Mali – Boubou Cissé, ministre de l’Économie : « Nous continuerons à réduire les impôts des entreprises »

Après trois ans à la tête du ministère malien de l’Économie et des Finances, Boubou Cissé, 45 ans, s’est imposé comme l’un des poids lourds du gouvernement. Avec le Premier ministre, Soumeylou Boubèye Maïga, il prépare un recentrage de l’économie afin qu’elle ne dépende plus exclusivement de l’or et du coton.

Boubou Cissé (Mali), Premier ministre malien. © Sylvain Cherkaoui pour JA

Boubou Cissé (Mali), Premier ministre malien. © Sylvain Cherkaoui pour JA

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Publié le 19 mars 2019 Lecture : 4 minutes.

Vue de Bamako depuis le sommet de la colline Lassa. © Sylvain Cherkaoui pour JA
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Mali : l’heure du sursaut ?

Fruit d’une prise de conscience collective, une nouvelle dynamique est à l’œuvre au sein de la classe politique, de la société civile et des milieux d’affaires. De quoi engager les réformes institutionnelles et le recentrage économique nécessaires au redressement du pays ?

Sommaire

Pour mener à bien son plan de diversification de l’économie, le ministre malien de l’Économie et des Finances, Boubou Cissé, devra réaliser un programme d’infrastructures de 15 000 milliards de F CFA (22,87 milliards d’euros). Étant donné que l’État ne peut financer seul cet effort, il convie le secteur privé à un partenariat pour mener à bien ce décollage.

Jeune Afrique : Pourquoi la croissance de votre économie ne dépasse-t-elle pas 5 % par an ?

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Boubou Cissé : Nous avons fait plus en 2014, avec 7 %. Et depuis, notre croissance moyenne annuelle est supérieure à 5 %. C’est une croissance robuste, que nous avons obtenue grâce à des efforts importants en matière de réformes et de consolidation macroéconomique.

Nous avons changé la structure de notre budget : jusqu’en 2015, il était pour 80 % consacré à des dépenses de fonctionnement et pour 20 % à des investissements ; depuis, 40 % à 45 % sont destinés à ces dépenses d’investissements. Celles-ci ont été réorientées vers des infrastructures et des filières porteuses. Ainsi, le chef de l’État a décidé d’augmenter de 6 % à 15 % la part de l’agriculture dans notre budget.

L’insécurité a gagné le centre du pays et a fortement contribué à l’augmentation de la fraude

Nous sommes conscients que pour lutter efficacement contre la pauvreté, il nous faudrait une croissance encore plus forte. Notre plan quinquennal 2019-2023 devrait nous permettre de la hisser à 7 % puis, à terme, à 10 %. Il doit changer structurellement la base de notre économie, qui dépend trop du secteur primaire, de l’or et du coton, vulnérables aux chocs externes. Nous devons développer notre industrie et l’orienter vers la transformation des produits agricoles, comme le coton, la gomme arabique, l’anacarde et la mangue, pour lesquels nous disposons d’un avantage comparatif.

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Pourquoi les recettes publiques rentrent-elles mal ?

De 2014 à 2018, nous avons amélioré chaque année nos recettes budgétaires d’une centaine de milliards de francs CFA. En 2018, nous avons connu un accident de parcours. Bien sûr, l’insécurité a gagné le centre du pays et a fortement contribué à l’augmentation de la fraude, comme le prouve la diminution statistique de nos importations. Le fléchissement de l’économie y a contribué aussi, l’élection présidentielle ayant créé un climat d’expectative.

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Quels sont les objectifs du programme d’infrastructures économiques 2018-2023 qu’a annoncé le Premier ministre le 15 février et qui comporte notamment 8 700 km de routes ?

Sans investissements publics importants, il sera difficile de nous développer au rythme souhaitable. D’autre part, notre vaste pays n’est pas bien « maillé ». Par exemple, il n’y a pas de liaison directe entre Sikasso et Mopti, alors que la seconde est une grande consommatrice des produits de la première.

Ce programme facilitera les échanges entre les différentes régions et améliorera notre cohésion sociale. Son exécution coûtera 5 000 milliards de F CFA [plus de 7,62 milliards d’euros] sur cinq ans et 15 000 milliards sur dix ans. Nous allons décliner ces projets dans une loi de programmation, et ils deviendront une obligation pour l’État.

Celui-ci n’a pas les moyens de les financer seul. C’est pourquoi nous nous tournons vers le secteur privé, auquel nous proposons des partenariats public-privé [PPP]. Nous avons voté une loi PPP en 2016, pris ses décrets d’application et créé une unité PPP pour en suivre les résultats. L’État apportera au secteur privé les garanties et le « confort » nécessaires. Depuis deux ans, la confiance est revenue et nous allons tout faire pour la consolider.

Une patrouille commune entre ancien rebelles et forces armées maliennes, en février 2017 à Gao. © Baba Ahmed/AP/SIPA

Une patrouille commune entre ancien rebelles et forces armées maliennes, en février 2017 à Gao. © Baba Ahmed/AP/SIPA

S’il y a corruption, c’est qu’il existe un corrompu et un corrupteur. Il faut que le privé fasse des efforts lui aussi

Il y a deux ans, vous annonciez la fusion de taxes sur les salaires et la baisse de leurs taux. Où en est-on ?

Cela a été réalisé dans la loi de finances 2019. Nous avons fusionné la taxe emploi jeunes avec la taxe pour la formation professionnelle et abaissé leur taux de 5,5 % à 4,5 %. Le privé s’est dit satisfait. Nous allons continuer avec les impôts sur les sociétés et sur les bénéfices industriels et commerciaux. Mais, comme ce sont de gros pourvoyeurs de recettes pour l’État, nous menons des études complémentaires pour en mesurer l’impact sur nos finances.

Le patronat malien se plaint que la lutte contre la corruption, la mise en place d’un guichet unique et les PPP avancent trop lentement. Êtes-vous d’accord ?

Nous ferons tout ce qui permettra de faciliter la vie du secteur privé, car il contribue à l’intérêt collectif en créant des emplois, en payant des impôts et en investissant. La question de la corruption est l’une de nos préoccupations majeures, comme en témoigne la création de l’Office central de lutte contre l’enrichissement illicite. Il nous faut être encore plus performants. Mais cette lutte n’est pas seulement de la responsabilité de l’État. S’il y a corruption, c’est qu’il existe un corrompu et un corrupteur. Il faut que le privé fasse des efforts lui aussi.

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Nombre de fonctionnaires trouvent que leurs salaires ne suivent pas le coût de la vie. Nous tâchons de répondre à leurs demandes

Pourquoi y a-t-il autant de grèves au Mali ? Comment y répondez-vous ?

Elles portent surtout sur des revendications salariales, car la pauvreté existe dans le pays, elle s’est même aggravée à certains endroits. Une bonne partie des fonctionnaires trouvent que leurs salaires ne suivent pas le coût du panier de la ménagère. Nous tâchons de répondre à leurs demandes sans mettre en danger le budget de l’État. Nous avons accordé des augmentations significatives aux intéressés… et pas du tout insignifiantes pour ledit budget.

Quelle est la réforme qui vous tient le plus à cœur pour 2019 ?

C’est la mise en œuvre du plan quinquennal 2019-2023, car il va dessiner l’avenir de notre pays. Nous orientons notre vision vers l’industrialisation, une meilleure gestion des finances publiques et un meilleur maillage du Mali. Ce document est achevé. Ce mois-ci, en mars, nous le soumettrons à une conférence nationale qui réunira l’État, les collectivités locales, les partenaires sociaux et le privé afin qu’ils partagent cette stratégie. En juin ou juillet, nous organiserons un groupe consultatif des bailleurs pour qu’ils s’engagent à nos côtés, afin de réaliser le Mali que nous voulons.

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