Crash du vol d’Ethiopian Airlines : Tewolde GebreMariam en pleine zone de turbulences
Après le crash, le 10 mars, d’un Boeing 737 Max 8 d’Ethiopian Airlines, le directeur général de la compagnie, Tewolde GebreMariam, fait face à sa première épreuve.
Costume sombre, un morceau de fuselage à la main, Tewolde GebreMariam ne peut que constater les dégâts. Dès le 10 mars, le directeur général d’Ethiopian Airlines a tenu à se rendre sur les lieux du crash du Boeing 737 Max 8 qui devait relier Addis-Abeba à Nairobi, au Kenya. Cent cinquante-sept personnes y ont perdu la vie.
Debout au milieu des décombres, vite repérés au sud-est de la capitale éthiopienne, Tewolde GebreMariam paraît avoir du mal à y croire, lui qui a fait de sa compagnie un modèle en matière de sécurité et de formation des personnels, selon nombre de spécialistes du secteur aérien. Le pilote aux commandes de l’avion était d’ailleurs très expérimenté et connaissait les dernières recommandations du constructeur.
C’est peu dire que l’onde de choc est sans précédent. Pour Boeing d’abord, puisque quatre mois auparavant un autre 737 Max 8 de sa fabrication, exploité par la compagnie indonésienne Lion Air, s’est écrasé dans des conditions similaires – or ce modèle représente 80 % du carnet de commandes de l’avionneur américain. Mais quelles seront les conséquences pour Ethiopian Airlines et son dirigeant, qui connaissaient une belle réussite ?
En 2018, la compagnie a battu tous les records de trafic (10,6 millions de passagers, + 21 %) et de résultats financiers (2,75 milliards de dollars, + 43 %). Depuis sa nomination, en 2011, à la tête de la société dans laquelle il est entré en 1985 et où il a effectué toute sa carrière, l’ancien guichetier « a porté la flotte de 46 à près de 110 appareils, et le nombre de destinations de 81 à plus de 120, doublé les effectifs, portant la croissance annuelle de la compagnie à 25 % », rappelle Abderrahmane Berthé, secrétaire général de l’Association des compagnies aériennes africaines.
Fin et discret stratège
Fin et discret stratège, réputé à l’écoute de ses collaborateurs, il a aussi développé la plateforme d’Addis-Abeba en étudiant la progression des échanges intra-africains et des investissements chinois sur le continent, nouant des liens avec les gouvernements africains et cultivant ceux qui existaient avec Pékin depuis 1973. Le tout en cassant les prix sur des dessertes qui étaient jusque-là les chasses gardées des compagnies occidentales.
Cette stratégie, Tewolde GebreMariam peut en être fier, il l’a menée sans que l’État, pourtant actionnaire, s’en mêle. Elle lui a permis de devancer les anciens leaders qu’étaient Egyptair, Kenya Airways ou South African Airways.
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Mais cet accident intervient au moment précis où il engageait un virage stratégique, rêvant de faire d’Ethiopian un « Emirates » africain – autrement dit plus qu’une compagnie continentale, un super-connecteur mondial.
L’homme, qui a conservé son poste à la tête de la compagnie publique après l’arrivée d’Abiy Ahmed à celui de Premier ministre il y a près d’un an et qui siège au conseil d’administration d’autres grandes entreprises éthiopiennes, doit aussi préparer la privatisation du transporteur. En attendant, il doit gérer une crise inédite pour lui. Le dernier crash d’un avion d’Ethiopian remonte à 2010, quand un appareil s’était abîmé en mer après son décollage de Beyrouth.
Le dirigeant a souhaité que Boeing immobilise tous ses 737 Max 8 dès le 12 mars jusqu’à ce que leur aptitude à voler ait été établie. Pour lui, les semaines à venir s’annoncent d’autant plus délicates que sa compagnie, créée grâce à TWA, entretient des liens étroits avec Boeing. Et si la vente d’Airbus à l’Éthiopie a été évoquée lors de la visite du président français à Addis, Tewolde GebreMariam avait jusqu’à présent toujours affirmé son attachement au constructeur américain.
Moteur de Boeing sur le continent
Une proximité qui, jusqu’à l’accident et dans l’attente de l’analyse des boîtes noires, était réciproque. Ethiopian Airlines n’est pas rien pour l’avionneur américain, dont les appareils dominent le marché du long-courrier sur le continent.
En quelques années, Addis-Abeba est devenu un centre de formation et de maintenance pour beaucoup de transporteurs africains. En prenant des parts l’année dernière au capital d’une dizaine d’entre eux (en Guinée, au Tchad, au Mozambique, etc.) et en lorgnant de nombreux marchés (la RD Congo, le Nigeria…), Ethiopian s’est imposée comme l’un des principaux moteurs de la croissance de Boeing sur le continent.
L’option chinoise
Tewolde GebreMariam souhaitera-t-il encore cultiver cette relation exclusive ? Environ la moitié de la soixantaine d’appareils en commande censés répondre au doublement du trafic d’Ethiopian en Afrique dans les vingt prochaines années sont des 737 Max 8. Si le programme américain s’enfonçait dans la crise, le directeur général pourrait-il se tourner vers la Chine ?
Un haut responsable de la compagnie expliquait il y a quelques mois que cette dernière était tentée de sortir de sa dépendance vis-à-vis de Boeing. Ethiopian envoie régulièrement ses ingénieurs à Shanghai chez le constructeur Comac pour observer les avancées du moyen-courrier C919, dont les livraisons devraient commencer d’ici à deux ans. Un retournement d’alliances qui s’apparenterait à une petite révolution pour le secteur aéronautique africain.
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