François de Rugy : « Les problèmes écologiques ont des conséquences sécuritaires »

À la fin du mois de février, le ministre français de la Transition écologique et solidaire était à Niamey pour le sommet des chefs d’État et de gouvernement de la Commission climat pour le Sahel. François de Rugy a détaillé à Jeune Afrique les ambitions françaises pour le continent.

Interview de François de Rugy, Ministre de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie au ministère, Paris le  6 mars 2019.© Bruno Levy pour JA © Bruno Levy pour JA

Interview de François de Rugy, Ministre de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie au ministère, Paris le 6 mars 2019.© Bruno Levy pour JA © Bruno Levy pour JA

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Publié le 13 mars 2019 Lecture : 5 minutes.

Jeune Afrique : Vous rentrez du Niger, où vous avez participé au lancement d’un plan d’investissement climatique de 400 milliards de dollars sur douze ans. Quelle sera précisément la contribution de la France ?

François de Rugy : La France ne peut que saluer la démarche régionale des pays du Sahel, qui va dans le sens des déclinaisons locales issues de l’accord de Paris. Dans cette région du monde, le principal enjeu est l’adaptation au dérèglement climatique, plutôt que la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Mais l’autre sujet primordial, c’est l’accès à une énergie décarbonée.

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Sur ce point, la France peut apporter son soutien. J’ai d’ailleurs profité de mon passage au Niger pour lancer la construction d’une centrale solaire photovoltaïque, financée par l’Union européenne (UE) et l’Agence française de développement (AFD). J’ai eu quelques entretiens bilatéraux, notamment avec le président du Tchad, Idriss Déby Itno, qui s’est dit intéressé par des échanges avec nos entreprises sur les questions environnementales, et notamment l’énergie solaire.

Le bassin du Congo est considéré comme le second poumon vert de la planète, après l'Amazonie. © SAURABH DAS/AP/SIPA

Le bassin du Congo est considéré comme le second poumon vert de la planète, après l'Amazonie. © SAURABH DAS/AP/SIPA

À Niamey, vous avez eu un entretien avec le président Denis Sassou Nguesso au sujet du Fonds bleu pour le bassin du Congo. La France compte-t-elle participer à son financement?

Nous observons avec intérêt le développement du Fonds bleu, une démarche régionale importante et positive. Nous analyserons les possibilités de financement sur la base des projets présentés. Notre démarche est de soutenir ces initiatives plutôt que d’engager une somme d’argent a priori.

>>> À LIRE – Climat – Denis Sassou Nguesso : « Pour le bassin du Congo, fini le temps des promesses »

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Vous serez présent au One Planet Summit, à Nairobi, le 14 mars.Le défi sera-t-il de concilier les intérêts des économies émergentes et ceux des grands pays industrialisés ?

C’est la première fois que le sommet a lieu en Afrique, et en l’occurrence dans un pays en voie de développement. L’idée est de réunir des pays et des partenaires privés pour créer une dynamique d’engagement, en partant des forces africaines.

Sur le temps long, favoriser le développement durable d’un pays, c’est permettre à ses forces vives d’y construire son avenir, et sortir d’une immigration subie

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Je peux comprendre que le raisonnement qui donnerait la priorité au développement économique sur l’écologie existe. Mais, après mon passage à Niamey, je reste optimiste. Aujourd’hui, y compris en Afrique, chacun s’accorde sur la nécessité de mener le combat du développement sur deux fronts : économique et écologique. Regardez le lac Tchad, dont la superficie a déjà été divisée par dix. On ne peut plus se dire : « Attention, dans vingt ans, nous allons avoir des problèmes. » C’est déjà le cas.

Dans la région du lac Tchad justement, vous estimez qu’une approche environnementale peut aider à résoudre la crise sécuritaire. De quelle façon ?

Nos interlocuteurs africains le disent : le repli du lac comme l’avancée du désert au Sahel créent des déstabilisations qui sont des terreaux favorables à des mouvements terroristes. Lorsque les conditions environnementales se dégradent, les activités économiques sont touchées, notamment la pêche et l’agriculture. On ne peut pas opposer les deux ou nier que les problèmes écologiques auront des conséquences économiques, sociales, voire sécuritaires.

En extrapolant, certains vous reprochent de faire de l’aide au développement durable un outil de gestion de l’immigration…

D’abord, je vais le repréciser : la volonté de la France n’est pas l’immigration zéro, mais la régulation, avec de meilleures conditions d’accueil pour l’immigration légale, tout en luttant contre l’immigration irrégulière. Dans cette perspective, nous plaidons pour une gestion concertée de la question.

Le lien entre immigration et développement est complexe, mais réel. Il ne faut pas tomber dans la simplification extrême : apporter l’électricité ne va pas mettre fin à ces problématiques. Mais, sur le temps long, favoriser le développement durable d’un pays, c’est permettre à ses forces vives d’y construire son avenir, et sortir d’une immigration subie.

La compétitivité n’est pas un gros mot, elle peut aussi être écologique

Vous plaidez également pour le développement d’une agriculture locale en Afrique. Que peut apporter la France sur ce terrain ?

L’agriculture locale, à savoir des cultures vivrières rendant moins dépendant des importations, est un vecteur clé du développement durable. La France apportera son soutien dans le domaine des techniques, sans toutefois donner de leçons ou imposer des pratiques. Chaque pays a ses spécificités locales, et si l’on peut aider à les moderniser et à les transmettre nous le faisons : au Sahel, l’AFD a déjà consacré plus de 250 millions d’euros au soutien de projets concourant au développement de l’agroécologie.

Aider au développement d’une agriculture locale n’entre-t-il pas en contradiction avec les intérêts des agriculteurs français qui exportent ?

C’est un petit sujet de tension. Dans nos accords commerciaux, nous devons veiller, en partenariat avec l’UE, à trouver un juste équilibre. Mais, si nous devons réduire certaines de nos exportations pour ne pas déstabiliser une économie locale, nous le ferons.

Cela dit, c’est une dynamique mutuelle. Certains pays se sont tournés d’eux-mêmes vers une agriculture d’exportation, que ce soit avec le café, le cacao ou l’huile de palme, en réaction à la demande mondiale, et ont délaissé des cultures vivrières. Cela doit aussi évoluer. L’idée est de reconstruire des équilibres durables de nature à satisfaire les besoins des uns et des autres.

Dans un contexte de forte concurrence, la France a-t-elle les moyens d’imposer des normes environnementales plus contraignantes à ses multinationales en Afrique, face à des pays moins regardants comme la Chine ?

La France mais également l’UE imposent déjà beaucoup de normes aux multinationales. Bien sûr, nous pourrions aller plus loin. Mais notre action est réelle. Le président de la République a d’ailleurs fixé un principe, et nous espérons le faire adopter par l’UE, selon lequel aucun accord commercial ne pourra être signé avec un pays qui ne serait pas engagé dans l’application de l’accord de Paris.

La compétitivité n’est pas un gros mot. Il faut toujours l’avoir en tête. Mais elle peut aussi être écologique. Si elle évolue au détriment de l’environnement, on finit toujours par le payer. L’absence d’écologie dans l’économie, c’est un facteur d’alourdissement des coûts, même s’il est différé dans le temps.

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