Bois : bilan mitigé pour la politique d’industrialisation gabonaise
Si l’interdiction d’exporter des grumes en 2009 a permis d’attirer les investisseurs, les retombées économiques issues de leur transformation sont encore limitées.
Scié, tranché, déroulé, depuis bientôt dix ans, le bois gabonais ne s’exporte qu’une fois transformé. Annoncée en novembre 2009 par le président Ali Bongo Ondimba, l’interdiction d’exporter des grumes avait été appliquée dès janvier 2010. Objectif : accélérer l’industrialisation de la filière bois qui bénéficie d’une superficie forestière de 15 millions d’hectares avec une soixantaine d’essences dont la qualité est mondialement reconnue.
Pour Libreville, qui doit diversifier son économie encore dépendante des cours du pétrole, le pari est réussi. En 2017, la production de bois transformé a atteint 738 377 m3 contre 280 000 m3 en 2010, l’année de l’entrée en application de cette nouvelle politique. Le poids du secteur du bois dans le PIB national a doublé pour représenter environ 5 %. Loin toutefois de la barre des 20 %, objectif fixé par Ali Bongo Ondimba pour 2020 et qui apparaît aujourd’hui inatteignable.
La ZES de Nkok, principal lieu de transformation
Créée à 27 km de Libreville, la Zone économique spéciale (ZES) de Nkok, étalée sur 1 126 ha, est désormais le principal outil de transformation du secteur. Pour l’heure, seul un tiers des 1,8 million de m3 coupés dans les forêts est envoyé vers la cinquantaine d’usines qui s’y trouvent, mais une vingtaine de nouvelles unités sont en cours d’installation.
Néanmoins, de nombreux acteurs historiques ont fait le choix de ne pas la rejoindre. C’est le cas du français Rougier, qui exploite près de 800 000 ha de forêt, mais aussi du suisse Precious Woods, de l’italien Corà Wood, du malaisien BSG, du sino-malaisien SFIK ou de la gabonaise Société équatoriale d’exploitation forestière (SEEF).
>>> À LIRE – Vers une croissance verte et inclusive des économies africaines
Si les nouveaux investissements ont cependant tendance à s’y concentrer, c’est parce que la ZES – issue d’un partenariat entre le singapourien Olam, l’État et Africa Finance Corporation – accorde de nombreux avantages. Les entreprises n’y paient par exemple ni impôts sur les sociétés ni taxes sur les dividendes. En neuf ans, la ZES a attiré plus de 1,7 milliard de dollars d’investissements, principalement asiatiques.
Sans surprise, l’Asie au premier rang des acheteurs
En janvier 2019, les trois principaux acheteurs de grumes en volume étaient Greenply (Inde) avec 8 460 m3, suivi de Gabon Veneer (Inde) avec 3 900 m3 et de Jin Shan Wood (Chine) avec 3 560 m3. Ces trois sociétés ont investi entre 7 et 15 millions de dollars dans leurs usines, qui emploient chacune entre 70 et 150 personnes. Sans surprise, l’Asie – et particulièrement la Chine – figure au premier rang des acheteurs de bois gabonais, devant le Moyen-Orient et l’Europe.
Les recettes fiscales se sont effondrées, car les produits transformés ne sont toujours pas taxés
Malgré de réelles avancées, les retombées économiques du développement du secteur sont jugées par beaucoup insuffisantes. « Les recettes fiscales se sont effondrées », constate par exemple Alain Karsenty, économiste au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad). « La grande majorité de celles-ci provenait de l’exportation des grumes, alors que les produits transformés ne sont toujours pas taxés. Il ne reste que la taxe de superficie et la taxe d’abattage », détaille le spécialiste.
Si en 2009 les taxes et impôts s’élevaient à 25,46 milliards de F CFA (38 millions d’euros), ils n’étaient que de 7,05 milliards de F CFA selon les statistiques les plus récentes publiées datant de 2014. Ce n’est qu’une question de temps, pense Bernard Cassagne, fondateur du cabinet en consulting Forêt Ressources Management, car « progressivement, les recettes à l’exportation des bois transformés augmentent, mais cela prendra des années avant de revenir à leur niveau de 2009 ».
10 000 emplois créés dans le secteur depuis 2010
« L’industrialisation n’a pas non plus profité à de nombreux exploitants gabonais », s’indigne Emmanuel Nzue, président de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises et industries. En 2010, l’application quasiment sans délai de l’interdiction d’exportation n’avait pas permis aux petits exploitants de poursuivre leurs activités.
Sur les dix plus grands exploitants nationaux, la moitié seulement a survécu à la mesure, confirme M. Cassagne. L’État lui-même n’avait pas su prendre le virage industriel, en ne soutenant pas la Société nationale des bois du Gabon (SNBG). Aujourd’hui à l’agonie, la compagnie est poursuivie par ses salariés pour licenciement irrégulier. C’est finalement Olam, à la demande de Libreville, qui a repris en 2018 les actifs de la SNBG.
« Toutes les entreprises gabonaises n’ont pas périclité. Certaines comme la SEEF s’en sortent très bien », tempère Jean-Marie Ntoutoume, DG de l’Agence d’exécution des activités de la filière forêt-bois. L’État insiste surtout sur les 10 000 créations d’emplois entre 2010 et 2017, permises par l’industrialisation de la filière. Deux à trois fois plus de personnes sont requises pour couper puis transformer une grume, par rapport à un simple abattage en forêt, explique M. Cassagne.
Labelliser pour pénétrer les marchés européens et américains
Une performance que viennent relativiser les pertes d’emplois des exploitations forestières, passés de 4 000 en 2010 à 2 500 en 2016. Pour accompagner ce mouvement, l’État a notamment prévu de créer, à Booué, l’École supérieure des métiers du bois, qui accueillera 200 étudiants sur son campus. Toutefois, la création de l’établissement, décidée en mars 2011 en conseil des ministres, traîne encore.
>>> À LIRE – Alain Karsenty : « Pour vendre du bois en Europe du Nord, la certification est obligatoire »
Aujourd’hui, le pays compte franchir un nouveau palier en faisant certifier d’ici à 2022 toutes les concessions forestières pour améliorer la traçabilité du bois, le respect des communautés et celui des travailleurs. Parmi les labels retenus : le FSC, le PAFC/PEFC Gabon, l’OLB (Bureau Veritas) ou Legal Source (Nepcon).
Si tous ne portent pas sur les mêmes aspects (environnementaux, sociaux, économiques), ils doivent permettre au bois gabonais de davantage pénétrer les marchés européens et américains, où les prix d’achat sont plus élevés.
Nouvelles contraintes
Cette étape est particulièrement importante si le pays veut également limiter les effets pervers du développement du secteur, à commencer par le non-respect des normes d’abattage. En particulier par les entreprises asiatiques qui possèdent les deux tiers des concessions forestières et gèrent même certaines parcelles appartenant à des propriétaires locaux.
Mais certains industriels y voient surtout une nouvelle contrainte financière. Selon une étude d’évaluation des coûts et des bénéfices liés à la certification forestière dans le bassin du Congo (Programme de promotion de l’exploitation certifiée des forêts 2017), le coût de FSC a été évalué à 5,30 euros par m3 de grume exploitée, à supporter par l’entreprise chaque année sur le volume de bois produit (hors coût d’aménagement et des bases-vie).
>>> À LIRE : Bois : qu’est-ce que le label FSC a apporté à Rougier ?
De nombreux entrepreneurs disent craindre de ne pas survivre à cette nouvelle mesure qui demande des investissements importants. « Le coût direct de la certification FSC oscille entre 500 000 et 1 million de dollars pour une concession d’environ 500 000 ha, c’est un coût prohibitif pour un délai si court. En matière de marché, nous n’aurons pas de plus-value, mais c’est une bonne mesure pour l’environnement », reconnaît un opérateur gabonais.
Un transport laborieux
La qualité des infrastructures routières est l’un des coûts cachés que doivent absorber les exploitants forestiers au Gabon. Moins de 20 % du réseau routier de 9 170 km est en bon état, et seulement 11 % des routes sont bitumés selon la BAD. Pour limiter ces problèmes, l’État entend développer de nouvelles zones industrielles dans le bassin de l’Ogooué, en amont de Port-Gentil, ou dans le bassin d’approvisionnement de Mayumba, dans le sud du pays.
Interdiction d’exportation des Grumes : la Guinée équatoriale suit l’exemple gabonais
Une vingtaine de pays tropicaux dans le monde ont déjà interdit l’exportation des grumes. En Afrique centrale, le Gabon a été il y a peu suivi par la Guinée équatoriale. Mais les résistances restent fortes au niveau des exploitants nationaux. En 2017, l’Agence nationale des renseignements de la RD Congo avait interdit l’export des grumes, sans que la mesure ne soit suivie d’effets.
L'éco du jour.
Chaque jour, recevez par e-mail l'essentiel de l'actualité économique.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles