Ports secs : le nouvel atout des logisticiens

Afin de fluidifier le trafic autour des terminaux et de baisser le coût des marchandises, les opérateurs installent de plus en plus de plateformes dans les corridors.

CMA CGM Port sec de Dakar © CMA CGM

CMA CGM Port sec de Dakar © CMA CGM

Publié le 27 février 2019 Lecture : 7 minutes.

Port sec ? Un mot magique sur le continent, dont le développement économique est freiné par des déficiences logistiques. « Le port sec, dans la mesure où il facilite le commerce, est au centre de nos préoccupations », résume Patrick Lawson, directeur des concessions chez Bolloré Ports, qui en gère une petite trentaine, de tailles et de vocations différentes, en Afrique.

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Mais un port sec, par définition une plateforme située en dehors de la zone portuaire, n’est pas qu’un simple lieu de dépôt de conteneurs vides indésirables sur les terminaux portuaires. « Il s’agit d’un outil stratégique dans la chaîne logistique, et pas seulement sur le continent », assure Éric Bonnemaison, un ancien général qui dirige depuis un an la logistique intérieure de CMA CGM en Afrique.

Au-delà de ses lignes maritimes, son cœur de métier, l’armateur numéro deux sur le continent a l’ambition de devenir un grand de la logistique à l’échelle mondiale – en témoigne l’OPA en cours sur le suisse Ceva Logistics. La différence se joue sur la capacité à livrer une marchandise d’un point A, le vendeur, à un point B, l’acheteur, même très loin à l’intérieur du continent. Donc de maîtriser toute la chaîne de valeur. « Avec la nécessité d’équilibrer les flux d’import et d’export pour réduire les coûts logistiques, l’enjeu majeur de nos métiers », explique Patrick Lawson.

Sur le continent, le blocage ne se situe plus dans l’enceinte du port lui-même mais dans le corridor, qui a souvent pour point de départ ou d’arrivée des villes-ports titanesques et encombrées. Alors que la population africaine doit plus que doubler d’ici à 2050, avec une personne sur neuf résidant dans les grandes villes, rien ne permet d’espérer que la circulation à Dakar, à Abidjan, à Lagos ou à Luanda gagnera en fluidité. Or la congestion a un impact énorme sur le coût logistique quand il faut une semaine d’attente à un camion pour parcourir les sept derniers kilomètres jusqu’au terminal à conteneurs de Lagos.

Optimiser les dépôts en stockant des boîtes pleines

Dans un tel contexte, il y a plusieurs options. L’une d’elles consiste à évacuer des terminaux les conteneurs dont la présence n’est pas indispensable. D’où ces dépôts de boîtes vides que la plupart des armateurs ont installés non loin des ports. Mais ce type de site peut être optimisé.

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Éric Bonnemaison – dont le groupe dispose d’une dizaine de plateformes en Afrique de l’Ouest (la dernière-née, de 13 ha, sera dévolue au bois et mise en service fin février à Kribi), ainsi qu’en Algérie, au Maroc, en Afrique du Sud, au Mozambique et à Madagascar – explique : « Nous en profitons pour assurer des missions allant au-delà du simple stockage. Nous réparons, nettoyons et remettons en état les conteneurs. »

Le dépôt peut aussi servir à stocker des conteneurs pleins, notamment s’ils ont vocation à partir ou à arriver à travers un corridor. L’investissement de départ est plus élevé, car il faut un terre-plein agrémenté d’un revêtement ou, en tout cas, capable de supporter les manœuvres d’un chariot élévateur chargé de 120 à 130 tonnes. Ce port sec qui peut aussi, toujours dans une logique d’équilibre des flux, se conjuguer avec une plateforme spécialisée dans une matière première destinée à l’export (comme Bolloré l’a fait à Vridi pour le cacao) se transforme alors en véritable port intérieur avec les mêmes missions qu’un terminal de bord à quai, la manutention verticale mise à part : dédouanement et inspections sanitaires, désinfection, pesage voire entreposage, empotage-dépotage, et même packaging. À la fois port et plateforme logistique, le vrai port sec conjugue diverses compétences. Le gros projet en cours de Bolloré au PK28, à Abidjan – une quarantaine d’hectares –, en est un exemple parfait.

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Libérer de l’espace pour réaliser les process industriels sur place

Là encore, le port sec trouve sa vocation de décongestionnement des agglomérations portuaires : les agro-industriels peuvent libérer de l’espace pour leurs opérations et confier leurs flux logistiques à une plateforme de stockage gérée par un logisticien.

Et si elle est sous douane, pour accueillir des marchandises qui ont vocation à être stockées et ne sont pas dédouanées, c’est encore mieux. « L’avantage d’un port sec est qu’il génère des externalités positives, résume Patrick Lawson. Il attire des activités économiques. »

PORT SEC DAKAR CMA CGM © CMA CGM

PORT SEC DAKAR CMA CGM © CMA CGM

Qui dispose de telles structures sur le continent ? Peu d’acteurs encore, même si tous les logisticiens en rêvent, notamment pour stocker et maintenir à température les conteneurs réfrigérés, l’un des métiers les plus lucratifs de la chaîne de transport conteneurisée. Sur son port sec de Dakar, CMA CGM a ainsi installé plusieurs dizaines de prises pour répondre à la croissance des productions maraîchères dans la vallée du fleuve Niger, exportées notamment vers l’Europe. Le port sec va alors être au service du corridor pour le brancher sur les lignes maritimes internationales.

Le port sec doit permettre de développer les échanges intra-africains et rendre les économies moins dépendantes des chocs extérieurs

Améliorer la connexion logistique avec les pays intérieurs, sachant que le coût pour déplacer un conteneur est estimé à 2 dollars le kilomètre, est une vocation majeure du port sec. L’opérateur de terminaux portuaires émirati DP World, qui a achevé fin 2018 sa plateforme de 13 ha à 20 km de Kigali, estime ainsi qu’en mutualisant et en équilibrant les flux sur un seul site efficace, il sera en mesure de réduire de quelques dizaines de dollars au moins le coût logistique d’un conteneur venant de Shanghai. Actuellement inférieur à 1 000 dollars pour le transit maritime jusqu’au port de Mombasa, ce tarif est trois fois plus élevé entre Mombasa et Kigali.

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« Le port sec, souligne Patrick Lawson, doit permettre de développer les échanges intra-africains et d’assurer la montée en gamme du commerce sur le continent en rendant les économies moins dépendantes des chocs extérieurs. Ce qui est aussi positif pour nos métiers. »

Les marges de croissance sont importantes pour les logisticiens, d’où cette course aux bonnes plateformes. « Mais, tempère le responsable de Bolloré Ports, la rupture de charge qu’exige un port sec doit représenter un gain au niveau macroéconomique et apporter des services à valeur ajoutée. Tous les projets qui ne vont pas dans ce sens doivent être regardés avec attention. »

La connexion au port maritime, un enjeu crucial

Construire un port sec quand on a le terrain, c’est possible, même si les discussions pour obtenir une licence et un cadre juridique peuvent prendre des années dans certains pays. Le relier de manière fluide au port maritime, c’est souvent bien plus compliqué. Les logisticiens envisagent différentes méthodes alternatives, telle celle de Bolloré avec son système de barges à Lagos. « Tant qu’à réaliser une rupture de charge, autant la rendre multimodale », indique Patrick Lawson, de Bolloré Ports.

En dehors de certains cas, comme Alger, le rail reste embryonnaire. Côté route, les liens étroits avec un transporteur peuvent permettre d’optimiser les flottes. Les logisticiens préfèrent faire appel à des sous-traitants plutôt que de se procurer eux-mêmes des camions. CMA CGM dispose de quelques véhicules mais n’a pas acquis de transporteur routier.

À Dakar, Bolloré Ports a cependant acheté des remorques porte-chars pour son propre trafic de voitures utilisant sa nouvelle plateforme de 20 ha de Diamniadio, ouverte depuis un an pour gérer les flux vers le Mali. « Elle nous permet d’évacuer les véhicules stockés sur notre terminal roulier maritime de Dakar en ne dépassant pas la franchise de douane, quelle que soit la congestion portuaire, explique Patrick Lawson. Notre nouvelle logistique a fait baisser de 5 % à 10 % le flux de camions dans le port de Dakar. » Et elle évite aux transporteurs maliens 40 km de route vers Dakar, qui peuvent leur imposer jusqu’à quatre jours d’attente. « Nous voyons régulièrement les autorités sénégalaises au sein d’un groupe de travail, car la lutte contre la congestion portuaire et urbaine est en tête de nos priorités. » Bolloré Ports envisage ainsi d’étendre à d’autres types de flux vers le Mali ce qui a fonctionné pour les voitures.

En Algérie, c’est l’État qui décide

L’encombrement endémique des ports d’Alger et d’Oran a permis à l’Algérie d’avoir un coup d’avance en matière de port sec. Mais plus qu’une plateforme logistique à la manière de ce qui se développe en Afrique subsaharienne, il s’agit davantage d’une excroissance du port maritime. Les CMA CGM, Maersk, MSC et autres transporteurs ont tous un port sec (voire deux pour CMA CGM) vers lequel les cargaisons de certains navires sont envoyées. Depuis l’an passé, la législation a changé, et c’est l’État algérien qui décide lui-même, avant la ligne ou son client, si telle ou telle boîte va être dirigée puis dédouanée dans le port maritime ou dans le port sec.

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