Présidentielle au Nigeria : Atiku Abubakar, un multimillionnaire sulfureux face à Muhammadu Buhari
Le 16 février, il sera le principal adversaire d’un Muhammadu Buhari affaibli. Son expérience politique suffira-t-elle à faire oublier son image de multimillionnaire sulfureux ?
Le montage vidéo a fait fureur sur les réseaux sociaux. On y voit un président hagard, le regard perdu, sur fond de rires moqueurs du public. « Hein ? Du bé… quoi ? Bé… Bétail ? » bafouille Muhammadu Buhari. Les extraits les plus gênants d’une interview réalisée mi-janvier sur la chaîne de télévision NTA ont été rassemblés : l’effet est caricatural mais dévastateur. Yemi Osinbajo, le vice-président nigérian, également présent sur le plateau, a voulu faire taire les critiques : « Il y avait des problèmes techniques. Le public entendait les questions, mais nous n’entendions rien », a-t-il essayé d’expliquer, en vain.
Pour le chef de l’État nigérian, âgé de 76 ans, malade mais candidat à un nouveau mandat, le mal était fait. Et à un mois de la présidentielle du 16 février, la séquence était du pain bénit pour son principal adversaire.
Gout du pouvoir
« Baba » n’a pas supporté que son vice-président s’oppose à ses velléités de changements constitutionnels et de troisième mandat
S’il est lui aussi septuagénaire (il a 72 ans), originaire du nord du pays et musulman, Atiku Abubakar tranche avec Muhammadu Buhari. Quand sa silhouette est replète, celle de son adversaire est fragile, sa voix assurée souligne le caractère taiseux de son adversaire, et son énergie en campagne rappelle la retenue de son rival. Le businessman et le militaire n’ont vraiment pas grand-chose en commun. Sinon leur goût pour le pouvoir.
Depuis plus d’un quart de siècle, « Atiku », comme il est surnommé, rêve d’arriver au sommet de l’État. Il pensait son heure enfin arrivée il y a douze ans lorsque, dauphin désigné d’Olusegun Obasanjo, il est devenu son principal adversaire.
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« Baba » n’a pas supporté que son vice-président s’oppose à ses velléités de changements constitutionnels et de troisième mandat. S’il ne pouvait rester au pouvoir, alors il ferait tout pour qu’Atiku n’y accède pas. En 2007, la candidature de l’impétueux a été repêchée si tard par la Cour suprême qu’il n’a pu faire campagne. Il s’imaginait président, il a fini avec à peine plus de 7 % des voix.
Depuis, il s’est présenté à la primaire du People’s Democratic Party (PDP), en 2011, et à celle de l’All Progressives Congress (APC), en 2014, avec chaque fois de cinglantes défaites. Comme beaucoup de politiques de haut rang, Atiku a, durant toute sa carrière, été un adepte de la transhumance politique, changeant de parti au gré des circonstances opportunes. Qu’importe l’idéologie, les formations politiques sont avant tout des machines électorales.
Préparation méticuleuse
C’est le talon d’Achille du prétendant. Multimillionnaire, il a toujours été soupçonné de corruption et de trafic d’influence
Cette fois-ci, il n’était pas question qu’on l’y reprenne. Depuis dix-huit mois, le vieux routier de la politique prépare méticuleusement sa candidature. Fin 2017, quand il s’aperçoit qu’il ne pourra pas remporter l’investiture de l’APC, la coalition au pouvoir, ce fondateur du PDP revient dans les rangs de sa formation d’origine. Il est l’un des premiers hauts responsables à lâcher Buhari.
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Lui qui connaît en détail les rouages de la politique nigériane s’attache alors les soutiens de plusieurs gouverneurs, puis remporte haut la main, en octobre, la primaire du PDP à Port Harcourt. Sitôt la compétition interne achevée, il parvient à réunir autour de lui ses anciens adversaires. Le président du Sénat, Bukola Saraki, est nommé directeur de campagne, et même Olusegun Obasanjo se range derrière lui, assurant que l’heure de la réconciliation est arrivée. Aussitôt, l’équipe de Buhari l’accuse d’avoir acheté les votes et les soutiens.
C’est le talon d’Achille du prétendant. Multimillionnaire, cet homme qui, pendant vingt ans, a construit sa fortune au même rythme que sa carrière aux douanes du port de Lagos – dont il a gravi tous les échelons jusqu’à en devenir directeur adjoint – a toujours été soupçonné de corruption et de trafic d’influence.
Jamais condamné, il a néanmoins été plusieurs fois poursuivi au Nigeria et a même fait l’objet d’une enquête du FBI américain en 2005. La fouille de sa luxueuse maison du Maryland avait été retentissante. Il lui a été impossible d’obtenir un visa pour les États-Unis pendant une décennie, jusqu’en janvier dernier, où il y a effectué un voyage remarqué.
Piques acerbes
Atiku a volé assez d’argent pour nourrir 300 millions de personnes pendant quatre cents ans !
Des épisodes que ses adversaires ne cessent de rappeler. En 2014, lorsque Olusegun Obasanjo sort son livre My Watch, il envoie des piques acerbes à son ennemi d’alors : « Quand il était vice-président, Atiku a volé assez d’argent pour nourrir 300 millions de personnes pendant quatre cents ans ! » écrit-il.
Alors que l’ancien général Buhari a fait de la rigueur et de la morale l’un de ses thèmes de prédilection, le ministre de l’Information nigérian a encore accusé Atiku Abubakar, mi-janvier, d’avoir bénéficié d’une « caisse noire » qui a mené à l’effondrement de la banque PHB, en 2011. Le menaçant d’être interrogé, voire arrêté, il a fait monter d’un cran la tension.
« Atiku est le parfait exemple de la collusion entre politique et affaires, estime Marc-Antoine Pérouse de Montclos, directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD). Mais cela n’est pas toujours mal perçu par les électeurs, qui peuvent se satisfaire de l’argent de la corruption s’il est redistribué. »
Aux accusations, le candidat du PDP répond par l’expérience. Né dans une famille modeste de l’Adamawa (Nord-Est), ce polygame ayant eu plus de 25 enfants dit avoir gravi seul les échelons de la société. Lorsqu’il était petit, aime-t-il rappeler, son père, un commerçant peul, avait même refusé de le scolariser avant d’y être contraint par les autorités.
Il a ainsi fait de l’éducation et de la relance économique le cœur de son programme. Libéral, « champion du secteur privé », il veut « remettre le pays au travail », comme le clame son slogan, et promet la création de 3 millions d’emplois par an s’il est élu. Un objectif irréaliste, ont déclaré plusieurs observateurs, mais qui séduit les électeurs alors que le pays sort d’une dure récession.
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« La valeur du naira n’a cessé de dégringoler ces trois dernières années, les Nigérians ont perdu beaucoup de pouvoir d’achat, même les riches, qui voyagent et scolarisent leurs enfants à l’étranger. Ceux-là, je les vois mal voter pour Buhari, explique le professeur Isaac Olawale Albert, de l’université d’Ibadan. Il y a beaucoup de frustration dans le pays. »
Le bilan du président sortant est médiocre, même sur le plan sécuritaire et sur celui de la lutte contre Boko Haram, l’un de ses principaux chevaux de bataille. Pourtant, la partie s’annonce serrée le 16 février prochain. « Beaucoup d’électeurs se demandent essentiellement : “À quelle ethnie appartient ce candidat ? De quelle région vient-il ? Quelle est sa religion ?” », poursuit Isaac Olawale Albert.
Doté d’une machine électorale performante, Buhari semble ainsi conserver une longueur d’avance sur Atiku Abubakar. « Il reste extrêmement populaire dans le Nord, qui concentre les régions les plus peuplées. Cela lui confère un avantage, analyse Laurent Fourchard, directeur de recherche à Sciences-Po.
Tout va se jouer sur la capacité de mobilisation des candidats et sur l’envie des électeurs nigérians. » Lors des derniers scrutins, le taux de participation n’a cessé de baisser, jusqu’à 43,6 % en 2015. Si, à l’approche de l’échéance, le géant ouest-africain est scruté par le continent, rien n’indique ainsi que deux septuagénaires vétérans de la politique susciteront l’enthousiasme des électeurs.
Roi du business
Grande fortune nigériane, Atiku Abubakar détient plusieurs entreprises, dont la principale est Intels, présente dans le secteur du gaz et du pétrole, tout comme Prodeco, une autre de ses sociétés. Le candidat du PDP est aussi présent dans les médias (Gotel Communications), l’agriculture et l’éducation. Dans son fief de Yola (Est), il a en effet créé une vaste ferme et un établissement, l’Université américaine du Nigeria.
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