Mode : les « turbanistas », le foulard comme étendard d’une génération décomplexée
Tour à tour symbole de résignation puis de résistance, le foulard revient à présent sur toutes les têtes. Et témoigne de la progressive globalisation de la mode africaine.
On les appelle les « turbanistas », un terme jargonneux pour désigner la communauté de femmes afro-descendantes ultra-connectées, fières de leurs racines africaines. Sur Instagram, on recense quelque 155 000 contenus sous cette appellation. De quoi mesurer l’ampleur du mouvement.
Pour Ange Dukunde, alias DK Ange, initiatrice des ateliers itinérants (Paris, Bruxelles, Kinshasa, Conakry…) d’attachés de turban batik « Osez le foulard », il s’agit bien d’un mouvement. « J’ai grandi du côté flamand de la Belgique, où il n’y avait pas beaucoup de Noirs, note-t-elle. ouer un tissu autour de ma tête a été ma manière d’exprimer mon lien à l’Afrique », revendique la Rwandaise d’origine, qui vient pourtant d’un pays où la pratique n’est pas vraiment une coutume.
Tout un symbole
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C’est principalement en Afrique de l’Ouest que l’on croisera des chevelures enturbannées. « Dans la communauté malienne, le port du foulard est un symbole de féminité. J’ai toujours vu ma mère, ma grand-mère et mes tantes avec de jolis tissus sur la tête », confirme Koudiedji Sylla, journaliste franco-malienne de culture soninkée qui vient de lancer Sarakulé, une marque de « bissoro » – sobriquet local du turban – indigo.
Traditionnellement associé à un pagne et à une camisole, cet accessoire vient sublimer la toilette des femmes, notamment lors des cérémonies. Cette pièce de tissu essentiellement arborée lors des mariages est également un signe extérieur de richesse sur le continent. Fixé telle une corolle de fleur auréolant la tête, le gele nigérian, par exemple, confectionné à partir d’aso oke (un textile satiné noble), forme une coiffe similaire à une couronne royale.
Au Mali, les mariées ne sortent jamais sans leur foulard pour montrer aux hommes qu’elles ne sont plus libres d’être courtisées
Si DK Ange se félicite de maîtriser une cinquantaine de techniques d’attaches différentes, aucune littérature sur le nom des modèles et leurs significations ne semble exister. On sait seulement que l’étoffe cacherait de nombreux messages selon la manière dont elle est nouée.
Dans les cultures yorubas (Nigeria, Bénin, Togo, Ghana…), une femme mariée fera pointer son nœud à droite, tandis qu’une célibataire le hissera vers la gauche. « Au Mali, les mariées ne sortent jamais sans leur foulard pour montrer aux hommes qu’elles ne sont plus libres d’être courtisées. C’est culturel », complète la créatrice de Sarakulé. Mais le foulard aurait également, dans les sociétés africaines, des origines mystiques. « La tête est la partie supérieure du corps et la première à être touchée par les mauvais sorts, indique Koudiedji Sylla. Le turban a donc aussi une fonction protectrice. »
Beaux nœuds
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C’est en partie grâce à quelques ambassadrices de la beauté noire au naturel, la Mexico-Kényane Lupita Nyong’o ou l’Africaine-Américaine Alicia Keys, que ce couvre-chef s’est démocratisé en dehors des frontières du continent. « Notre génération est décomplexée, à l’aise avec ses origines. On grandit avec une image positive de l’Afrique et on veut le montrer, notamment avec un bandeau afro, décrypte Koudiedji Sylla. À la différence de nos mères, issues de la première vague d’immigration en Europe et qui avaient tendance à le renier pour pouvoir s’intégrer. »
Pour DK Ange, même constat. « Quand j’ai commencé à envelopper mes cheveux dans du batik, il y a dix ans, à Bruxelles, la diaspora africaine me prenait pour une blédarde. » Aujourd’hui, l’entrepreneuse peut se targuer d’être suivie par une communauté de quelque 18 000 fans sur Facebook, avide de conseils pour réaliser de beaux nœuds de foulard.
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Symbole d’affirmation identitaire, le port du turban s’inscrit dans la mouvance nappy (le fait de porter fièrement ses cheveux crépus au naturel), créée en réaction aux diktats imposés par la beauté occidentale. Une vague elle-même héritée du courant de la conscience noire et du « Black is beautiful », prônés pendant la lutte pour les droits civiques aux États-Unis dans les années 1960-1970.
Pourtant, pendant la période coloniale, ce petit bout de tissu est loin de revêtir la portée émancipatrice qu’on lui prête de nos jours. À la fin du XVIIIe siècle, le fichu est imposé aux femmes noires et métisses de Louisiane par la loi Tignon (dérivée des lois somptuaires), et devient un signe d’asservissement visant à masquer leur coquetterie – elles arborent souvent des tresses ornées de perles – et à marquer leur infériorité vis-à-vis des femmes blanches.
Mais les Créoles ne tarderont pas à détourner la symbolique dudit bandeau pour en faire un étendard de beauté grâce à la réalisation d’impressionnantes coiffes, aujourd’hui plus connues sous l’appellation maré tèt (turban madras, en créole).
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C’est grâce à l’innovation du système d’attache, prêt à l’emploi, que mes foulards ont su séduire la clientèle
Cette créativité, on la retrouve avec la nouvelle génération d’entrepreneuses noires qui ont fait de ce morceau de tissu un accessoire de mode universel. « C’est grâce à l’innovation du système d’attache, prêt à l’emploi, que mes foulards ont su séduire la clientèle », glisse Katia Da Veiga, 33 ans, cofondatrice de la marque spécialisée Indira de Paris.
Ses modèles en wax faciles à nouer sont des best-sellers au Japon. De son côté, DK Ange compte parmi ses adeptes des femmes afro-descendantes comme occidentales, mais aussi des musulmanes originaires du Maghreb qui souhaitent moderniser la façon de porter le voile à grand renfort de tissu africain. Longtemps emblème communautaire, le turban n’a désormais plus de barrières culturelles.
Formation et transmission
Un temps boudé par les jeunes, qui le jugeaient trop folklorique, le foulard afro connaît un regain d’intérêt auprès de la génération Y du continent. « Les femmes africaines sont aujourd’hui connectées, voyagent et voient à quel point leur patrimoine séduit à l’international », relève Koudiedji Sylla.
À l’origine peu initiées à l’art de l’attaché de foulard en raison du manque de transmission, les nouvelles ambassadrices du turban se réapproprient leur culture en créant des ateliers de formation sur fond d’estime de soi, comme à Dakar, avec Les Moussors de Awa, ou lors de la première édition du concours d’attaché de foulard à Abidjan, fin 2018.
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