Mauritanie : Ghazouani, l’alter ego d’Aziz devenu son dauphin pour la présidentielle
À moins de cinq mois de la présidentielle, Mohamed Ould Abdelaziz a choisi l’actuel ministre de la Défense pour lui succéder. En cas de victoire, ce dernier aura-t-il les mains libres pour mener la politique de son choix ? Portrait d’un général à qui l’on ne connaît pas d’ennemi.
Le nom de ce général de 62 ans circulait depuis longtemps. Avant même qu’il prenne sa retraite, en décembre, voire avant qu’il soit nommé ministre de la Défense, en octobre. Mohamed Ould Ghazouani, ex-chef d’état-major des armées – un homme très mystérieux dont on ne sait pas grand-chose tant il fuit la presse –, a le profil idéal pour succéder à Mohamed Ould Abdelaziz.
Fils du chef spirituel d’une tribu maraboutique influente de l’Est, les Ideiboussat, il est très populaire en Mauritanie et nul ne lui connaît d’ennemi, chose rare à Nouakchott. « Ghazouani est le seul dont le nom n’a jamais été prononcé dans des affaires de corruption, reconnaît un opposant, cadre de l’Union des forces de progrès (UFP).
Il n’a jamais eu un mot plus haut que l’autre envers qui que ce soit. » « Il a des qualités personnelles positives », confirme Mohamed Jemil Ould Mansour, ancien président du parti à référent islamique Tawassoul. Aussi certains prédisent-ils que l’arrivée au pouvoir du général contribuera à rétablir le dialogue entre la majorité et l’opposition, aujourd’hui dans l’impasse.
Vieux compagnon de route
Les raisons de sa popularité sont à chercher dans sa capacité d’écoute. Au colonel Mohamed Mouemel El Boukhary, chef du troisième bureau, qui se plaignait il y a quelques années du caractère difficile d’un coopérant militaire étranger, Ghazouani rétorqua : « Il mérite certainement d’être davantage écouté, et c’est notre cas à tous. » Sa loyauté à toute épreuve envers le président est aussi mise à son crédit.
En 2012, alors qu’Aziz était dans le coma à l’hôpital Percy de Clamart (France) après avoir été blessé par balle, le chef d’état-major assure, en coulisses, l’intérim. Selon Ely Ould Krombelé, un ancien militaire lié aux deux hommes, « c’est Aziz qui a déniché Ghazouani, qui lui concède volontiers le droit d’aînesse. Quand Aziz a été blessé, des membres de la majorité ont demandé à Ghazouani de prendre le pouvoir. Il a répondu qu’il ne s’y résoudrait qu’après avoir vu le cercueil du président ».
Aziz et lui forment un tandem peu commun, et ce de longue date puisqu’ils sont devenus frères d’armes en 1980, à l’Académie militaire de Meknès, au Maroc. Le premier est réputé impulsif et sanguin, quand le second est décrit comme calme et réfléchi. Depuis quarante ans, leurs parcours se confondent.
À son retour de Meknès, Ghazouani occupe plusieurs postes au sein de l’état-major et multiplie les stages à l’étranger, notamment en Syrie et en Jordanie. Devenu commandant, il prend la tête, en 2003, du très stratégique bataillon blindé (BB). Deux ans plus tard, alors colonel, il se voit confier le non moins sensible deuxième bureau, celui des renseignements militaires. Dès le mois d’août 2005, il est à la manœuvre aux côtés d’Aziz pour déposer le président Ould Taya.
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Dans la foulée, il remplace Ely Ould Mohamed Vall à la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN). Ce dernier est intronisé à la tête du Conseil militaire pour la justice et la démocratie (CMJD). Là encore, Aziz et Ghazouani ont joué un rôle déterminant. Deux ans plus tard, en 2007, ils œuvrent à l’élection de Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi à la présidence. Ghazouani est promu général, avec l’appui d’Aziz, alors commandant du Bataillon de la sécurité présidentielle (Basep).
En avril 2008, le voilà nommé à la tête de l’état-major des armées, poste qu’il occupera pendant dix ans. Il est en tournée à l’intérieur du pays pour s’assurer de la loyauté des troupes quand, le 6 août, il apprend son limogeage, par téléphone. Son inséparable camarade Aziz a pris le pouvoir à la faveur d’un putsch contre « Sidi », unanimement condamné par la communauté internationale. Rentré à Nouakchott, Ghazouani s’efforce de retourner les partenaires étrangers. Après une première visite infructueuse à Alger, il est reçu, début 2009, au ministère français de la Défense, à Paris.
Modernisateur de l’armée
La petite histoire veut que ce soit l’homme d’affaires Mohamed Ould Bouamatou, aujourd’hui en exil, qui l’aurait introduit auprès de Claude Guéant, alors secrétaire général de l’Élysée. Alors que Sidi prône le dialogue avec les islamistes radicaux, Ghazouani promet de fournir aux Occidentaux des informations sur Aqmi. Le 18 juillet 2009, Aziz est élu président avec 52,47 % des voix, de quoi se refaire une virginité. Et cette fois, il a le soutien de Paris, où séjourne régulièrement Ghazouani, à l’hôtel Warwick. Le chef d’état-major est proche de son homologue français, Pierre de Villiers, et de l’ex-patron de la DGSE, Bernard Bajolet. Il est, sous la supervision d’Aziz, la cheville ouvrière de la coopération sécuritaire franco-mauritanienne.
les militaires avaient à peine assez d’essence pour garder les chèvres de leur colonel
Sur instruction du président, il transforme, en dix ans, une armée peu combative – car mal payée, mal équipée et mal formée – en l’institution la plus moderne du pays. Selon un fin connaisseur de l’armée, en 2008, « les militaires avaient à peine assez d’essence pour garder les chèvres de leur colonel et dépendaient de la générosité de riches hommes d’affaires pour acheminer des troupes vers le nord quand Aqmi y attaquait [leurs] garnisons ».
L’amélioration de leurs conditions de vie, la modernisation des équipements, la mise en place de Groupements spéciaux d’intervention (GSI) offensifs, la création de la seule armée de l’air du Sahel et le développement de services de renseignements efficaces redonnent le moral aux 20 000 militaires mauritaniens. Dès 2011, ils infligent de sévères défaites aux combattants d’Aqmi dans la forêt de Ouagadou (Mali) et à la frontière malienne. Aucune organisation jihadiste ne se risquera plus en Mauritanie. Depuis huit ans, aucun attentat n’y a été commis.
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Interrogé par Jeune Afrique sur la situation sécuritaire dans le Sahel, Ghazouani ne se fait pas d’illusion sur l’efficacité de l’action militaire : « L’armée ne suffit pas. Il faut lancer des projets de développement et lutter contre l’extrême pauvreté d’une population privée d’eau, de nourriture et, faute de centres de santé, de médicaments. Dans la mesure du possible, nos hommes lui en apportent. Il ne peut pas y avoir une armée riche et une population pauvre. »
Ghazouani et Aziz marcheront main dans la main
Fort humaniste – pour un militaire –, le général apprécie les opérations couronnées de succès sans dommages collatéraux. Il tint ainsi à féliciter un commandant qui était parvenu à arrêter dans le nord du pays un convoi de plusieurs 44 bourrés de drogue sans faire de victimes parmi les trafiquants.
Des entourages à gérer
Nommé au gouvernement en novembre 2018 comme ministre de la Défense, Ghazouani a vu le général Mohamed Cheikh Ould Mohamed Lemine lui succéder à l’état-major des armées. L’homme est un fidèle d’Aziz, qu’il a connu à l’Académie militaire d’Atar. Signe d’une pointe de défiance à la veille de la présidentielle ? « Ghazouani et Aziz marcheront main dans la main, car leur relation est fusionnelle, répond Ely Ould Krombelé. Ils ont dépassé le stade de l’émulation. »
En outre, leurs proches dans l’appareil d’État sont en partie les mêmes, et, de ce point de vue, il n’y aura pas de vraie alternance mais une continuité du pouvoir. « Des problèmes pourraient surgir au sein de leurs entourages », glisse un membre de la majorité. Ou plutôt de leurs tribus respectives, les Ouled Bousbaa du président pouvant voir d’un mauvais œil que les Ideiboussat du général leur fassent de l’ombre, une partie de ceux-ci étant proches du parti Tawassoul.
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Reste à savoir si, une fois élu, Ghazouani maintiendra ses relations de complicité avec Aziz. Car le premier n’est pas homme à se laisser dicter ses choix, et le second compte bien rester au centre de l’échiquier politique – comme chef de l’UPR ou comme Premier ministre. Aziz n’exclut pas non plus de se représenter en 2024. Arrivé au terme de son second mandat, le président sortant semble estimer, l’article 28 de la Constitution stipulant que « le président de la République est rééligible une seule fois », qu’il ne sera qu’un simple citoyen en 2024 et qu’à ce titre il sera éligible et pas stricto sensu « rééligible ». Ultime question : après avoir goûté au pouvoir, Ghazouani le rendra-t-il à son mentor, à l’exemple de ce qu’a fait le Russe Medvedev avec Vladimir Poutine ?
Début mars
C’est à cette époque que le Congrès du parti majoritaire, l’Union pour la République (UPR), devrait entériner la candidature de Mohamed Ould Ghazouani.
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