Agroalimentaire : Olam desserre l’étreinte
Face à la résistance de la concurrence, le singapourien Olam infléchit sa « stratégie de l’asphyxie ». Une pause dans son offensive ou une volonté durable de figer les positions ?
Au Cameroun, au Ghana, au Sénégal, Olam (30,5 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2018) a discrètement fait passer le message : « La guerre des prix, c’est fini. » Soit. Mais, échaudés par plusieurs années de compétition exacerbée où leurs marges se sont contractées, ses concurrents sont peu enclins à croire la multinationale singapourienne sur parole et restent méfiants…
Au Cameroun, par exemple, deux acteurs historiques du secteur, Sali Moussa (Société Moulins d’Afrique) et Mohamadou Abbo (SCMC et SCTC), ont dû mettre la clé sous la porte. Depuis l’entrée en production de son moulin à Douala, en 2015, Olam a provoqué un véritable effondrement des prix, le sac de farine de 50 kg passant de 16 100 F CFA (24,50 euros) à 13 300 F CFA (– 17 %) entre 2015 et 2016.
Cette « stratégie de l’asphyxie », le géant asiatique l’a peu ou prou appliquée partout où il s’est installé depuis qu’il a investi le marché de la farine. D’abord au Nigeria, son pays de naissance (1989), où la compagnie a commencé par racheter en 2010 pour 107,6 millions de dollars la filiale locale du libanais Crown Flour Mills (CFM), dotée de deux moulins, l’un à Lagos et l’autre à Warri, équivalant à une capacité d’écrasement de 1 550 tonnes de blé par jour.
Un plan bien rodé
CFM est alors troisième producteur du pays derrière Dangote et Flour Mills of Nigeria. « Notre stratégie est de construire un ensemble d’installations de production de farine dans des ports africains […] avec le Nigeria comme point d’ancrage, » dévoilait alors Keshav Chandra Suresh, dit KC, président d’Olam Grains, branche du groupe dévolue aux céréales, créée en 2008. La compagnie va alors cibler des pays avec des caractéristiques bien précises : « Des marchés d’importation d’au moins 500 000 t de blé, avec une structure oligopolistique et entourés de pays à l’industrie meunière fragile. »
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Un mois après le rachat de CFM, en février 2010, Olam déroule son plan et annonce un second investissement au Ghana, de 55 millions de dollars, pour la construction d’un moulin à Tema (à 30 km d’Accra) d’une capacité de 500 t par jour. Suivra l’implantation de deux autres moulins aux caractéristiques identiques au Sénégal et au Cameroun d’une capacité de 500 t/j chacun.
Des usines que la compagnie, dirigée par Sunny Verghese, va construire avec ses propres équipes, en prévoyant de respecter les délais comme les budgets. Parallèlement, au Nigeria, elle étend ses capacités existantes, mais, surtout, rachète en 2016 Amber Foods, la branche farine du nigérian BUA Group, pour 275 millions de dollars et double d’un coup ses capacités totales d’écrasement pour atteindre 6 140 t/j. En 2017, elle double également ses capacités au Ghana, passant de 1 000 t/j à 6 640 t/j.
La guerre des prix pour lutter contre la surcapacité chronique
En à peine sept ans, Olam devient ainsi le deuxième producteur de farine au Nigeria et probablement le troisième minotier d’Afrique, derrière l’américain Seaboard Corporation et le nigérian FMN, avec des capacités équivalant à celle du tanzanien Bakhresa, mais devant le sud-africain Tiger Brands.
Et avec le rachat d’Amber Foods, le singapourien a commencé sa diversification en s’introduisant dans le business des pâtes, un secteur qui connaît actuellement une progression de près de 8 % par an. En 2017, le groupe a poursuivi cette stratégie en implantant deux usines au Nigeria, dans les États de Kaduna et de Kwara, spécialisées dans l’alimentation animale à partir de son, un sous-produit issu de la fabrication de la farine.
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Certes, ces importantes capacités d’écrasement lui confèrent dès lors une supériorité sur nombre de ses concurrents, mais encore lui faut-il parvenir à écouler sa production dans un secteur qui souffre, en Afrique subsaharienne, de surcapacité chronique et où il n’est pas rare de rencontrer des moulins ne tournant qu’à 50 % de leur capacité. Pour ce faire, la compagnie, dont les équipes dirigeantes sont majoritairement d’origine indienne, va choisir d’épuiser ses concurrents en vendant au prix le plus bas possible.
Des objectifs pas toujours atteints
Pour y parvenir, la multinationale va s’appuyer sur sa connaissance des marchés et des circuits de distribution, mais aussi sur son activité de trader en blé. Sa capacité à faire baisser les coûts de transport, en gérant au mieux l’approvisionnement de ses moulins – l’achat de blé représentant pour un moulin environ 75 % du coût de production –, et son accès facile à des devises lui offrent des avantages de taille sur ses concurrents locaux.
Le plan fonctionne, mais pas au point de faire d’Olam un leader incontesté dans les pays où il est présent. Au Nigeria, FMN reste, par exemple, ultra-dominant, avec près de 42 % de part de marché en 2018, d’après un rapport de Global Credit Rating Co. À eux trois, Olam, Dangote Flour Mills et Honeywell atteignent à peine 40 %.
Au Cameroun, Olam est deuxième, avec 25 % du marché, à égalité avec le soudanais Afisa et derrière Somdiaa, la filiale du français Castel. Au Ghana, Olam n’a pas réussi la percée espérée et exporte près de 50 % de sa production à l’étranger, notamment au Bénin, au Burkina Faso et au Togo. Dans ce dernier pays, Olam avait bien tenté d’acquérir le moulin de Lomé, mais c’est finalement Castel qui l’a acheté en 2014. Quant au Sénégal, d’après nos informations, Olam ne fait toujours pas partie du top 3.
Des choix pas toujours évidents
« Je ne suis pas convaincu par leur stratégie, nous confie un spécialiste du secteur. Si l’on regarde dans le détail, ils n’ont pas respecté leur promesse de départ en construisant des moulins finalement assez éloignés des ports. Que ce soit à Douala, à Dakar ou à Tema, leurs usines sont situées à 15 ou 30 km des quais. C’est anormalement loin dans ce business, car cela augmente les coûts de transport. Et au niveau géographique, là non plus, la promesse n’est pas parfaitement respectée, avec une usine à Dakar qui forme avec les autres un ensemble éclaté, sans compter que les deux usines nigérianes de CFM sont très éloignées l’une de l’autre. »
Ils donnent parfois l’impression de privilégier leurs activités de trading à celle d’industriel
Un autre bon connaisseur du secteur s’interroge également sur l’importance donnée par Olam à leurs moulins : « Ils donnent parfois l’impression de privilégier leurs activités de trading à celle d’industriel. Au Ghana, par exemple, malgré des capacités de stockage a priori suffisantes, il leur arrive de louer en plus de leurs propres silos des magasins parce qu’ils importent trop de blé. C’est un signe que les rotations ne sont pas maîtrisées. »
Un troisième enfin, étonnamment, ne les trouve pas suffisamment offensifs : « Si j’étais eux, avec leurs avantages comparatifs, je serais encore plus agressif et je continuerais d’investir pour asphyxier les concurrents locaux qui n’ont pas leurs capacités financières. Il ne faut jamais oublier qu’ils appartiennent à l’un des plus puissants fonds souverains du monde, le fonds singapourien Temasek. » Sollicité à plusieurs reprises, Olam n’a pas souhaité répondre à nos questions pour défendre ses choix.
Des concurrents dans les starting-blocks
Conscient que la compagnie ne peut indéfiniment courir après les parts de marché sans rentabiliser ses investissements, le groupe serait, d’après nos informations, en train de revoir sa stratégie et tenterait de s’accorder avec ses concurrents pour « revenir à des prix normaux », tout particulièrement au Cameroun, au Sénégal et au Ghana.
Est-ce une simple pause dans son offensive ou la volonté de figer durablement ses positions ? Difficile de le dire, mais ce changement de cap alimente les rumeurs. « Ils nous ont habitués à donner des grands coups de volant à gauche et à droite, constate ce spécialiste du secteur. Au Gabon, ils s’étaient lancés dans le bois et, in fine, prospèrent dans les infrastructures et la logistique. Là, ils se sont lancés dans la farine… Mais il n’est pas dit qu’ils y restent… Ce qui est certain, c’est que c’est loin d’être leur activité la plus rentable. » Une opportunité pour FMN, qui cherche à sortir du Nigeria, mais aussi pour Seaboard, à l’offensive depuis plus d’un an.
+ 11,8 %
C’est l’augmentation de la capacité d’écrasement installée en Afrique subsaharienne entre 2014 et 2017, passée de 30,4 à 34 millions de t par an.
Flour Mills of Nigeria se restructure et lorgne à l’Ouest
Le plus grand meunier d’Afrique s’agissant de la capacité d’écrasement (12 000 t de blé par jour), Flour Mills of Nigeria (FMN) – 1,48 milliard de dollars de chiffre d’affaires en 2018 –, jusqu’ici confiné aux frontières du Nigeria, recherche actuellement des opportunités d’investissement en Afrique de l’Ouest (rachats ou terrains constructibles).
« Nous voulons sortir du Nigeria et nous privilégions pour l’instant des investissements au niveau régional », confie un cadre du groupe. FMN est par ailleurs en pleine restructuration pour « gagner des parts de marché dans chacun de ses secteurs d’activité ». Ses actionnaires ont approuvé le 10 mars la fusion de cinq de ses filiales (Golden Noodles Nigeria, Golden Transport Company, FMN Cement Industries, New Horizon Flour Mills et Quilvest Properties) avec le holding FMN Plc.
Gagan Gupta prend encore du galon
Devenu officiellement en mars président d’Arise, filiale des activités infrastructures d’Olam en Afrique, Gagan Gupta était déjà directeur général d’Olam Gabon et « supervisait » les activités du groupe au Tchad et au Cameroun. Toujours installé à Libreville, l’Indien va cependant se concentrer désormais essentiellement sur les projets de construction d’un nouveau terminal dans le port autonome de Nouakchott (Mauritanie) et d’un terminal vraquier à San Pedro (Côte d’Ivoire).
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