« Tu tombes, tu te relèves et tu recommences » : Africa Riding, la websérie sur le skate africain

La websérie Africa Riding, réalisée pour Arte par Liz Gomis et Aurélien Biette, donne la parole à de jeunes urbains adeptes de la planche à roulettes.

Dans les rues d’Addis-Abeba, pendant la journée sans voitures. © EDUARDO SOTERAS/AFP

Dans les rues d’Addis-Abeba, pendant la journée sans voitures. © EDUARDO SOTERAS/AFP

KATIA TOURE_perso

Publié le 21 mars 2019 Lecture : 5 minutes.

« Fabriquer un board, c’est créer du travail », dixit Chance, skateur de 22 ans. À Accra, il slalome sur la route entre les 4×4 rutilants avant de rejoindre son collectif d’amis graphistes, vidéastes ou photographes dans un local de la ville. Dans son univers, c’est la débrouille qui prime. D’ailleurs, l’un de ses amis s’apprête à fabriquer ses nouvelles planches avec du carton.

« On fabrique tout nous-mêmes. Des skateboards corrects, et des rampes aussi », raconte Chance avant de clamer que la nouvelle génération s’approprie son existence sans attendre quoi que ce soit des autres. Selon lui, c’est la raison pour laquelle l’Afrique prend un nouveau tournant.

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Le ton est donné avec ce premier épisode d’Africa Riding, websérie documentaire en huit épisodes de moins de dix minutes signée Liz Gomis et Aurélien Biette – et diffusée sur le site Arte Creative depuis le 26 février.

Sur le droit chemin

Entre septembre 2017 et mars 2018, le duo s’est rendu au Ghana, au Rwanda, au Sénégal et en Ouganda pour aller à la rencontre de jeunes adeptes de sports de glisse urbaine.

Une idée que la journaliste nourrissait depuis près de dix ans. C’est en 2007, lors d’un passage à New York, qu’elle découvre l’exposition de l’artiste-photographe suisse Yann Gross. « Il s’était rendu à Kitintale, dans la banlieue de Kampala, en Ouganda, où il avait réalisé une superbe série de photographies sur un skatepark construit au beau milieu d’un champ de cannes à sucre ! »

C’est ce même skatepark, réalisé à partir d’objets de récupération, que l’on retrouve dans un autre épisode d’Africa Riding, ainsi que son créateur, Jackson Mubiru, 34 ans. « Si on l’a fait, c’est avant tout pour les jeunes, avance-t-il. On essaie de les divertir, de les éloigner de la criminalité en les remettant sur le droit chemin. »

Photo du filmAfrica Riding, la nouvelle websérie documentaire d'ARTE à la rencontre d'une génération en mouvement.© Arte © Arte

Photo du filmAfrica Riding, la nouvelle websérie documentaire d'ARTE à la rencontre d'une génération en mouvement.© Arte © Arte

Je n’avais aucune envie de laisser entendre que la glisse allait révolutionner l’Afrique ou le mental des jeunes Africains. Je voulais une photographie de la réalité

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Autant dire qu’avec Africa Riding l’idée n’est absolument pas de porter le discours euphorique, creux et redondant qui consiste à désigner l’Afrique comme le continent du futur. Ni même d’en mettre plein la vue au spectateur avec des performances sportives à couper le souffle. Il s’agit de parler du présent de l’Afrique, du quotidien de ces jeunes hommes et de ces jeunes femmes en véhiculant un certain nombre de valeurs.

« Je voulais trouver des gens qui soient engagés socialement, culturellement ou politiquement. Je ne cherchais pas forcément des militants, mais des personnes qui croient en un idéal, avance Liz Gomis. Je n’avais aucune envie d’enjoliver les choses et de laisser entendre que la glisse allait révolutionner l’Afrique ou le mental des jeunes Africains. Je ne voulais pas non plus faire place au misérabilisme. Je voulais une photographie de la réalité. »

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Images fluides et lumineuses

Quant aux pays choisis, la jeune femme parle de facilité pour le Sénégal, où le pilote de la websérie a pu rapidement être tourné avec Modou, skateur dakarois. « L’Ouganda et le Rwanda me fascinaient. En m’aidant d’Instagram, j’ai aussi trouvé des riders en Tanzanie, en Éthiopie, au Maroc ou en Afrique du Sud. Finalement, j’ai opté pour le Ghana parce que l’Éthiopie était en pleins troubles politiques et qu’en Afrique du Sud cette culture est installée depuis longtemps. »

Admiratrice du réalisateur californien Harmony Korine et inspirée par le film documentaire Beautiful Losers, qui consacre la culture do it yourself à travers le skate ou le graffiti (2008), la documentariste se met en quête du parfait binôme. « Le cameraman devait être capable de filmer tout en étant en mouvement. » Le choix d’Aurélien Biette, fana de roller-skate, est sans appel. « Nous étions complémentaires dans la réalisation. »

Résultat : des images fluides et lumineuses. Pour le format, dont chaque épisode a coûté plus de 15 000 euros, la réalisatrice évoque sa cible : les jeunes, plus portés sur les smartphones que sur le petit écran.

En route pour le skatepark& © Arte

En route pour le skatepark& © Arte

Skateuse et déesse

Le tournage n’a pas toujours été de tout repos. Les quolibets leur tombent dessus lorsqu’ils filment Dominique, une skateuse gabonaise de 30 ans installée à Accra. « En Afrique, c’est contre-nature d’être une femme et de faire ce que je fais », avance celle qui se dit « entrepreneuse, féministe, activiste, rappeuse, danseuse, skateuse, déesse, dieu, africaine et citoyenne du monde ».

Les regards se font pesants tandis qu’elle se dirige, en ridant, vers le marché de Makola. « Les types qui se tenaient à côté de nous, pendant le tournage, estimaient que c’était dégradant pour une femme », se souvient Liz Gomis.

Métaphore de l’existence

À Kigali, place au performeur burundais Abdul Karim Habyarimana, 28 ans, qui multiplie les figures au milieu des voitures. Le jeune homme donne des cours de roller aux enfants. « Je veux qu’ils aient confiance en eux, parce que dévaler une pente, faire des sauts, c’est autant de défis et de peurs qu’il faut affronter dans la vie. »

Qu’ils soient en skate ou à vélo, à rollers ou en BMX, les huit jeunes présentés dans Africa Riding partagent une même philosophie de vie, empreinte d’engagement et d’optimisme. « Ils m’ont dit : “quand tu pratiques ces sports, tu tombes, tu te relèves et tu recommences. Tu ne retomberas jamais de la même façon. C’est comme dans la vie.” Je suis sortie de là en ressentant une forme d’espoir », souffle Liz Gomis.

En somme, dans cette websérie, le sport de glisse est une métaphore de l’existence : prendre des risques, sauter de plus en plus haut, aller de plus en plus loin.

Conseillère présidentielle

Liz Gomis © Nicolas Alozian

Liz Gomis © Nicolas Alozian

À 38 ans, Liz Gomis peut se targuer d’un sacré parcours en tant que chargée de production, réalisatrice, productrice et reporter. Journaliste au sein de Radio Nova depuis 2006, ses nombreux reportages l’ont menée au Canada, à New York, au Brésil et dans plusieurs villes d’Afrique.

Celle qui a travaillé pour les chaînes françaises M6, Canal+ ou France 4 a aussi coécrit, en 2014, un spectacle de danse autour de Nina Simone avec sa cousine, la danseuse Antoinette Gomis. Cette pièce, qui a notamment été présentée à l’Apollo Theater de New York, a tourné jusqu’à début 2018.

En ce mois de mars 2019, alors que son webdoc Africa Riding suscite l’enthousiasme, Liz Gomis est en route, aux côtés d’Emmanuel Macron, pour l’Éthiopie et le Kenya, où elle mènera plusieurs actions culturelles en tant que membre du Conseil présidentiel pour l’Afrique.

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