Transport aérien : Air France soigne sa business class

Les lignes africaines seront parmi les premières à bénéficier du programme mondial de modernisation de la compagnie française. Objectif : répondre aux critiques persistantes et séduire une clientèle d’affaires exigeante et de plus en plus courtisée…

Un avion Air France (photo d’illustration). © Kentaro Iemoto from Tokyo, Japan by Wikimedia Commons

Un avion Air France (photo d’illustration). © Kentaro Iemoto from Tokyo, Japan by Wikimedia Commons

Rémy Darras © Francois Grivelet pour JA

Publié le 12 mars 2019 Lecture : 7 minutes.

S’il le faut, Frank Legré est prêt à embarquer dans le premier avion pour Cotonou et à y passer à nouveau quarante-huit heures. À la fin de janvier, le directeur général Afrique d’Air France a dû une nouvelle fois tenir le rôle du « Monsieur Bons Offices » dans la métropole béninoise pour apaiser les tensions ayant conduit à l’expulsion, fin 2018, de la déléguée de la compagnie française pour le Bénin et le Togo.

Cette dernière n’avait pas pu se rendre à un rendez-vous au palais de la Marina, alors même que les autorités reprochaient à Air France d’avoir négligé des proches du président, Patrice Talon, et certains ministres. « Le mouvement social que nous avons connu l’année dernière a perturbé notre exploitation et nui à la régularité de nos vols », explique Frank Legré, interrogé par JA.

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Incidents

Déjà en septembre 2018, c’est au Gabon que le responsable avait été dépêché pour éteindre un autre incendie et rassurer les autorités : quelques mois plus tôt, en juin, les commandants de bord, en grève, n’avaient pas été en mesure de passer les qualifications nécessaires pour piloter le nouvel appareil prévu pour la ligne Paris-Libreville. Aussi, un avion avait-il été affrété auprès du transporteur low cost Air Belgium pour remplacer pendant une dizaine de jours le Boeing 777 sur cette même ligne vers Libreville. Des pannes s’étaient ensuivies, suscitant l’ire des voyageurs habituels.

La cabine business n’est pas la même sur un Cotonou-Paris ou un Brazzaville-Paris que sur un Paris-Pékin

Pour anecdotiques qu’ils puissent paraître au regard de l’ensemble de l’activité du groupe, ces incidents entraînent des réactions fortes chez les passagers africains de la classe business, qui sont – plus souvent que sur n’importe quelle autre route – des officiels et des voyageurs à « haute contribution ». « Plus que le tarif très élevé des billets (en moyenne 6 000 euros l’aller-retour en business), c’est avant tout une question de considération », estime le très proche conseiller d’un chef d’État ouest-africain, habitué à rencontrer les équipes d’Air France.

Un A380-800 en décembre 2018. © CC / Wikipedia

Un A380-800 en décembre 2018. © CC / Wikipedia

« Les personnels de la compagnie manquent parfois de courtoisie et ne sont pas très accommodants avec les hautes personnalités qui arrivent au dernier moment. Et puis, la cabine business n’est pas la même sur un Cotonou-Paris ou un Brazzaville-Paris que sur un Paris-Pékin. Enfin, un Paris-Dakar est bien plus cher qu’un Paris-Johannesburg ou un Paris-New York. Tout cela est très mal perçu par les dirigeants africains », poursuit notre interlocuteur.

Le continent représente aujourd’hui 17 % de l’activité long-courrier d’Air France avec 27,4 millions de passagers au total en 2018

Ces tensions entre Air France et certains dirigeants africains ne sont pas inédites. Il y a plus de dix ans, de telles frictions étaient déjà apparues avec des responsables publics du Congo et du Tchad, au sujet de la qualité des plateaux-repas. La compagnie avait alors menacé de suspendre la ligne – ce qui avait rapidement apaisé les esprits –, mais accepté, en contrepartie, d’ajuster ses prix, sujet sensible.

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Un continent « vache à lait »

Dix ans plus tard, la réponse du transporteur à la gronde des responsables africains semble plus déférente. D’abord, parce que le continent représente aujourd’hui 17 % de son activité long-courrier (27,4 millions de passagers au total en 2018) et, d’après nos informations, près de 2 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Il est souvent décrit par les contempteurs d’Air France comme la « vache à lait » de la compagnie à l’hippocampe, tant la concurrence directe est faible pour ne pas dire inexistante.

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Par ailleurs, depuis quelques années, les flux africains se sont déplacés avec de plus en plus de passagers en direction de l’Asie (« une zone définitivement perdue pour Air France depuis l’Afrique », selon un bon connaisseur de la compagnie) et du Moyen-Orient, donnant naissance à une concurrence accrue : Ethiopian Airlines, Turkish Airlines, Emirates…

Les griefs des dirigeants africains ont-ils été entendus au siège de Roissy ? Hasard ou coïncidence, au moment même où le nouveau PDG d’Air France-KLM, le Canadien Ben Smith, présentait sa stratégie de montée en gamme de la compagnie autour de la marque Air France (et signait la fin de la filiale Joon après un an d’existence), la compagnie mettait en service début février sur les vols vers Accra et Ouagadougou les nouvelles cabines de ses Airbus A330, qui seront d’ici au mois d’octobre déployées vers Cotonou, cité plus haut, Niamey et Lagos, bien avant Chicago et Dallas.

Montée en gamme

Si ce programme est global et n’est pas lié au continent, cette stratégie permet toutefois à Air France de mieux se différencier sur le continent. Les capitales africaines seront d’ailleurs les premières du réseau à bénéficier de nouveaux sièges, de nouveaux programmes de divertissement sur un tout nouvel écran, d’un nouvel éclairage et d’une connectivité wifi disponible d’ici à 2020 sur 80 % des appareils… 140 millions d’euros seront investis dans le rafraîchissement des quinze A330 qui composent la flotte d’Air France (il n’y a pas de flotte dévolue à l’Afrique), 1 milliard sur cinq ans pour l’ensemble de la flotte et des Salons.

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« C’est en fait la poursuite et l’accélération d’un programme déjà engagé sous la présidence d’Alexandre de Juniac entre 2013 et 2016, 44 Boeing 777 avaient été rénovés, mais mis un peu entre parenthèses par son successeur, Jean‑Marc Janaillac, qui a surtout voulu réduire les coûts pour protéger Air France des retournements de cycles », indique Frank Legré.

La montée en gamme comprend aussi l’uniformisation des cabines, pour offrir la même « expérience-client » à tous les passagers sur la totalité du réseau. Car les appareils et les prestations ne sont souvent pas les mêmes entre un aller et un retour. Cela passera ainsi par la mise en place du même type d’avion sur chaque desserte.

Il est normal que, face à des compagnies qui misent sur le volume, Air France privilégie la qualité de service

Dès le mois d’avril, la route Paris-Abidjan actuellement desservie avec un A380, un 777 et un 787 (via Bamako) sera opérée par un 787. Un troisième vol quotidien sera ajouté trois fois par semaine. « De quoi offrir plus de flexibilité aux hommes d’affaires » souligne l’expert en transport aérien Paul Chiambaretto.

Lobbying très actif de la concurrence auprès des États africains

« On ne sera jamais une compagnie bon marché, le niveau des salaires n’est pas le même chez Air France qu’à Ethiopian Airlines ou à Royal Air Maroc. On ne pourra jamais se battre sur les prix, mais seulement sur les services et sur un meilleur rapport qualité-prix. On doit être plus proches de nos clients, plus à l’écoute », admet Frank Legré. « Il est normal que, face à des compagnies qui misent sur le volume, Air France privilégie la qualité de service », commente Didier Bréchemier, du cabinet Roland Berger.

Mais, en Afrique, cette opération de montée en gamme n’est pas que commerciale, elle vise aussi à resserrer les liens avec les décideurs politiques. Elle intervient au moment où Ethiopian, Turkish Airlines et Rwandair mènent des lobbyings très actifs auprès des États africains pour obtenir des fréquences supplémentaires et s’imposent en ouvrant des filiales ou des bases. C’est ainsi qu’Ethiopian, qui a signé l’année dernière des partenariats stratégiques avec une dizaine de pays (Tchad, Guinée, Ghana…), a lancé en mai 2018 un vol transatlantique en partenariat avec Air Côte d’Ivoire, dont Air France est actionnaire.

Le géant des airs d’Addis est même allé jusqu’à demander à l’ivoirien d’adapter la plage horaire de ses vols, alors que celle-ci était établie pour permettre aux passagers en provenance du Sahel de rejoindre l’Afrique centrale. De son côté, Rwandair étudie actuellement le lancement de deux vols vers Paris, l’un depuis Kigali via Bruxelles trois fois par semaine, et l’autre depuis sa base de Cotonou. D’après nos informations, Asky, filiale d’Ethiopian implantée à Lomé, recherche de nouveaux partenaires financiers et des fonds pour acquérir un appareil qui ferait la desserte vers l’Hexagone.

Si Air France sait que ces transporteurs peuvent lui tailler quelques croupières, il sait aussi qu’ils sont trop petits pour vaincre. Pour le colosse français, il y a avant tout une bataille d’influence à livrer, alors qu’Ethiopian est la compagnie qui relie le mieux les investisseurs chinois au continent. Un décrochage d’Air France serait vu comme un autre signe du déclin de la puissance française sur le continent.

L’Airbus A380 d’Air France dit adieu à Abidjan et à Johannesburg

Il faisait l’orgueil de la Côte d’Ivoire et d’Air France réunis. Les Airbus A380 qui relient quotidiennement Abidjan et Johannesburg seront retirés des routes africaines à partir du mois d’avril pour être redéployés vers les Amériques. Air France ne conservera que sept de ses dix A380.

Abidjan-New York : un an plus tard, pas de regrets pour Air France

Alors qu’Asky relie déjà Lomé à New York, le président Ouattara avait lui aussi voulu qu’Abidjan ait sa ligne transatlantique. De Kenya Airways à South African Airlines en passant par Delta et Air France, plusieurs transporteurs avaient été sollicités et avaient décliné la proposition ivoirienne.

C’est finalement Ethiopian Airlines qui a ouvert la ligne le 12 mai 2018. Presque un an plus tard, le bilan est plutôt mitigé. Les vols en provenance d’Addis-Abeba à destination de la Grosse Pomme ne sont remplis qu’à moitié. C’est à partir de 75 % qu’un vol est considéré comme rentable…

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