Maroc : le parcours d’Amina Bouayach, la « Madame droits de l’homme » de Mohammed VI
Égalité successorale, interdiction du mariage des mineures, abolition de la peine de mort… Amina Bouayach, nouvelle présidente du CNDH, est de tous les combats.
C’est ce que l’on appelle une entrée fracassante… Nommée en décembre 2018 par Mohammed VI à la tête du Conseil national des droits de l’homme (CNDH), Amina Bouayach, 61 ans, est depuis de tous les débats de société. Dernier combat en date : l’instauration de l’égalité successorale entre les femmes et les hommes, comme tente de le faire la Tunisie.
Sur les ondes de Monte Carlo Doualiya, mi-mars, elle a assuré que le CNDH, une institution dont l’action est encadrée par la loi, défendrait ce principe, pourtant toujours contesté dans le royaume. Dix jours plus tôt, Amina Bouayach lançait une campagne pour l’interdiction du mariage des mineures. La réforme de la Moudawana – droit de la famille – en restreint la pratique depuis 2004. Mais ne l’interdit pas formellement. À l’époque, Bouayach a défendu cette réécriture de la loi.
« Je crois que c’est l’esprit de la réforme de 2004 que de demander aujourd’hui un changement de l’article 20, qui laisse l’autorisation de ces unions à la discrétion des juges, a-t-elle confié à JA. En 2018, le Maroc a aussi adopté une loi contre les violences faites aux femmes qui nous oblige à agir. »
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« Confiance dans la justice »
Assurément politique, Amina Bouayach. Qui n’hésite pas à prendre position de manière très tranchée sur l’actualité. Interrogée fin février sur « l’affaire Hamiddine », elle dit respecter « la plainte de la famille de la victime » et réitère sa « confiance dans la justice ».
Tollé dans les rangs du Parti de la justice et du développement (PJD). Car Abdelilah Hamiddine est un militant connu de la formation islamiste au pouvoir et est très apprécié de la jeunesse du parti. Il doit comparaître devant un juge pour être entendu sur le meurtre d’un étudiant marxiste en 1993, quand les campus étaient le théâtre d’affrontements réguliers entre groupes politiques. Sa défense évoque une « affaire politique », car Hamiddine est réputé nourrir une certaine défiance à l’égard de la monarchie.
Mais la figure du PJD avec qui Bouayach aura sans doute à traiter est le très conservateur Mustapha Ramid, ministre des Droits de l’homme. Ancien député, il fut aussi avocat et président de Mountada Al Karama, une association qui défend la cause des détenus salafistes et où Bouayach l’a connu. Assagi, dit-on, depuis son entrée au gouvernement, l’homme avait défendu en 2015 le mariage des mineures.
Se lancera-t-il dans un débat avec la nouvelle présidente du CNDH ? Ramid a de l’influence : c’est lui qui a peaufiné la loi fixant au Conseil ses nouvelles missions et son nouvel arsenal. En février 2018, une loi était ainsi venue accorder des prérogatives supplémentaires à l’instance, et de nouvelles armes notamment pour agir contre la torture dans les centres de détention. Bouayach devra traduire ces progrès en actes.
C’est la répression politique pendant les années de plomb qui a décidé Bouayach à s’engager
Auparavant, la réforme de 2011 avait aussi permis de renforcer les prérogatives de l’instance. Le CCDH d’alors, purement consultatif, avait laissé place à un CNDH habilité à procéder à des enquêtes poussées et à recevoir des plaintes. Amina Bouayach connaît bien cet épisode pour avoir activement participé au processus de réforme : cette année-là, elle avait été nommée membre de la Commission consultative de réforme de la Constitution par Mohammed VI.
Sociale-démocrate
C’est la répression politique pendant les années de plomb qui a décidé Bouayach à s’engager. « Je suis entrée dans le mouvement pour défendre la cause des prisonniers politiques, explique l’ancienne militante, longtemps proche des socialistes de l’USFP. J’ai rédigé le premier rapport consacré aux disparitions forcées. »
Son ex-époux, révolutionnaire, est passé par la prison dans les années 1970. Comme le célèbre Driss El Yazami, son prédécesseur au CNDH. Elle se souvient de l’époque où elle envoyait des courriers, pour plaider la cause des prisonniers politiques, à l’Instance Équité et Réconciliation (IER), sorte d’ancêtre du CNDH et première structure officielle consacrée à la question des droits de l’homme, créée par dahir royal au début du nouveau règne pour solder les comptes des années de plomb.
L’IER, comme le CCDH puis le CNDH, a aussi été un lieu de rapprochement entre une frange de la gauche marocaine et la monarchie. Bouayach est une figure de ce dialogue via les institutions consacrées aux droits de l’homme.
Le #CNDH tâchera à plaidoyer afin de mettre fin à l’hésitation du parlement sur la question de l’abolition de la peine de mort dans notre Pays #7CongressECPM #AbolishDeathPenalty #NHRI
— Amina Bouayach (@AminaBouayach) February 27, 2019
Restée fidèle à ses engagements à la gauche de la gauche, elle embrasse volontiers les mouvements sociaux et l’opposition politique
Longtemps adhérente de l’Organisation marocaine des droits humains (OMDH), dont elle finit par prendre la tête en 2006, elle est restée fidèle à cette association proche de la gauche sociale-démocrate. L’OMDH est réputée plus conciliante à l’égard des autorités et des institutions que l’organisation cousine, au nom si proche, l’Association marocaine des droits humains (AMDH). Journalistes et commentateurs y perdent parfois leur latin…
La présidente la plus célèbre de l’AMDH, Khadija Ryadi, est, elle, passée par l’extrême gauche estudiantine et le combat féministe. Restée fidèle à ses engagements à la gauche de la gauche, elle embrasse volontiers les mouvements sociaux et l’opposition politique. D’aucuns ont souvent considéré les deux femmes comme des alter ego aux pratiques et aux discours différents. À Ryadi la révolution, à Bouayach la réforme.
Ambassadrice
En 2016, Khadija Rouissi, autre militante des droits humains, et Amina Bouayach sont nommées ambassadrices, respectivement au Danemark et en Suède, par le roi. Les deux femmes passées par le militantisme d’opposition sont perçues comme des missi dominici sérieux et crédibles dans des pays scandinaves tatillons quant au respect des droits humains.
De ce point de vue, Amina Bouayach coche toutes les cases. Au Maroc, aujourd’hui encore, son nom reste largement associé au combat pour l’abandon de la peine de mort. « Le moratoire de droit est un objectif à court terme », affirme-t-elle. Pour Bouayach, la législation doit aller plus loin que la non-application des exécutions, en vigueur depuis 1993. Réussira-t-elle, du haut de ses nouvelles fonctions, à imposer ce sujet ?
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Un illustre prédécesseur
L’héritage est lourd à assumer pour Amina Bouayach. Son prédécesseur, Driss El Yazami, ancien militant marxiste et ex-prisonnier politique, n’a pas chômé pendant ses sept années à la tête du CNDH. Celui qui a découvert la cause antiraciste dans les années 1980 lorsqu’il était en exil en France eut à cœur de marquer de son empreinte la nouvelle doctrine migratoire du royaume.
C’est durant son mandat que le Conseil rédigea un rapport – jamais rendu public – dont les conclusions inspirèrent la réforme adoptée par l’État en 2014. Le CNDH a aussi structuré le débat sur la légalisation de l’interruption volontaire de grossesse (IVG), dont on attend toujours, en revanche, la concrétisation. Enfin, dossier sensible s’il en est, El Yazami a accéléré la reconnaissance d’une association sahraouie des droits humains, fréquentée par des sympathisants de la cause indépendantiste.
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