Bénin : la tentation autoritaire
Pour la première fois depuis trente ans, aucun candidat de l’opposition ne sera autorisé à concourir aux législatives d’avril. Faut-il s’en inquiéter ?
Législatives au Bénin sans l’opposition : les enjeux d’un scrutin inédit
Les Béninois sont appelés aux urnes, dimanche 28 avril, pour des législatives inédites dans le pays depuis l’instauration du multipartisme : aucune liste d’opposition ne participe à ce scrutin. Un « recul de la démocratie et de l’État de droit », pour l’opposition, accusée par la mouvance présidentielle de n’avoir « pas été à la hauteur des exigences des nouvelles lois ».
Les Béninois seront-ils encore nombreux à se rendre aux urnes pour les législatives du 28 avril ? Pour la première fois depuis le « renouveau démocratique » qu’a connu le pays, en 1990, aucun candidat de l’opposition ne sera autorisé à concourir à ce scrutin. Le 5 mars, la Commission électorale (Cena) a confirmé la liste des partis politiques qui y prendront part. Celle-ci ne comporte que deux formations, soutenant l’une et l’autre le chef de l’État : l’Union progressiste et le Bloc républicain.
Cette situation inédite est la conséquence de la réforme du système partisan et du code électoral voulue par Patrice Talon.
La caution que doivent verser les partis pour participer aux législatives a été revue à la hausse, de 8,3 millions à 249 millions de F CFA (d’environ 13 000 à 380 000 euros). Ceux-ci doivent aussi désormais présenter un « quitus fiscal » ainsi qu’un « certificat de conformité » aux nouvelles dispositions de la charte des partis politiques.
Problème, l’obtention de ces deux documents est soumise au pouvoir discrétionnaire de l’administration publique : la direction des impôts pour le premier et le ministère de l’Intérieur pour le second. Or aucun parti d’opposition n’est parvenu à obtenir ces sésames dans les temps. Même pas les puissantes Forces Cauris pour un Bénin émergent (FCBE), de l’ancien président Boni Yayi, ni l’Union sociale libérale (USL), du troisième homme de la présidentielle de 2016, l’homme d’affaires Sébastien Ajavon, condamné depuis par la justice béninoise à vingt ans de prison pour trafic de drogue et exilé en France.
Pour justifier ses refus, le ministre de l’Intérieur, Sacca Lafia, évoque notamment des documents manquants, irrecevables ou falsifiés. Mais, pour le député Guy Mitokpè, dont le parti, Restaurer l’espoir, est aussi exclu de la course faute de certificat de conformité, les motivations réelles de ces réformes ne font guère de doute. « Elles sont faites pour mettre fin à nos acquis démocratiques. Le sauveur annoncé est devenu notre bourreau. C’est triste ! » déplore cet ancien proche du président, qui s’en est éloigné après la démission de son chef de parti, l’ex-ministre de la Défense Candide Azannaï.
Comprendre comment le Bénin en est arrivé là
Pour comprendre comment le Bénin en est arrivé là, il faut remonter au mois d’avril 2017. Patrice Talon, alors en fonction depuis un an, soumet aux députés un projet de révision constitutionnelle avec pour objectif assumé de réduire le nombre de partis. Elle contient aussi l’instauration d’un mandat unique pour le président. Mais les députés le rejettent, provoquant l’ire du pouvoir. Le ministre de la Justice d’alors, Joseph Djogbenou, menace de gouverner désormais par « la ruse et la rage ».
Droit de grève de certains fonctionnaires
Puis, en janvier 2018, le chef de l’État connaît une nouvelle déconvenue : sa réforme du droit de grève est cassée par la Cour constitutionnelle, alors dirigée par Théodore Holo. En juin, ce père de la Constitution de 1990 est remplacé par Joseph Djogbenou, qui valide le projet du gouvernement. Le droit de grève est donc retiré à certains fonctionnaires : magistrats, agents de santé, et forces de défense et de sécurité. « On ne peut pas vouloir une chose et son contraire, se défend Yonnantché Boya, président de la Coalition des mouvements du nouveau départ (CMND, majorité). Nos parents meurent faute de soins dans les hôpitaux. Le Bénin, jadis Quartier latin de l’Afrique, est devenu au fil des mouvements de protestation dans l’enseignement un amas d’inculture. Et comment voulez-vous que des hommes en armes fassent des grèves ? C’était irresponsable ! »
Les débrayages et les accusations de « diktat » n’y feront rien. Pis : en septembre 2018, sur l’initiative du gouvernement, le Parlement durcit les mesures : aucun agent public ne pourra se mettre en grève plus de dix jours par an. Syndicats, société civile et intellectuels ont beau pester contre une « loi liberticide », la pilule amère passe, tout comme celle appliquée à la justice (lire ci-dessous).
L’opposition est vent debout. L’annonce de sa non-participation aux législatives a déjà provoqué des manifestations, le 26 février, à Porto-Novo, à Tchaourou et à Kilibo, faisant un mort par balle et plusieurs blessés. « Talon conduit le Bénin comme un bateau ivre, accuse un proche de Boni Yayi. Il ne se donne pas de limites. C’est la ruse et la rage comme annoncé ! »
Présidence inflexible
Pour autant, la présidence reste inflexible. « On oublie que ce chef de l’État, à qui on reproche de vouloir tout contrôler, a fait beaucoup pour les fonctionnaires : revalorisation des traitements, mise en place d’une couverture sociale et paiement des arriérés dus depuis près de dix ans », rappelle l’un de ses proches. Et de mentionner sa politique de lutte contre la corruption. Si l’opposition y voit une « chasse aux sorcières » dirigée contre elle, des poursuites ont aussi été lancées contre certaines personnalités de l’entourage de Talon, comme le préfet du Littoral, Modeste Toboula, et le ministre de la Décentralisation, Barnabé Dassigli, tous deux limogés le 20 février.
Reste que la défiance s’est installée. Désormais, l’opposition doute que le président respecte son engagement de quitter le pouvoir en 2021, après un seul mandat. Au lendemain de l’échec de la révision constitutionnelle, il avait dit qu’il « aviserait » le moment venu. Depuis, cette petite phrase hante bien des esprits au Bénin.
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