[Tribune] Franc CFA : plus de chiffres, moins de passion

Des points de vue valables – pour l’abandon ou le maintien du Franc CFA – existent. Mais le choix final ne peut pas seulement reposer sur une analyse passionnelle de cet arrangement monétaire, estime Mark Doumba.

Billets de francs CFA de l’Afrique centrale (Cameroun, Gabon, Tchad, Guinée équatoriale, République centrafricaine, Congo) © Photo Vincent Fournier/JA

Billets de francs CFA de l’Afrique centrale (Cameroun, Gabon, Tchad, Guinée équatoriale, République centrafricaine, Congo) © Photo Vincent Fournier/JA

Mark Doumba
  • Mark-Alexandre Doumba

    Financier franco-gabonais, directeur général d’Enovate Capital, holding d’investissement établi à Dubaï

Publié le 7 février 2019 Lecture : 5 minutes.

Tout laisse à penser que la controverse sur le franc CFA continuera en 2019. Elle est l’un des sujets de désaccord de l’élection présidentielle au Sénégal et a encore rebondi après les déclarations des dirigeants italiens et russes dénonçant la « politique colonialiste » du gouvernement français. Des points de vue valables – pour l’abandon ou le maintien de cette monnaie – existent.

Mais le choix final ne peut pas seulement reposer sur une analyse passionnelle de cet arrangement monétaire. Il doit plutôt se conformer à la réalité économique des deux zones franc. Or, celles-ci doivent évoluer d’un stade de développement primaire et dépendant des importations à un stade plus industriel et technologique pour être compétitif à l’export. Par conséquent, le choix du régime monétaire dépendra du rythme auquel les dirigeants de la zone franc amorceront une réelle transformation structurelle de leurs économies.

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« Monnaie coloniale » pour certains…

Cette contribution appelle à une analyse plus quantitative, et moins politique, du débat sur l’avenir du franc CFA. Résumons clairement une fois pour toutes les arguments anti- et pro-franc CFA.

Les partisans de l’abandon pointent la « cherté artificielle » de cette monnaie, due à son ancrage à l’euro, qui rend les économies dépendantes des importations et insuffisamment compétitives pour les exportations. Les emprunts internationaux contractés par les États de la zone CFA sont le plus souvent libellés en dollars US et non, paradoxalement, en euros.

Enfin, il est reproché à la « monnaie coloniale » d’assécher les réserves et les liquidités de change des pays africains, en vertu d’accords exigeant le placement d’un certain volume de devises dans un compte d’opérations à la Banque de France. En somme, l’insuffisance de l’offre de crédit, la cherté des taux d’intérêt, et le déficit dit « structurel » des comptes courants seraient les symptômes du choix monétaire.

…Gage de stabilité pour d’autres

De l’autre côté, certains plaident pour le maintien dans l’immédiat du franc CFA – sans jamais préciser pour combien de temps. Cette recommandation s’appuie sur les « avantages » de la stabilité des taux de change, une inflation maîtrisée, la « bonne gouvernance » induite par la gestion de la Banque centrale européenne (BCE) et la nécessité de « dissocier » l’économique du politique.

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De plus, les partisans du maintien notent que « l’autonomie monétaire » de pays majeurs tels que le Nigeria, le Ghana, l’Afrique du Sud, l’Angola ou le Kenya n’a pas démontré de liens probants entre monnaie « souveraine » et croissance économique, maîtrise des coûts du crédit, meilleur financement de l’économie locale ou encore stabilité macroéconomique et des réserves de devises.

>> A LIRE – En finir avec le franc CFA : le grand débat

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Inefficacité du système financier

Premièrement, les taux de la BCEAO et de la Beac (coût du financement pour les banques) sont parmi les plus faibles du continent : 4,5 % en zone Uemoa et 2,95 % en zone Cemac, contre une moyenne africaine de 7,7 % en 2018.

Malgré le faible niveau des taux directeurs, il est commun d’observer des coûts de crédit moyens en zone Cemac de l’ordre de 12,8 % – soit un écart de crédit de près de 10 % contre une moyenne d’écart de crédit en Afrique subsaharienne de 8 % sur la période 2014-2016. Cela se reflète dans la forte rentabilité des banques de la zone Cemac et les hautes primes de risque, dues à un niveau supérieur de prêts improductifs (15,6 % contre 10,8 % en Afrique subsaharienne sur la période 2015-2017).

Les écarts de crédit en zone Uemoa semblent être mieux maîtrisés. D’ailleurs, ces divergences entre les deux zones CFA pointent des déséquilibres structurels qui justifient la différence d’approche en matière de libéralisation monétaire. La zone Uemoa étant la plus diversifiée et donc mieux disposée à adopter une monnaie locale que ne l’est la zone Cemac. Il ressort de cette analyse économique que les banques commerciales et les insuffisances des canaux de transmission monétaire – de la Beac d’une part et de la BCEAO dans une moindre mesure – paraissent donc plus coupables de l’inefficacité du système financier sur le développement de la zone CFA que ne le sont le Trésor français et la BCE.

La décision du  maintien ou l’abandon du franc CFA doit s’appuyer sur les facteurs structurels des pays concernés

Sur le fond : le maintien ou l’abandon du franc CFA ne peut être tranché par les argumentaires. La décision doit s’appuyer sur les facteurs structurels des pays concernés.

Selon l’indice de complexité économique développé par le Center for International Development (CID) de Harvard, au cours des vingt dernières années, les pays africains ont très peu élevé leur niveau de savoir-faire, qu’il s’agisse de la variété de produits exportés ou de la complexité des modes de production.

Il est donc capital que les opérateurs économiques réussissent à produire et à exporter une plus grande variété de produits, et qu’ils apprennent à produire des biens et des services que peu d’autres pays offrent déjà. Ce processus de diversification, dit « de proximité », peut s’amorcer en observant les biens et les services déjà exportés par les pays de la zone, et en identifiant les produits connexes qui nécessitent un savoir-faire proche de celui qui existe déjà et requis pour favoriser l’exportation. Progressivement, les opérateurs économiques grimperont dans la chaîne de valeurs et acquerront de nouvelles capacités en délaissant les activités moins productives.

>> A LIRE – Franc CFA : vous avez dit « Afrexit » ?

Ni contrainte à la croissance, ni garantie de développement

C’est donc cette transition qui conditionne le passage vers plus d’autonomie et de flexibilité monétaire. Lorsqu’elle sera réalisée, les zones monétaires gagneront alors à adopter une monnaie plus représentative de leur nouveau statut de pays exportateurs de produits à plus forte complexité. Cette monnaie sera alors certainement plus faible que lorsqu’elle était ancrée à l’euro afin de permettre aux exportations d’être plus compétitives tout en ayant maîtrisé la dépendance aux importations. Ces mesures devraient permettre de migrer d’une situation de déficit structurel du compte courant à un équilibre où même à un surplus.

Admettons-le sans détour : aujourd’hui, une devise forte et stable est nécessaire compte tenu de la structure des économies de la zone franc. Sur 46 pays africains, 41 pays détiennent un solde déficitaire moyen de leur compte courant sur la période 2015-2017. Cela soutient la thèse selon laquelle le choix du régime de change n’est jusqu’à présent ni une contrainte à la croissance des pays d’Afrique francophone ni une garantie de développement d’un modèle favorisant la production et l’export.

À lui seul et en en tant que tel, le choix d’un régime monétaire n’a jamais constitué une stratégie de développement ou une garantie de croissance

Ne nous trompons pas : la politique monétaire est un levier de développement et de croissance. Mais il doit être utilisé selon le contexte macroéconomique.

À lui seul et en en tant que tel, le choix d’un régime monétaire n’a jamais constitué une stratégie de développement ou une garantie de croissance. Il n’y a pas d’autre choix que de se mettre au travail dans la poursuite de réformes structurelles qui libéreront le potentiel économique des deux zones CFA afin d’acquérir l’autonomie monétaire nécessaire pour mener à bien la quête d’un plus grand bien-être des populations.

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