Mali : pas d’avancée sans le privé
Pour faire décoller la croissance et financer les chantiers indispensables à son essor, l’exécutif en appelle aux chefs d’entreprise. Lesquels répondent pour l’instant présent.
Mali : l’heure du sursaut ?
Fruit d’une prise de conscience collective, une nouvelle dynamique est à l’œuvre au sein de la classe politique, de la société civile et des milieux d’affaires. De quoi engager les réformes institutionnelles et le recentrage économique nécessaires au redressement du pays ?
Le FMI n’est pas avare de compliments sur le pilotage économique du pays. « La performance économique du Mali a été globalement positive, déclarait Mitsuhiro Furusawa, son directeur général adjoint, en décembre dernier. La stabilité macroéconomique a été rétablie en dépit de conditions difficiles, marquées par une insécurité persistante, une volatilité des prix des produits de base et des conditions météorologiques défavorables. Les réformes entreprises par les autorités au cours des cinq dernières années ont permis de jeter les bases d’une croissance solide et d’une inflation maîtrisée. Cependant, réduire de manière significative la pauvreté reste un défi. »
Et la grogne sociale actuelle le confirme. Tour à tour, magistrats, enseignants, bouchers, boulangers, gardiens de prison ont cessé le travail pour défendre leur pouvoir d’achat. Mi-janvier, le gouvernement a signé un accord avec l’Union nationale des travailleurs du Mali (UNTM), principal syndicat de fonctionnaires. Il prévoit notamment une harmonisation des grilles indiciaires et de l’âge de départ à la retraite, ainsi que la création de 8 600 emplois pour ces derniers.
« Nous sommes satisfaits, commente Yacouba Katile, le secrétaire général de l’UNTM, mais nous allons en surveiller le suivi, car les gouvernements ont souvent traîné les pieds pour appliquer des accords antérieurs. »
Déficits récurrents
Le gouvernement a beaucoup de mal à satisfaire toutes ces revendications, car les caisses sont vides. Comme toutes les années électorales, 2018 a été une mauvaise année pour les recettes budgétaires de l’État. « Des régions entières ne produisent plus de richesses du fait des troubles, explique Yacouba Katile. Les agents des douanes et des impôts se sont réfugiés à Bamako pour fuir le terrorisme. »
Selon le Parti pour la renaissance nationale (Parena, opposition), qui cite des chiffres communiqués par le ministère des Finances, les impôts ont rapporté 32 % de moins que prévu, les douanes 33 % de moins et les domaines 71 %.
La croissance économique n’est donc pas aussi « solide » que le dit le FMI. Elle risque de plafonner autour de 5 % dans les prochaines années, et la croissance démographique (3,9 % par an) réduira à peu de chose les bienfaits de la première sur le niveau de vie.
D’autre part, elle est fragile puisqu’elle repose sur l’or et le coton, dont les prix mondiaux sont imprévisibles. Quant au budget de l’État, il est amputé de précieux moyens par les déficits récurrents de la compagnie publique Énergie du Mali (EDM), qui vend 97 F CFA (environ 0,15 euro) un kilowattheure qui lui coûte 138 F CFA…
Bonne nouvelle
La bonne nouvelle est que le gouvernement a pris des mesures pour faciliter la vie des entreprises privées maliennes. « Son dialogue avec le secteur privé s’améliore », se félicite Cyril Achcar, directeur général du groupe Achcar Mali Industries (AMI, qui comprend notamment les Grands Moulins du Mali), président de l’Organisation patronale des industries du Mali (Opim) et vice-président du Conseil national du patronat du Mali (CNPM) chargé de l’industrie.
« Le gouvernement a accepté l’an dernier qu’une partie de la commande publique aille aux PME et que le taux de TVA appliqué aux produits made in Mali soit réduit de 18 % à 9 %, poursuit-il. Nous avons bon espoir d’aller plus loin. Ce pays dispose de ressources qui pourraient lui valoir des résultats extraordinaires. Par exemple, la production du maïs a bondi, et je l’achète désormais au Mali pour préparer des aliments pour bétail, et non plus en Argentine. »
Divine surprise, le 15 février, le Premier ministre, Soumeylou Boubèye Maïga, est venu avec quatorze de ses ministres devant le CNPM annoncer un gigantesque « programme d’infrastructures économiques ».
Celui-ci a pour objectif de dépenser, sur dix ans, jusqu’à 15 000 milliards de F CFA pour construire ou réhabiliter 8 700 km de routes et d’autoroutes, six ponts (dont un quatrième, à péage, à Bamako), trois ports secs, une zone économique spéciale à Sikasso et une ville nouvelle dans le Nord.
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Partenariats public-privé (PPP)
Comme l’État n’a pas les moyens financiers de ses ambitions, le Premier ministre a demandé au patronat de se lancer dans des partenariats public-privé (PPP), grâce au cadre législatif et réglementaire bâti en 2017.
« D’accord, a répondu le patron des patrons, Mamadou Sinsy Coulibaly, mais à la condition que vous digitalisiez l’administration, seul moyen de tordre le cou à la corruption, que vous releviez de leurs fonctions 1 600 fonctionnaires inaptes à travailler avec le secteur privé et que vous vous débarrassiez immédiatement de 200 autres, indélicats. »
Il n’empêche que le patronat ne boude pas son plaisir. « Nous sommes enfin en présence d’une vision, applaudit Cyril Achcar. Jusqu’à présent, les ministres ne duraient pas, et il était impossible de bâtir quelque chose. Désormais, nous voyons une équipe compétente et soudée autour du Premier ministre et du ministre de l’Économie et des Finances. Elle nous donne un cap, et c’est extraordinairement important pour le secteur privé. »
Éducation
Manque le capital humain. « C’est une source d’inquiétude car il est très faible, déclare la Sénégalaise Soukeyna Kane, directrice pays du Groupe Banque mondiale pour le Mali, la Guinée, le Niger et le Tchad. Selon les statistiques officielles, les enfants maliens reçoivent 5,6 années d’éducation en moyenne, mais du point de vue de la qualité, la durée de leur scolarité n’est que de 2,7 ans.
Autrement dit, s’il y a eu d’importants progrès dans l’accès à la scolarisation, les résultats en matière d’acquisition des connaissances ne sont pas satisfaisants. C’est pourquoi nous travaillons, y compris dans le préscolaire, sur la qualité de l’éducation, qui peut être assurée notamment par un enseignement plus fréquent dans les langues maternelles. »
Autonomisation des femmes
Soukeyna Kane privilégie aussi la question démographique. « Elle est incontournable, puisque l’indice synthétique de fécondité est de 6,06 enfants par femme, un niveau qui nuit au développement, juge-t-elle. Pour accélérer la baisse de cet indice, il est impératif d’investir massivement dans les services de santé reproductive, comme l’ont fait avec succès plusieurs pays, tels le Malawi ou l’Éthiopie.
Mais il faut surtout donner une plus grande autonomie aux femmes, notamment à travers leur alphabétisation, leur scolarisation et le développement de leurs activités rémunératrices. Il faut aussi s’appuyer sur les chefs religieux et traditionnels qui, contrairement aux idées reçues, s’investissent de plus en plus en faveur de l’autonomisation des filles. Au Mali, et plus généralement au Sahel, plusieurs de nos projets financent ces approches. »
Décentralisation
Pour Soukeyna Kane, la décentralisation permet d’impliquer et de responsabiliser les communautés dans la gestion des affaires locales. « Pour soutenir cette dynamique, il est opportun d’accorder une attention particulière au transfert des ressources aux collectivités territoriales ou à la mobilisation des fonds en leur faveur tout en mettant l’accent sur le renforcement de leurs capacités », dit-elle.
Si la situation sécuritaire se dégrade dans le Centre, de nombreux signes laissent penser que se mettent en place les bases d’un redressement économique et social, seule solution pour arracher les racines du terrorisme et assurer un avenir aux 300 000 jeunes arrivant sur le marché du travail chaque année. Rien n’est joué, mais rien n’est perdu, dans la course-poursuite à laquelle se livrent le désordre et le développement.
Un cadre maîtrisé malgré tout
Des montagnes d’or blanc
Le Mali devrait demeurer le champion africain du coton, avec une production attendue supérieure à 700 000 tonnes pour la campagne 2018-2019. En dépit des inondations et de la chenille légionnaire, il avait déjà produit plus de 728 600 t de coton-graine (+ 67 % en cinq ans) sur 703 652 ha emblavés (+ 46 %) au cours de la campagne 2017-2018. Ce qui le classe nettement devant son challenger, le Burkina Faso, dont les 612 723 t obtenues à partir de 879 000 ha prouvent qu’il se remet mal de l’abandon du coton OGM.
Le succès de la campagne 2018-2019 ne dépendra pas que du ciel ou des nuisibles. La Chine étant le premier acheteur mondial de coton, on surveillera de près ses démêlés avec les États-Unis. Mais, que les deux pays ouvrent ou non les hostilités commerciales, les 200 000 producteurs maliens recevront une bonne nouvelle : le prix du coton ne devrait pas baisser. Il est même déjà passé de 250 F CFA à 255 F CFA le kg (moins de 0,40 euro).
La Compagnie malienne pour le développement des textiles (CMDT) a engagé un programme d’investissement industriel, financé à hauteur de 20 milliards de F CFA (30,5 millions d’euros) par un pool bancaire national emmené par la Banque de développement du Mali (BMD), qui devrait protéger un peu le pays de la fluctuation des prix.
Dans le cadre de ce plan, la société publique a signé en 2016 un contrat avec le français Géocoton pour la modernisation de trois usines d’égrenage (à Dioïla, Koumantou et Sikasso) et la construction de deux nouvelles unités, l’une à Kimparana, dans la région de Ségou, l’autre à Kadiolo, à proximité de la frontière ivoirienne, afin d’augmenter de 100 000 t la capacité nationale. L’usine de Kadiolo (45 000 t), inaugurée en juillet 2018, est la dix-huitième de la CMDT, dont elle a porté la capacité d’égrenage à 620 000 t.
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