« Rencontrer mon père » : thérapie familiale, caméra à la main

Dans son nouveau documentaire, le réalisateur sénégalais Alassane Diago fait longuement face à son géniteur, qui a quitté sa famille pendant vingt ans sans donner de nouvelles.

« Rencontrer mon père » plonge le spectateur dans un huis clos souvent embarrassant. © JHR films

« Rencontrer mon père » plonge le spectateur dans un huis clos souvent embarrassant. © JHR films

leo_pajon

Publié le 27 février 2019 Lecture : 2 minutes.

On avait rarement ressenti une telle gêne au cinéma. Dans Rencontrer mon père, son troisième film documentaire, après Les Larmes de l’émigration (récompensé dans plusieurs festivals), en 2010, et La vie n’est pas immobile, en 2012, le Sénégalais de 33 ans Alassane Diago continue à nous raconter son histoire en vidéo. Mais cette fois, il s’enfonce encore un peu plus loin sur le chemin douloureux de son passé en embarquant les spectateurs au passage.

Sujet intime

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Rencontrer mon père : extrait 3 from JHR Films on Vimeo.

On ressent déjà la gêne – partagée – de la mère visiblement pudique à s’exprimer sur un sujet intime

Né à Agnam Lidoubé, un village peul du nord-est du Sénégal, il a vu son père quitter le foyer familial, comme beaucoup d’éleveurs qui émigraient pour fuir les sécheresses décimant le bétail dans les années 1970 et 1980. Sauf que le sien n’est jamais revenu. Le patriarche n’envoyait pas d’argent, ne donnait aucune nouvelle, ne passait même pas un coup de fil, laissant les siens dans une situation plus que précaire. Seules quelques photos aux couleurs passées, accrochées au mur, rappelaient son souvenir. Une fuite masculine pas si singulière, à en croire le réalisateur, dont la sœur a été quittée par son mari, et la nièce, également abandonnée par son père.

Dans Rencontrer mon père, Alassane Diago estime que, étant « devenu un homme », il se doit d’aller visiter ce paternel absent et chercher à comprendre les raisons de son départ. Dans son village, il interroge d’abord sa mère. Mais la discussion, pourtant longue, tourne court assez rapidement. Pour elle, cette absence est « la volonté de Dieu ». Son mari n’avait pas le choix, sinon il serait rentré. On ressent déjà la gêne – partagée – de cette femme visiblement pudique à s’exprimer sur un sujet intime.

Réquisitoire humiliant

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Rencontrer mon père – Extrait 2 from JHR Films on Vimeo.

Le dispositif renforce encore l’impression d’un procès ou d’un règlement de comptes dont nous serions les témoins non consentants

La suite vire au malaise. Arrivé au Gabon, le réalisateur retrouve son père et le filme durant de longs entretiens à huis clos… qui s’apparentent rapidement à des réquisitoires. Le paternel, qui avoue s’être déjà senti humilié par les précédents documentaires de son fils, est incapable de répondre sur les raisons qui l’ont conduit à partir sans donner de nouvelles.

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En résultent d’interminables séquences durant lesquelles, troublé, il tripote ses téléphones portables ou égrène son chapelet en gardant le silence. Le dispositif tous les entretiens sont menés face caméra – renforce encore l’impression d’un procès ou d’un règlement de comptes dont nous serions les témoins non consentants.

Malgré les moyens rudimentaires dont il dispose, Alassane Diago réussit à capter des moments d’intimité forts, parfois comiques (comme ce moment où sa mère, très pieuse, l’oblige à emporter plusieurs bouteilles d’eau bénite pour son voyage). Il sait aussi rendre toute la beauté atmosphérique du Sénégal et du Gabon, balayés par des tempêtes de sable et par l’orage. Mais l’on reste surpris et gêné de le voir se livrer à une thérapie familiale sauvage, caméra en main.

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