Cinéma : « Black Snake », un super-héros qui a du mordant !
Dans Black Snake, leur première comédie, Karole Rocher et Thomas Ngijol imaginent un sapeur masqué bien décidé à botter les fesses des dictateurs et des barbouzes.
Obsédé, fainéant, grossier, lâche… Clotaire Sangala (Thomas Ngijol) a presque tout pour plaire. Le jeune homme revient en conquérant sur sa terre natale, l’Afrique, après plusieurs années passées à Paris et découvre un pays gangrené par la corruption de l’infâme dictateur Ézéchias (Michel Gohou). Opportunément mordu par un mystérieux serpent, il va se changer en Black Snake – un super-héros improbable, entre Black Panther, Bruce Lee et Deadpool – et tenter de renverser le pouvoir en place. Avec style.
Cela faisait plus de trois ans que Thomas Ngijol et sa compagne à la ville, Karole Rocher, réfléchissaient à une histoire de super-héros. Le couple n’avait « ni l’envie ni les moyens de faire un Marvel », mais plutôt la tentation d’aller sur le terrain connu de la comédie tout en exploitant un genre, le fantastique, sur un continent déjà riche en mythes et en légendes.
Critique de la Françafrique ?
Il y a dix ans, lorsque Thomas Ngijol passait sur la scène du Jamel Comedy Club, il imaginait déjà un « Superman noir » : un super-héros sapé, corruptible, qui se comporterait en dictateur… « Le seul point positif avec un Superman noir c’est que, pour une fois, on n’aurait pas eu honte de voir un Noir voler », lâchait le comique en fin de sketch.
L’histoire concoctée par le duo – à la fois acteurs, coscénaristes et coréalisateurs de ce premier film – pourrait sembler à première vue n’être qu’un simple pastiche potache de l’univers des comics. Le tout ponctué de blagues vulgaires, voire racistes – concernant par exemple le père adoptif de Clotaire, un vieillard chinois expert en arts martiaux –, mais derrière lesquelles pointe une critique juste et hilarante de la Françafrique.
« Moi, je ne m’amuse vraiment qu’avec des sujets sérieux, nous confie Thomas Ngijol. Quand tu fais de l’humour gratuit, ça s’épuise en dix minutes. Il faut qu’il y ait un vrai problème, que ce soit autour d’un personnage ou d’un phénomène plus vaste. » Dans son précédent film, Fastlife (déjà avec Karole Rocher, mais seulement comme actrice), il interprétait Franklin, ancien champion du monde de course à pied incapable de sortir de son narcissisme. Il faisait alors le portrait en creux de toute une génération nourrie à la téléréalité, au rap et au mythe de la célébrité facile.
À aucun moment on ne sait précisément dans quel pays on se trouve, ce qui contribue à donner à cette fable une portée universelle… ou du moins panafricaine
Cette fois, même s’il se défend d’avoir réalisé avec sa compagne « un film politique ou militant », il s’appuie sur son personnage de supersapeur pour dénoncer les potentats africains, soutenus à bout de kalach par la France. Michel Gohou est parfait dans un rôle de grand méchant, entre Ernst Stavro Blofeld (le dirigeant du Spectre de James Bond) et Mobutu.
Il est assisté par l’acteur français Édouard Baer, très convaincant dans le rôle d’un barbouze raciste et sans scrupule. À aucun moment on ne sait précisément dans quel pays on se trouve, ce qui contribue à donner à cette fable une portée universelle… ou du moins panafricaine.
Mais attention, n’attendez pas de Black Snake un documentaire sur la dérive sanguinaire des dictateurs africains. « On voulait avant tout se marrer », lâchent les réalisateurs. Et si l’action se tient dans les années 1970, « c’était d’abord pour le côté mode, déco, pour raconter un moment où plusieurs pays africains devenus indépendants inspiraient le reste du monde ».
Ce qui n’empêche pas les anachronismes, ni de marier pantalons pattes d’ef et bande-son afro ultra-contemporaine. Le rappeur Dosseh, d’origine camerounaise et togolaise, interprète d’ailleurs un titre spécialement conçu pour le film, Superhéro.
Le « bled » de Mandela
À l’inverse de Black Panther, Black Snake a été tourné presque intégralement en Afrique du Sud. Un point sur lequel Thomas Ngijol n’a pas transigé. « On ne voulait pas filmer ça à Vincennes sur un fond vert, il fallait être sur place. On a tourné des scènes à Soweto, dans les townships, le “bled” de Mandela. Symboliquement, ça porte le film. On ne pouvait pas tricher. » Le casting, international, fait aussi la part belle aux talents africains. Les techniciens et les figurants « étaient tous des locaux ».
Mais les réalisateurs refusent absolument d’être catalogués « cinéma communautaire ». « Si on tient compte seulement de la couleur des acteurs, presque tous les films français seraient des films communautaires blancs », pose Thomas Ngijol. Celui-ci se félicite en revanche de l’existence de films au casting presque 100 % noir. « Black Panther banalise les choses : pour une fois il n’y a pas de regard manichéen en fonction de la couleur de peau. Les petits jeunes peuvent voir les personnages du film sans se dire “ce sont des Noirs”, mais ce sont des gentils, des imbéciles, des costauds… »
L’expérience de Black Snake a en tout cas avivé l’enthousiasme du couple de cinéastes pour l’Afrique. Karole Rocher, qui a réalisé le clip de Dosseh à Dakar, se dit prête à retourner rapidement filmer sur le continent, séduite par la qualité de la lumière et l’ardeur des équipes locales.
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Thomas Ngijol, quant à lui, travaille sur un projet top secret qui pourrait être tourné entre le Cameroun et la Côte d’Ivoire, et qui ne serait pas dans le registre de la comédie. Né de parents camerounais, et retournant au pays régulièrement depuis l’âge de 4 ans, il envisage également depuis longtemps de créer son propre festival à Douala ou à Yaoundé. « Bien sûr, je ne peux pas rester inactif, et je peux mettre à contribution mon savoir-faire et mon réseau. Mais je veux prendre le temps de faire les choses bien, pour de vrai. »
Quant à Black Snake, s’il réussit à gifler les box-offices français et africains, il pourrait également faire son come-back. « Rendez-vous dans deux ans pour en parler ! » rigole Thomas Ngijol avec un panache digne du « Serpent noir ».
Un air de déjà-vu
Black Snake peut rappeler d’autres films comiques qui ont cartonné en Afrique et posent un regard acide sur les dictateurs du continent. On pense au long-métrage Le Crocodile du Botswanga, de Lionel Steketee et Fabrice Éboué… Ngijol y interprétait le tyran Thibault « Bobo » Babimbi, dont les sauriens dévorent les opposants politiques. On songe aussi à Bienvenue au Gondwana, réalisé par Mamane, qui mettait en scène Michel Gohou dans le rôle d’un homme de main de l’invisible et tout-puissant président. La sauce super-héros permet néanmoins à Black Snake d’éviter le bégaiement.
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