Fespaco : pionniers, stars, libation et Sankara… Cinquante ans de cinéma à Ouaga

Films du patrimoine restaurés, nombre d’invités en hausse, sélection mêlant valeurs sûres et nouveaux venus… Le festival phare du septième art africain fête dignement son demi-siècle.

Le siège du Fespaco, à Ouagadougou, en 2017. © REUTERS/Luc Gnago

Le siège du Fespaco, à Ouagadougou, en 2017. © REUTERS/Luc Gnago

leo_pajon

Publié le 23 février 2019 Lecture : 5 minutes.

Ces 50 ans seront-ils l’âge de raison du Fespaco ? Il est encore difficile de le prédire, alors que le plus grand festival de cinéma d’Afrique, qui se tient du 23 février au 2 mars, vient tout juste de commencer. Mais quelques jalons ont été posés. Ardiouma Soma, le délégué général du festival, estime que ce demi-siècle est « un âge d’or qui nous interpelle sur le passé, l’avenir, les acquis et les insuffisances de la manifestation ». Le passé, ce sont tous les films qui ont fait la joie des festivaliers lors des éditions précédentes.

Certains (mais nous ne savons, à l’heure où nous écrivons ces lignes, ni combien ni lesquels) vont être spécialement présentés durant le festival. Le 21 novembre 2018, lors d’une visite au ministre de la Culture burkinabè, Abdoul Karim Sango, l’ambassadeur de France Xavier Lapeyre de Cabanes s’était engagé à fournir restaurés les films qui avaient été diffusés il y a cinquante ans.

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L’avenir, c’est de réussir à propulser le festival dans la cour des grands. Donc en finir avec les programmations inégales et les problèmes d’organisation encore pointés par la réalisatrice burkinabè Apolline Traoré lors de la conférence de presse donnée à Paris. Pour ce cinquantenaire, Ardiouma Soma a en tout cas vu les choses en grand, en promettant d’inviter « 500 à 600 personnes » (réalisateurs, acteurs, journalistes…), contre 400 d’habitude. Et une sécurisation accrue des sites, dans un pays régulièrement ensanglanté par des attentats.

Le programme compte quelque 160 films, choisis parmi plus d’un millier reçu par l’organisation. Et la sélection des vingt films en compétition pour l’Étalon d’or de Yennenga s’appuie sur deux valeurs sûres : Rafiki, de la Kényane Wanuri Kahiu, et Fatwa, du Tunisien Mahmoud Ben Mahmoud.

En dehors de quelques noms connus (Apolline Traoré, donc, ou Jean-Pierre Bekolo), les festivaliers découvriront de nouveaux venus, qui pour certains présentent leur premier long-métrage ; c’est notamment le cas de Yasmine Chouikh, la fille du grand réalisateur algérien Mohamed Chouikh. Reste donc à espérer avec Ardiouma Soma que cet anniversaire soit « le point de départ d’un nouveau regard sur le cinéma africain ».

Pionniers

Paulin Vieyra. © Paulin Vieyra

Paulin Vieyra. © Paulin Vieyra

Paulin Vieyra

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Si le Fespaco fête son cinquantenaire en 2019, celui du cinéma africain y a déjà été célébré en 2005, puisque Afrique-sur-Seine, réalisé par les deux Sénégalais Paulin Soumanou Vieyra et Mamadou Sarr, date de 1955.

Mais le premier film de fiction tourné en Afrique par un Africain est en fait le court-métrage d’Ousmane Sembene Borom Sarret, tourné en 1963. Qui sera suivi, en 1966, de La Noire de…, premier long-métrage du même auteur.

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Acte de naissance

Oumarou Ganda et Jean Rouch sur le plateau de l’émission « Un aventurier du cinéma » © Louis Joyeux INA / AFP

Oumarou Ganda et Jean Rouch sur le plateau de l’émission « Un aventurier du cinéma » © Louis Joyeux INA / AFP

Louis Joyeux INA / AFP

On parle de cinquantenaire de façon impropre, car en 1969 (et 1970) il ne s’agissait encore que d’une Semaine du cinéma africain. Le premier vrai Fespaco, portant ce nom et devenant un festival doté d’une compétition, date de 1972. Cette année-là, l’un des grands pionniers du cinéma africain, Oumarou Ganda, du Niger, remporte le premier Étalon de Yennenga avec Le Wazzou polygame.

Hôtel Indépendance

Les objets de Sambene Ousmane dans sa chambre d’hôtel. © Ahmed Ou CBA

Les objets de Sambene Ousmane dans sa chambre d’hôtel. © Ahmed Ou CBA

Ahmed Ou CBA

Ce fut le lieu de rencontre durant le jour et jusqu’au bout de la nuit de tous les cinéastes et critiques, jusqu’au renversement de Blaise Compaoré, qui a conduit à l’incendie de l’hôtel. C’est plus exactement autour de la piscine que l’on discutait septième art. La chambre numéro 1 était autrefois occupée par Ousmane Sembene et elle est devenue après sa mort un petit musée ouvert aux visites pendant le Fespaco.

La fête avant tout

Cérémonie d’ouverture du Fespaco à Ouagadougou. © Sophie garcia / HansLucas

Cérémonie d’ouverture du Fespaco à Ouagadougou. © Sophie garcia / HansLucas

Sophie garcia / HansLucas

Le Fespaco est toujours festif. Les cérémonies d’ouverture imposantes accueillent de 20 000 à 30 000 personnes, et des vedettes comme Alpha Blondy ou d’autres qui animent la soirée après les discours de rigueur du président et des responsables du Fespaco. Par ailleurs, avant chaque projection officielle dans les salles du Ciné Burkina et du Ciné Neerwaya, un orchestre local joue de la musique. Pendant tout le festival, des groupes investissent les lieux publics de Ouagadougou… même si c’est plus compliqué depuis le développement de la menace djihadiste.

Libation

Des participants du fespaco se rassemblent pour les libations traditionnelles, à Ouaga. © Katrine MLanson / Reuters

Des participants du fespaco se rassemblent pour les libations traditionnelles, à Ouaga. © Katrine MLanson / Reuters

Katrine MLanson / Reuters

Traditionnellement, le premier événement du Fespaco avant la première projection a lieu à l’aube, autour du monument du cinéma, quand tous les cinéastes présents se réunissent et tournent autour de la sculpture représentant une caméra. Par ailleurs, depuis quelques années, de grandes sculptures représentant les grands du cinéma africain sont disposées le long d’une des avenues partant de cette place.

L’Étalon de Yennenga

Alain Gomis reçoit le trophée des mains de Roch Marc Christian Kabore et d’Alassane Ouattara, en 2017. © ISSOUF SANOGO / AFP

Alain Gomis reçoit le trophée des mains de Roch Marc Christian Kabore et d’Alassane Ouattara, en 2017. © ISSOUF SANOGO / AFP

ISSOUF SANOGO / AFP

Les deux seuls cinéastes qui ont obtenu deux fois le grand prix du festival (l’Étalon de Yennenga, devenu depuis quelques années l’Étalon d’or de Yennenga) sont Souleymane Cissé (pour Baara en 1979 et Finye en 1983) et Alain Gomis (pour Aujourd’hui en 2013 et Félicité en 2017). Jusque très récemment, ces prix étaient constitués d’argent en espèce remis directement sur scène aux primés du Fespaco. Tous les primés, soit plusieurs dizaines, car ce festival doit être celui qui décerne le plus de prix au monde !

Bousculades

Projection du film Timbuktu sous haute sécurité à Ouagadougou. © Sophie Garcia / HansLucas

Projection du film Timbuktu sous haute sécurité à Ouagadougou. © Sophie Garcia / HansLucas

Sophie Garcia / HansLucas

La cérémonie d’ouverture, très populaire car gratuite et animée par des vedettes, a donné lieu au moins une fois à une petite tragédie : plusieurs morts à l’entrée du fait de terribles bousculades. Lesquelles bousculades sont fréquentes à l’entrée des salles, car la quasi-totalité des projections est ouverte au public. Notamment au Ciné Burkina.

Stars

Lors de la cloture du Fespaco 2003. © Djibrill Sy / MaxPPP

Lors de la cloture du Fespaco 2003. © Djibrill Sy / MaxPPP

Djibrill Sy / MaxPPP

Parmi les films et réalisateurs africains importants primés au cours des années, on citera Les Mille et une mains de Souheil Ben Barka (Maroc) en 1973, Sarraounia de Med Hondo (Mauritanie) en 1987, Tilaï d’Idrissa Ouedraogo (Burkina) en 1991, Guimba de Cheick Oumar Sissoko (Mali) en 1995, Budd Yam de Gaston Kaboré (Burkina) en 1997, Ali Zoua de Nabil Ayouch (Maroc) en 2001, Heremakono d’Abderrahmane Sissako (Mauritanie) en 2003, Teza de Hailé Gerima (Ethiopie) en 2007.

À la belle étoile

Projection en extérieur lors du Fespaco 2013. © EPA/NIC BOTHMA / MaxPPP

Projection en extérieur lors du Fespaco 2013. © EPA/NIC BOTHMA / MaxPPP

EPA/NIC BOTHMA / MaxPPP

Au cours des années 1970, 1980 et 1990, une partie des projections du Fespaco avaient lieu dans des cinémas en plein air et l’on attendait patiemment la nuit afin que débute la séance, parfois au clair de lune.

Sankara

Thomas Sankara et le réalisateur algérien Brahim Tsaki, lors du Fespaco en 1985. © Archives Jeune Afrique

Thomas Sankara et le réalisateur algérien Brahim Tsaki, lors du Fespaco en 1985. © Archives Jeune Afrique

Archives Jeune Afrique

Après son arrivée au pouvoir, Sankara s’est beaucoup intéressé à cette manifestation panafricaine qu’est le Fespaco. Il a toujours remis lui-même le grand prix lors de la cérémonie de clôture, par exemple à l’Algérien Brahim Tsaaki pour Histoire d’une rencontre en 1985. Et lors d’un voyage aux États-Unis, il a rencontré de grands acteurs africains-américains qu’il a invités à venir au Fespaco. Dany Glover, ainsi, a fréquenté plusieurs fois le festival, qui présente d’ailleurs depuis une section de films de la diaspora qui peuvent obtenir le prix Paul-Robeson.

Sécurité

Des soldats en patrouille à Ouagadougou, en 2017. © ISSOUF SANOGO / AFP

Des soldats en patrouille à Ouagadougou, en 2017. © ISSOUF SANOGO / AFP

ISSOUF SANOGO / AFP

Depuis les deux dernières éditions du Fespaco, en raison des menaces djihadistes, des half-tracks ont été régulièrement disposés près des lieux stratégiques du festival, notamment devant certains hôtels et surtout devant le tapis rouge installé façon Cannes.

Un vrai ministère

Le site du Fespaco à Ouagadougou en 2015. © Sophie Gardia . HansLucas

Le site du Fespaco à Ouagadougou en 2015. © Sophie Gardia . HansLucas

Sophie Gardia . HansLucas

Le siège du Fespaco à Ouagadougou, qui comprend plusieurs bâtiments dont celui de la cinémathèque Afrique, est digne d’un ministère !

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