Niger : Mohamed Bazoum, le dauphin confirmé de Mahamadou Issoufou

Compagnon de route de Mahamadou Issoufou depuis plus de trente ans, le ministre de l’Intérieur doit être désigné, le 31 mars, candidat à sa succession pour la présidentielle de 2021.

Mohamed Bazoum en visite au camp militaire de Bosso, en juin 2016, après une attaque de Boko Haram. © ISSOUF SANOGO/AFP

Mohamed Bazoum en visite au camp militaire de Bosso, en juin 2016, après une attaque de Boko Haram. © ISSOUF SANOGO/AFP

MATHIEU-OLIVIER_2024

Publié le 5 mars 2019 Lecture : 7 minutes.

Ce 24 février, à Madaoua, dans la région de Tahoua, Mohamed Bazoum paraît imperturbable derrière ses fines lunettes. Il est venu présenter ses condoléances, au nom du président Mahamadou Issoufou, aux familles des victimes d’un accident de la route. Assis aux côtés des proches des défunts, le ministre de l’Intérieur mêle ses prières aux leurs. Le temps est au recueillement.

Son calendrier n’est pourtant pas de tout repos : il enchaîne ces derniers temps les réunions de sécurité, les rencontres diplomatiques et les comités du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS, au pouvoir), dont il est le président. Surtout, il est depuis le 10 février le candidat choisi par le présidium du parti pour briguer la succession de Mahamadou Issoufou en 2021, alors que l’actuel chef de l’État ne peut constitutionnellement pas se représenter.

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Le dauphin légitime

Il ne reste, pour ce ministre originaire de Bilabrine, près de Diffa, qu’une étape à franchir : le congrès d’investiture du parti au pouvoir, le 31 mars, au cours duquel la décision doit encore être officiellement validée. Une simple formalité. Depuis le limogeage, le 31 janvier, du ministre des Finances Hassoumi Massaoudou, qui avait imprudemment fait connaître ses ambitions présidentielles, Mohamed Bazoum a reçu le soutien de tous les barons du PNDS, Ouhoumoudou Mahamadou, directeur de cabinet du président, en tête.

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Le parti avait prévu d’attendre 2020 pour se choisir un candidat, mais il a finalement décidé d’accélérer les choses afin de « préserver l’unité du parti et d’éviter la multiplication des ambitions », confie un cadre. « Toutes les régions ont apporté leur soutien », se réjouit l’un des conseillers de Mohamed Bazoum, qui ajoute, sûr de lui et dans un sourire : « Tout est fini. »

Leader étudiant

« Tout », soit des années de lutte pour s’imposer comme le dauphin légitime du président sortant. Né en 1960 au sein de la tribu des Ouled Slimane, ultraminoritaire au Niger et originaire du Fezzan, aux confins du Tchad, Mohamed Bazoum est en effet entré très tôt en politique. En 1982, il commence par s’engager dans un cursus de philosophie à l’université de Dakar, puis regagne le Niger deux ans plus tard, où il enseigne aux lycées de Tahoua puis de Maradi, jusqu’en 1991. Mais la politique ne le quitte jamais vraiment. Animant régulièrement des conférences, il intègre le Syndicat national des enseignants du Niger puis l’Union des syndicats des travailleurs du Niger (USTN), dont il devient le coordonnateur régional pour Maradi en 1989.

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Fervent leader étudiant, il s’engage lors de la marche du 9 février 1990 contre le général Ali Saïbou, successeur du très autoritaire Seyni Kountché. La répression fait trois morts. La tension monte, et Saïbou finit par ouvrir la conférence nationale de 1991, qui doit aboutir à la mise en place effective du multipartisme. Société civile et politiques sont au rendez-vous. Parmi eux : Mohamed Bazoum, représentant de l’USTN et qui a cofondé, le 23 décembre 1990, le PNDS avec Mahamadou Issoufou.

Mahamadou Issoufou, président du Niger. © Vincent Fournier/J.A

Mahamadou Issoufou, président du Niger. © Vincent Fournier/J.A

En 1993, à peine élu député de Tesker, il soutient Mahamadou Issoufou au premier tour de la présidentielle

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Quatre-vingt-dix-huit jours plus tard, lors de la séance de clôture, Ali Saïbou accepte une période de transition. Mohamed Bazoum est nommé secrétaire d’État auprès du ministre des Affaires étrangères. En 1993, à peine élu député de Tesker (il sera reconduit en 1997, 2004, 2011 et 2016), il soutient Mahamadou Issoufou au premier tour de la présidentielle puis prend part à la coalition qui porte Mahamane Ousmane à la victoire.

Motion de censure

Alors que le PNDS – dont il est, avec Issoufou Katambe, le visage à l’international – remporte les législatives de 1995, il intègre une nouvelle fois le gouvernement, comme ministre (cette fois de plein exercice) des Affaires étrangères.

Une satisfaction de courte durée : en janvier 1996, Ibrahim Baré Maïnassara renverse le gouvernement et exerce un pouvoir autoritaire durant trois ans, avant d’être assassiné le 9 avril 1999. Une nouvelle présidentielle est organisée. Soutenant Issoufou une nouvelle fois, Bazoum assiste à la défaite de ce dernier face à Mamadou Tandja. Le député de Tesker entre dans l’opposition.

« Grand tribun et meneur », comme le décrit un proche, c’est lui qui, en 2007, présente la motion de censure contre le gouvernement du Premier ministre Hama Amadou. Déposé, ce dernier est remplacé par Seyni Oumarou. Bazoum fait alors plusieurs séjours en prison, tout comme son compère Hassoumi Massaoudou ou Soumana Sanda, tandis que l’opposition et la société civile, réunis dans la Coordination des forces démocratiques pour la République, manifestent contre le Tazarché : la volonté de Mamadou Tandja de modifier la Constitution pour se maintenir au pouvoir.

Mohamed Bazoum. © Vincent Fournier/J.A.

Mohamed Bazoum. © Vincent Fournier/J.A.

Il avait déjà des réseaux hérités de ses années d’étudiant, mais c’est ce qui a construit sa stature politique

À plusieurs reprises, fin 2009, il s’entretient avec l’ambassadrice américaine Bernadette Allen et s’impose comme un interlocuteur régulier des diplomates occidentaux à Niamey, qui ont noté son lien fort avec Mahamadou Issoufou. En février 2010, Mamadou Tandja est à son tour renversé par les mutins du colonel Salou Djibo, qui, conformément à sa promesse, organise une présidentielle un an plus tard. Cette fois, Mahamadou Issoufou est élu. Et Mohamed Bazoum retrouve un poste qu’il connaît bien : celui de chef de la diplomatie. « Cela l’a considérablement renforcé », confie l’un de ses amis. « Il avait déjà des réseaux hérités de ses années d’étudiant, mais c’est ce qui a construit sa stature politique », ajoute un autre proche.

Interlocuteur privilégié

Quand la révolution s’engage en Libye, début 2011, il ne cache pas son hostilité à une intervention occidentale qui déstabiliserait toute la région. Fort de ses contacts avec les Toubous et les Arabes de l’est et du nord du Niger, il sait que le pays est une poudrière et craint que le conflit ne se développe au Mali. Il critique le président Amadou Toumani Touré pour sa supposée complaisance envers les réseaux criminels du Nord.

Influent au sein de l’Union africaine, il reste un interlocuteur privilégié de la diplomatie française, et notamment du ministre Laurent Fabius. Rencontré au sein de l’Internationale socialiste, dont fait partie le PNDS, celui-ci apprécie son expertise. Le Quai d’Orsay profite de ses réseaux en Libye et au Sahel, du Tchad à la Mauritanie. Nouakchott le soupçonne d’ailleurs d’entretenir des liens avec l’opposant mauritanien Mohamed Ould Bouamatou, ce qu’il dément.

Devenu la bête noire de l’opposition et de la société civile, il n’hésite pas à endosser le rôle de bras armé du président

Au fil des années, l’ancien syndicaliste conserve sa position de force et sa proximité avec Mahamadou Issoufou. Engagé dans la course à la présidentielle de 2016, pour un second mandat, le président prend soin de rappeler son compagnon de route auprès de lui comme ministre d’État auprès de la présidence. Sitôt la victoire conquise, Mohamed Bazoum est récompensé.

Nommé au ministère de l’Intérieur, il en profite pour prendre en main les dossiers liés à l’immigration, ce qui lui donne l’occasion de tisser davantage de liens avec les diplomaties européennes. Proche de l’ambassadeur français Marcel Escure – remplacé fin 2018 –, il est en contact régulier avec des parlementaires comme Jacques Maire, aujourd’hui député La République en marche et président du groupe d’amitié France-Niger à l’Assemblée nationale.

Le président Mahamadou Issoufou, le 18 décembre 2014. © VINCENT FOURNIER/JA

Le président Mahamadou Issoufou, le 18 décembre 2014. © VINCENT FOURNIER/JA

Il est le seul ministre à qui Issoufou a délégué autant

Surtout, le ministre sillonne son pays, au point que beaucoup le disent en campagne. « Le président lui a confié l’Intérieur pour le rapprocher du terrain », rappelle l’un de ses collègues du gouvernement. Devenu la bête noire de l’opposition et de la société civile, où évoluent pourtant certains de ses anciens alliés, il n’hésite pas à endosser le rôle de bras armé du président. Quitte à passer pour autoritaire. « Il est le seul ministre à qui Issoufou a délégué autant », confie un proche.

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Plusieurs fois, l’ancien marxiste a même été annoncé à la primature, en remplacement de Brigi Rafini. Mais la rumeur a tourné court, sans que sa position en ait été fragilisée. Présenté depuis plusieurs années comme le dauphin naturel de Mahamadou Issoufou, l’enfant de Bilabrine a su patienter, consolidant son image et sa position au sein du PNDS. Le voici, sauf faux pas, aux portes de la présidence. Ses adversaires, eux, ont moins de deux ans pour déjouer ses plans.

Son réseau tissé à Dakar

« C’est à Dakar qu’il a construit les bases de l’action qu’il va mener au Niger », affirme un proche de Mohamed Bazoum. Le futur ministre de l’Intérieur a fait ses études supérieures à l’université Cheikh-Anta-Diop au début des années 1980, où il a suivi un cursus de philosophie, option « politique et morale ».

Militant marxiste, il trouve au Sénégal « un espace de liberté qui n’existait pas au Niger », confie l’un de ses amis. Et noue des liens avec Abdoulaye Bathily, futur ministre sénégalais, Mamadou Ndoye, qui deviendra secrétaire général du parti politique local La Ligue démocratique, et avec Salif Diallo, bien avant qu’il ne préside l’Assemblée nationale du Burkina Faso.

Farouche orateur, il s’oppose au parti socialiste d’Abdou Diouf. Les troupes du président le surnomment alors le « nar [“arabe”] nigérien ». À l’époque, il effectue ses premiers voyages en Union soviétique, à Cuba, en Angola, en Afrique du Sud et au Burkina Faso au nom de l’Union internationale des étudiants –, parfois clandestinement.

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