Présidentielle au Sénégal : Macky Sall, entre grands travaux et petits ralliements

Pour tenter de l’emporter dès le premier tour, le chef de l’État, Macky Sall, a une stratégie : rallier à sa coalition les partis qui comptent ou, à défaut, leurs cadres les plus influents.

Congrès de l’APR au Dakar Arena, le 1er décembre 2018. © SEYLLOU/AFP

Congrès de l’APR au Dakar Arena, le 1er décembre 2018. © SEYLLOU/AFP

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Publié le 21 février 2019 Lecture : 4 minutes.

Dans un bureau de vote à Fatick, lors du premier tour du scrutin pour la présidentielle 2019 au Sénégal. © Sylvain Cherkaoui pour Jeune Afrique
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Présidentielle au Sénégal : un « coup KO » réussi pour Macky Sall

La Commission nationale de recensement des votes a proclamé le jeudi 28 février Macky Sall vainqueur au premier tour de la présidentielle. Le président élu a aussitôt annoncé « tendre la main » à l’opposition, dont ses quatre adversaires avaient renoncé à contester les résultats devant le Conseil constitutionnel.

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Le 1er décembre, dans un Dakar Arena archicomble, Macky Sall avait mis les petits plats dans les grands pour conférer à sa candidature des airs de triomphe avant l’heure. Dans la fosse, le carré VIP regroupait quatre chefs d’État africains venus le soutenir. Plus haut, dans les tribunes, deux responsables politiques sénégalais attiraient eux aussi l’attention des médias. Côte à côte, le maire de Ziguinchor, Abdoulaye Baldé, et l’ancien président du groupe parlementaire Libéraux et démocrates (opposition), Modou Diagne Fada, étaient venus officialiser leur serment d’allégeance.

Transfuges du camp d’en face, les deux hommes font partie des récents « trophées » du président sortant. Il est vrai que tous trois sont d’anciens « frères » qui ont longtemps cheminé au sein du Parti démocratique sénégalais (PDS), fondé par Abdoulaye Wade. Après la défaite du PDS en 2012, Abdoulaye Baldé avait quitté le parti pour créer l’Union centriste du Sénégal (UCS). Quant à Modou Diagne Fada, il en avait été sèchement éjecté fin 2015, après s’être montré trop réticent à l’égard de la désignation de Karim Wade pour représenter le parti libéral à la présidentielle.

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Apologie de la transhumance

En matière de ralliements politiques, la stratégie de Macky Sall n’est plus un secret. À Kaffrine, en avril 2015, il l’avait résumée ainsi : « Lorsque vous avez une majorité et que vous voulez la consolider, si vous n’allez pas pêcher dans le camp adverse, comment la maintenir ? L’opposition fait dans la critique, la désinformation et la surenchère pour décourager des pans entiers du pouvoir et les ramener à elle. Le pouvoir aussi doit tout faire pour récupérer des gens de l’opposition. »

En février, Benno Bokk Yakaar revendique 350 organisations ou personnalités, fédérées en de multiples sous-coalitions

Considérée comme une apologie de la transhumance, cette sortie présidentielle avait alors provoqué une brève polémique. Depuis, nombreux sont les anciens cadres de l’opposition à avoir rejoint le parti présidentiel sans se soucier du qu’en-dira-t-on.

Alliances, ralliements et transhumances tardives auront rythmé le septennat de Macky Sall et consolidé, chaque jour davantage, la force de frappe de la coalition Benno Bokk Yakaar (BBY). En février, celle-ci revendique 350 organisations ou personnalités, fédérées en de multiples sous-coalitions.

Le ralliement des ex

Dès avril 2012, le chef de l’État fraîchement élu est en effet parvenu à transformer une alliance électorale de circonstance, face à Abdoulaye Wade, en véritable coalition de gouvernement – et en machine à remporter les élections à venir. À l’époque, il réalise son plus beau coup en s’assurant du soutien indéfectible de deux poids lourds : Moustapha Niasse (Alliance des forces de progrès, AFP) et Ousmane Tanor Dieng (Parti socialiste, PS).

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Arrivés respectivement troisième et quatrième au premier tour de la présidentielle (en cumulant leurs scores avec celui de Macky Sall, ils dépassaient 51 %), tous deux se sont engagés, très tôt, à ne pas contrarier la réélection de leur nouvel allié. Ils tiendront parole, dissuadant quiconque, dans leurs rangs, de concourir – exclusion des récalcitrants à l’appui.

Autour de ce noyau dur, d’autres partis historiques rejoignent aussitôt BBY, comme la Ligue démocratique/Mouvement pour le parti du travail (LD/MPT), d’Abdoulaye Bathily, ou le Parti de l’indépendance et du travail (PIT), longtemps dirigé par Amath Dansokho. En 2015, une autre figure historique de la vie politique, Djibo Leyti Kâ (Union pour le renouveau démocratique), jusqu’alors compagnon de route de l’opposition, viendra grossir les rangs de la majorité présidentielle.

Aïssata Tall Sall, ex-porte-parole et frondeuse du Parti socialiste sénégalais. © Sylvain Cherkaoui pour J.A.

Aïssata Tall Sall, ex-porte-parole et frondeuse du Parti socialiste sénégalais. © Sylvain Cherkaoui pour J.A.

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Plus récemment, le 28 janvier, l’ex-socialiste Aïssata Tall Sall, maire de Podor, exclue du PS un an plus tôt, choisira à son tour d’apporter son soutien à la candidature de Macky Sall, qu’elle avait pourtant amplement critiqué jusqu’alors.

>>> À LIRE – Présidentielle au Sénégal : comment Macky Sall a obtenu le ralliement d’Aïssata Tall Sall

Mais c’est dans les rangs du PDS, son ancien parti, que Macky Sall a su provoquer le plus de ralliements notables. Au fil du septennat, une partie non négligeable de la garde rapprochée de l’ex-président Abdoulaye Wade a en effet franchi le Rubicon, comme le montre cet échantillon représentatif : outre Abdoulaye Baldé (ex-secrétaire général de la présidence, plusieurs fois ministre) et Modou Diagne Fada (plusieurs fois ministre), Awa Ndiaye (ancienne ministre de la Famille, puis de la Culture), Ousmane Ngom (ex-ministre de l’Intérieur, entre autres), Souleymane Ndéné Ndiaye (ex-Premier ministre), Serigne Mbacké Ndiaye (ancien porte-­parole de la présidence), Papa Samba Mboup (ex-chef de cabinet du président Wade), Aïda Ndiongue (ancienne sénatrice du PDS), etc. ont également viré de bord.

Des alliés comme sergents recruteurs

Au jeu des ralliements, Macky Sall sait pouvoir compter sur le dévouement de ses troupes. Depuis des années, ses alliés font office de sergents recruteurs, afin d’établir des passerelles entre les notables politiques (opposants ou non alignés) et la mouvance présidentielle.

Aliou Sall dans son bureau dakarois, le 28 mai 2018 © Sylvain Cherkaoui pour Jeune Afrique

Aliou Sall dans son bureau dakarois, le 28 mai 2018 © Sylvain Cherkaoui pour Jeune Afrique

En janvier, le propre frère du chef de l’État, Aliou Sall, président de la Caisse des dépôts et maire de Guédiawaye, assurait avoir fait migrer vers l’Alliance pour la République (APR), le parti présidentiel, les 97 antennes des « amazones », un mouvement de femmes jusqu’alors dévoué à Karim Wade.

Qui séduira Dakar ?

Pour le camp au pouvoir, outre une déstabilisation évidente des partis adverses, chaque allié ainsi conquis est la promesse de gagner du terrain dans le fief de ce dernier. À Podor, grâce à Aïssata Tall Sall, à Kebemer (la ville de naissance d’Abdoulaye Wade), grâce à Modou Diagne Fada, à Ziguinchor (capitale régionale qui lui avait échappé en 2014), grâce à Abdoulaye Baldé, etc.

Une seule ombre au tableau pour BBY : Dakar, avec ses centaines de milliers d’électeurs potentiels, lui résiste toujours. Mais la candidature de Khalifa Sall étant invalidée et l’ex-maire de Dakar toujours emprisonné, un proche de Macky Sall se veut confiant : « Le président sera réélu dès le premier tour. Même à Dakar, il arrivera en tête. Au pire, son score dans la capitale fera quelque peu baisser sa moyenne nationale. »

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