Afrikanista : la styliste Aïssé N’Diaye en mode patrimoine

Avec Afrikanista, sa marque parisienne, Aïssé N’Diaye réussit à faire rimer stylisme et politique. Remarquée par Beyoncé, elle entend bien conquérir les États-Unis.

La styliste Aïssé N’Diaye s’inspire de photos vintage et de l’univers des « studiotistes ». © Nafoore Qâa

La styliste Aïssé N’Diaye s’inspire de photos vintage et de l’univers des « studiotistes ». © Nafoore Qâa

eva sauphie

Publié le 4 avril 2019 Lecture : 4 minutes.

Proverbes africains oubliés, devise française détournée (« Liberté, égalité, affaire de papiers »), autant de messages imprimés en lettres capitales sur les tee-shirts, sweats et sacs en toile de la marque créée par Aïssé N’Diaye en 2014. Cette fille d’immigrés mauritaniens ayant grandi à Clichy-sous-Bois – en banlieue parisienne, où ont démarré les émeutes de 2005 – se réapproprie son patrimoine culturel et réinvente un langage teinté de politique.

« Les Noirs de France sont toujours considérés comme des citoyens de seconde zone. Je veux montrer que la double culture est une richesse », clame la styliste de 36 ans sobrement vêtue, assise dans l’un de ses cafés préférés du 10e arrondissement de Paris. L’entrepreneuse entend lutter contre les idées reçues et « prouver qu’il y a de la réussite dans l’immigration ».

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En 2016, deux ans seulement après le lancement de sa marque, l’ancienne chargée de l’identité visuelle dans le prêt-à-porter – dix ans de métier à son actif – retenait déjà l’attention de distributeurs de choix pendant le printemps africain de Paris, alors qu’elle dévoilait ses pièces célébrant l’africanité à l’occasion de l’exposition-vente « So Wax », dans le concept store parisien Merci. Rebelote l’année suivante aux Galeries Lafayette, le temps de l’opération éphémère Africa Now. Peu de temps après, la créatrice s’offrait un pop-up store au Comptoir général, établissement afro-bohème du 10e arrondissement de la capitale prisé par la diaspora branchée.

30px;text-align:>>> À LIRE – Mode : Afrikanista expose les clichés du photographe béninois Roger daSilva

Aïssé N’Diaye a une vingtaine d’années quand elle ressent le besoin de partir à la découverte de son histoire. Elle remonte d’abord son arbre généalogique, puis épluche les albums de famille et tombe alors sur les portraits de sa mère, enfant, réalisés dans un studio de Dakar à l’aube des années 1970. Des trésors qui l’amènent à découvrir le travail des maîtres du genre, Malick Sidibé et Seydou Keïta. L’identité iconographique de sa marque est toute trouvée.

Pagneuses et robeuses

Les photos vintage constitueront le point de départ du projet Afrikanista. Après avoir rendu hommage au photographe béninois Roger da Silva et aux tirailleurs sénégalais à travers ses collections, l’« Afro-Française » s’inspire cette année du film Bal poussière, d’Henri Duparc, et s’intéresse au statut de la femme africaine dans un système polygame. Cette comédie ivoirienne sur fond de critique sociale sortie en 1989 raconte l’histoire d’un riche paysan, du nom de Demi-Dieu, souhaitant faire de Binta, une jeune femme de 19 ans, rebelle et progressiste, sa sixième épouse. Les « pagneuses », attachées aux traditions, et les « robeuses », incarnant la nouvelle génération, plus émancipée, se retrouvent immortalisées en lettres et en dessins, aux côtés d’un « sapeur », dans une quatrième collection clairement féministe.

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« Aujourd’hui les femmes africaines sont à l’intersection de ces deux modèles », observe celle qui revendique sa modernité et son indépendance tout en étant résolument attachée à la culture de ses aînés. Pour cette ligne réalisée en collaboration avec la Franco-Camerounaise Marina Wilson – fondatrice de la plateforme Black Square –, Aïssé N’Diaye a fait appel à un créatif établi en Côte d’Ivoire.

L’équipe de Beyoncé a contacté mon attachée de presse pour dire qu’elle était intéressée par mon travail

« C’était une volonté de collaborer avec de jeunes talents du continent », prévient-elle. La série de tee-shirts en coton bio (40 à 55 euros pièce) et de sweats flanqués d’épaulettes frangées (110 euros) rend donc principalement hommage aux figures féminines du long-­métrage. Mais elle a également été inspirée par certains costumes de scène de Beyoncé, porte-drapeau pop du féminisme noir. Ce n’est donc pas un hasard si l’Américaine a été séduite par l’univers de la marque.

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Lors de son concert hommage à Nelson Mandela à Johannesburg en décembre dernier, la reine du R’n’B portait deux tee-shirts conçus par Aïssé N’Diaye, le modèle Union, issu de la collection 2017, et le best-seller Korika, représentant la mère et la tante de la styliste. « L’équipe de Beyoncé a directement contacté mon attachée de presse pour lui faire savoir qu’elle était intéressée par mon travail », peine encore à réaliser la créatrice, pour qui les ventes ont quadruplé depuis la mise en ligne des photos de la chanteuse en Afrikanista sur Instagram.

« J’ai, dans la foulée, reçu un pic de commandes sur le site, majoritairement en provenance des États-Unis, et depuis les ventes sont constantes », se félicite la styliste, qui verra bientôt sa marque distribuée sur le site d’e-commerce multimarques Antou Studio, destiné au marché américain. Mais Aïssé N’Diaye n’oublie pas le continent pour autant. Elle creuse également son sillon à Abidjan, avec un point de vente dans le très chic Comptoir des artisans, en attendant Dakar et Lagos.

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