[Chronique] De l’Algérie à la France, cinquante nuances de colère
Je me suis amusée à comparer les slogans des « gilets jaunes » en France et ceux des manifestants en Algérie.
J’avoue que j’ai été pour le moins déçue par les premiers. Du plagiat d’abord, avec le fameux « Dégage ! », pris aux Tunisiens. Des « Macron, démission ! » qui font marrer plus d’un démocrate : on se croirait dans une république bananière et non pas dans l’une des démocraties les plus vieilles du monde, détentrice d’un calendrier électoral sacré.
Et que dire de cette phrase répétée en boucle : « Macron, assez de dictature ! » Nous, gens du Sud, nous en avons ri carrément, estimant qu’il fallait expliquer à ces Français ce qu’est la dictature. La dictature, mes poussins, c’est quand tu ne peux ni ouvrir la bouche ni même penser par toi-même. C’est quand tu te fais fouetter par l’émir et gruger par ton raïs, qu’il soit fou à lier ou vieux à mourir. C’est quand tu ne peux pas échapper aux barreaux de la prison, quand ton corps risque la dissolution dans de l’acide ou, au mieux, quand tu t’exposes, entre autres tortures, à un test anal.
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La misère réactive l’imagination
En Algérie, la contestation use d’autres mots. Et c’est d’une telle saveur et d’un tel humour ! Alors même que le moral des manifestants est au plus bas, que l’oppression est réelle et que le système politique combattu dure depuis des lustres. Mais il en va probablement ainsi des choses : la misère réactive l’imagination, la dictature rend plus alerte, le manque de démocratie booste les capacités langagières de l’opprimé, et il faut avoir vécu la terreur pour savoir protester avec le sourire. Il y a si longtemps que le peuple algérien est empêché de descendre dans la rue qu’il entend y rester. Il a soif de politique et non pas forcément d’économie. Il a arboré ce cri : « Nous marchons. Vous courrez. »
Ils peuvent détourner nos votes, mais pas notre volonté
Même si la course en fauteuil risque d’être laborieuse. « Je suis tellement heureuse », affiche la pancarte d’une fille cheveux au vent : on dirait une déclaration de naissance. « Ils peuvent détourner nos votes, mais pas notre volonté », clame une autre banderole. Ou bien : « La République n’est pas votre propriété. » Tant de phrases dans un français excellent, à se demander si Molière n’est pas né du côté des Aurès, et pourquoi l’Algérie s’obstine à ne pas faire partie de la Francophonie. « Bouteflika, une fois là-haut, évitez les harraga », s’amuse un malin. « Le 5e, je te le dis par avance, oublie ! » avertit un manifestant repris par un autre : « Il n’y a que Chanel pour faire le NO 5 », toujours en référence au cinquième mandat qu’entendait briguer le président Bouteflika.
Puisant dans le registre sanitaire, ces mentions gravées sur un paquet de cigarette : « Votre système nuit gravement à notre santé. » Et : « Le pronostic vital du système est engagé. » Et pour filer la métaphore des nouvelles technologies : « Bouteflika : 27 avril 1999. Nokia 3310 : 12 octobre 2000. Ce téléphone est plus jeune que tes mandats. » « La deuxième République est en téléchargement. Elle est à 70 %. »
Gueuler avec brio
Expressifs et polis en plus, les Algériens ! Quand un groupe d’islamistes s’infiltre, les manifestants s’en éloignent sans fracas… En France en revanche, lorsque les casseurs colonisent les rangs des « gilets jaunes », ça fait mal à l’économie de tout le pays. Et pendant qu’à Paris on fait voler en éclats les vitrines, dans la rue Mourad-Didouche, les Champs-Élysées d’Alger, des citoyens ramassent les débris dans une opération géante de nettoyage. Le civisme serait-il en train de retraverser la Méditerranée ?
Bon, je l’admets, ce n’est pas parce qu’on gueule avec brio qu’on obtient ce qu’on veut. Ainsi, malgré leurs piètres slogans, les « gilets jaunes » parviennent parfois à faire reculer le gouvernement alors que rien ne dit que les manifestants algériens se feront entendre. Et si Macron, traité de Jupiter, accepte de revêtir son costume d’humain, les maîtres d’Alger ne daignent pas descendre de leur Olympe. Alors, il ne reste qu’une solution : confier Macron aux Algériens et envoyer les « gilets jaunes » endurer le sort des manifestants d’Algérie pour quelques mois. Les slogans pourraient changer…
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