se trouvent dans l’Est, dans la zone contrôlée par Haftar, seule la NOC, établie à Tripoli, est habilitée à signer des contrats avec des entreprises étrangères. Ce qui incite la Russie à entretenir ses liens avec le gouvernement d’union nationale de Fayez al-Sarraj, attendu en visite officielle à Moscou dans les prochaines semaines.

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« Les Russes ont conscience que la coalition armée de Haftar n’est pas une structure militaire aussi solide, fiable et disciplinée qu’elle le prétend. Et le Kremlin ne souhaite pas placer tous ses œufs dans le même panier », décrypte Harchaoui, qui pressent que « la Russie continuera d’avancer en Libye même si elle investit très peu et ne prend presque aucun risque ».

Moscou garde dans sa manche la carte Seif el-­Islam Kadhafi. Lev Dengov, le « Monsieur Libye » du Kremlin, proche du président tchétchène Ramzan Kadyrov, assure être en contact constant avec le fils de l’ex-« Guide ». Lequel nourrit des ambitions présidentielles et a même sollicité le soutien de Vladimir Poutine dans une lettre qu’il lui a adressée en décembre dernier.

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