[Édito] Emmanuel Macron face aux « gilets jaunes » : la bataille de Paris
Face à la contestation des « gilets jaunes », la stratégie du pourrissement pour laquelle Emmanuel Macron semble avoir opté est dangereuse. Et la décision de déployer l’armée à Paris en est le dernier signe.
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François Soudan
Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.
Publié le 24 mars 2019 Lecture : 4 minutes.
Pendant que Paris brûlait, Emmanuel Macron skiait… Le (très) haut responsable d’un pays des Grands Lacs, avec qui je partage un tea break en ce 20 mars orageux, n’en est toujours pas revenu.
Choqué par les images des Champs-Élysées saccagés, sidéré par la répétitivité des manifestations depuis dix-huit semaines, il avoue ne plus rien comprendre à la stratégie de l’exécutif français.
« Mais pourquoi ce président était-il en train de boire un verre en famille à la terrasse d’une station de ski pendant qu’on mettait le feu au Fouquet’s ? s’emporte mon interlocuteur. Ici, il y a longtemps qu’on aurait envoyé l’armée ; qu’est-ce qu’il attend pour le faire ? »
Dimension provocatrice
Lui répondre qu’en France l’armée reste dans les casernes et que c’est beaucoup mieux ainsi, car le maintien de l’ordre n’est pas un exercice de tir à balles réelles, ne servirait pas à grand-chose.
En Afrique comme ailleurs, le bilan de l’« intifada » des « gilets jaunes » est connu : 11 morts, plus de 400 blessés, 8 500 interpellations, autant de chiffres qui ont amené la haut-commissaire aux droits de l’homme de l’ONU, Michelle Bachelet, à sermonner le gouvernement français comme elle le fait avec les « démocratures » africaines, asiatiques ou latino-américaines.
Même si comparaison n’est pas raison, même si la France demeure un État de droit, même si Paris n’est ni Khartoum ni Caracas, l’inventaire des dégâts suscite bien des commentaires grinçants.
« C’est faire bien peu de cas de l’extrême violence qui s’est déchaînée contre les forces de l’ordre, un certain nombre de propriétés ou de biens privés et publics », a répondu le Premier ministre, Édouard Philippe, à l’ex-présidente chilienne.
Si j’étais le chef d’un gouvernement africain, je conserverais précieusement cette phrase – loin d’être fausse au demeurant – dans un coin de ma mémoire. Histoire de la ressortir au besoin, avec mention de l’auteur…
Je ne crois pas Emmanuel Macron inconscient au point de ne pas avoir su ce qu’il faisait, alors que l’arrivée en masse des casseurs était annoncée par tous les services de police à la veille du 16 mars sans que rien ne soit fait en amont pour les empêcher, alors que des leaders « gilets jaunes » instrumentalisés par des politiciens populistes appelaient ouvertement à « l’insurrection qui vient ».
Je ne crois pas que le président français ignorait la dimension provocatrice de son week-end médiatisé sur les pistes pyrénéennes.
Emmanuel Macron assume ce qui ressemble de plus en plus à une stratégie calculée du pourrissement
On peut certes comprendre que celui qui est apparu lessivé à l’issue de sa tournée est-africaine éprouve l’envie d’un temps de repos. Mais que diable ne l’a-t-il pas pris dans le parc d’une résidence de la République proche de Paris, plutôt que d’opter pour un loisir hors de portée de la plupart des Français ?
Une seule réponse possible : Emmanuel Macron savait et Emmanuel Macron assume ce qui ressemble de plus en plus à une stratégie calculée du pourrissement et de la césure entre une France européiste « qui gagne » et une France présentée – avec l’aide des médias Macron-compatibles – comme tiraillée entre une égérie du chaos nationaliste (Marine Le Pen) et un néo-Conducator psychiquement problématique (Jean-Luc Mélenchon).
Option dangereuse
La droite molle ayant confié sa tête de liste à un jeune philosophe catholique quasi inconnu, et le Parti socialiste, la sienne, à un fils de philosophe qui n’en a même pas la carte, les élections européennes du 26 mai s’annoncent comme un remake de la présidentielle de 2017.
L’option choisie par Emmanuel Macron est dangereuse, mais sans doute estime-t-il qu’elle lui sera politiquement rentable.
L’omniprésence logomachique d’un président qui milite pour lui-même a un nom : le dialogue participatif
En attendant les urnes et en comptant sur l’effet repoussoir de la mauvaise pièce de théâtre qui se donne chaque semaine sur les boulevards, l’heure est au « grand débat ». Ou plutôt au bavardage national et au parler pour ne rien dire, puisque les Français ont été prévenus : à la fin, le cap restera inchangé.
Cette saturation des médias par l’omniprésence logomachique d’un président qui milite pour lui-même et dont on ne peut qu’admirer la performance physique d’acteur devant des assemblées de maires de province médusés – il écoute, va au contact, prend des notes, tombe la veste, mouille la chemise, monologue à n’en plus finir –, cette tragicomédie a un nom : le dialogue participatif.
Le fait qu’il s’agisse là d’un pléonasme – sauf à reconnaître qu’en démocratie représentative le peuple ne participe plus et à en tirer les conséquences – a manifestement échappé aux architectes du grand débat, mais peu importe.
On y dénonce ce que, volontairement ou non, le pouvoir a laissé faire, casses, dépavages, incendies, pillages, et l’on est prié de communier dans le mépris d’une populace reptilienne et la condamnation d’une émeute d’enragés au cortex grillé.
Peter Pan de la politique française
Pour Emmanuel Macron, ce déchaînement est avant tout une offense faite à sa personne et à son intelligence. La clé de son week-end avorté garbure-vin chaud au pied du Tourmalet est aussi là : surtout ne pas plier sous l’opprobre d’une minorité haineuse.
« Qu’est-ce qu’il attend pour faire sortir l’armée ? » répète mon (très) haut fonctionnaire, qui voit non sans gourmandise ses collègues français confrontés au dilemme qui est le sien chaque fois que l’opposition fait descendre dans la rue ses bataillons de choc.
Mercredi 20 mars dans l’après-midi, ma réponse est brusquement devenue obsolète. Pour la première fois depuis la guerre d’Algérie, le gouvernement annonce qu’il déploiera l’armée dans Paris. Jamais, à aucun moment lorsqu’il a entamé sa marche triomphale sur l’Élysée, le Peter Pan de la politique française n’a imaginé que cela serait possible.
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