Farid Fezoua (General Electric) : « Les Chinois sont plus des partenaires que des concurrents »
Alors que General Eletric traverse une phase critique, Farid Fezoua, PDG Afrique du groupe, fait le point sur les projets et les perspectives du géant américain sur le continent.
General Electric traverse la crise la plus grave de son histoire. Sa dette culmine à près de 100 % de son chiffre d’affaires (121 milliards de dollars en 2018). Larry Culp, PDG depuis octobre 2018, s’est engagé à faire baisser ce fardeau de 30 milliards de dollars cette année.
Mission presque réussie avec la vente de Biopharma à Danaher pour 21,4 milliards de dollars et celle de son activité transport à Wabtec pour 2,9 milliards en février. En Afrique, cette dernière cession a conduit au retrait de GE du projet de concession ferroviaire au Nigeria de 2 milliards de dollars remporté il y a deux ans.
Restructuration en cours
Au total, la restructuration en cours pourrait amputer ses revenus africains 2019 d’environ 600 millions de dollars par rapport à ceux (2,6 millions de dollars) de l’année précédente, même si la plupart de ses activités y sont en croissance.
Reste que ces incertitudes, notamment dans sa branche électrique, ont poussé un certain nombre de cadres du groupe sur le continent à passer à la concurrence. Farid Fezoua, français d’origine algérienne, déjà PDG de GE Healthcare et devenu PDG de GE Africa depuis octobre dernier, commente pour JA les ambitions de son groupe sur le continent.
Jeune Afrique : Quel est l’impact des restructurations en cours au niveau mondial sur GE Africa ?
Farid Fezoua : Sur le continent, notre activité transport cédée à Wabtec correspond à la construction (Afrique du Sud) et à la livraison de locomotives (Angola et Cameroun), et à la concession ferroviaire au Nigeria en partenariat avec Transnet (compagnie nationale sud-africaine). Dans la santé, en revanche, l’impact de la vente de Biopharma est quasi nul. Quant à l’activité pétrole et gaz, cela dépendra de la cession en cours de Baker Hughes GE, mais il est trop tôt pour en parler.
Les incertitudes qui entourent l’avenir de GE expliquent-elles les départs de plusieurs hauts cadres vers la concurrence ?
Il y a eu quelques départs en effet, mais les seules défections notables ont eu lieu dans le secteur de l’électricité, et nous n’avons eu aucun mal à les remplacer, notamment par des talents africains
Quelles sont désormais vos priorités ?
Nous souhaitons être un partenaire privilégié des États dans le domaine des infrastructures énergétiques. Leur mix est en train de se modifier, et nous possédons un portefeuille de technologies qui répond à cette dynamique. Là où il y a du gaz, nous continuerons de faire des centrales à gaz. Là où il y a du charbon, nous continuerons de faire des centrales à charbon, comme en ce moment même en Afrique du Sud, en utilisant une technologie qui réduit les émissions de façon exceptionnelle.
Nous sommes également très bien positionnés dans l’éolien et l’hydroélectricité, où le potentiel est énorme, avec 12 gigawatts d’électricité à base d’énergies renouvelables à installer d’ici à 2030. La modernisation et la réhabilitation des unités existantes constituent aussi un champ d’activité très important. Dans des pays comme le Cameroun, le Zimbabwe ou la Zambie, nous travaillons en priorité sur ce thème. C’est moins cher, et l’impact est immédiat.
Dans l’aéronautique, où vous êtes le leader mondial de la fabrication de moteurs, le marché semble moins réjouissant…
Nous avons d’importants partenariats avec Ethiopian Airlines, Kenya Airways ou l’angolais TAAG, dont nous sommes le partenaire exclusif. Notre proximité technologique historique avec Boeing nous offre d’excellentes perspectives. La combinaison de l’avion 777 et du turboréacteur GE 90 est reconnue comme l’une des plus efficaces dans l’industrie. Si les pays africains libéralisent enfin leur espace aérien, l’aviation civile y a un grand avenir, et nous avec.
Vous avez décroché en 2015, au Kenya, un contrat de modernisation, de réhabilitation et de maintenance de 98 hôpitaux pour 230 millions de dollars. Prospectez-vous ailleurs ce type de contrats ?
C’est un très bon exemple de ce que nous voulons faire. Un partenariat public-privé avec non seulement la livraison d’équipements mais aussi du service. En quinze mois, nous avons réhabilité et remis en état les équipements de radiologie et d’imagerie médicale de tous ces centres de santé. Puis pendant sept ans nous assurons le service et la maintenance du matériel, et la formation des équipes médicales. C’est une solution durable qui peut profiter à d’autres.
Quelle est la taille du marché de l’imagerie médicale en Afrique subsaharienne et qui sont vos plus gros concurrents ?
C’est un marché où nous sommes leaders et qui oscille entre 700 et 900 millions de dollars par an, avec des concurrents tels que Siemens, Philips et Canon.
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Vous êtes peu présent en Afrique francophone, mais l’on vous sent de plus en plus intéressé par cette région. C’est le sens de votre nomination ?
Le processus est entamé depuis quelque temps déjà. Il y a un peu plus de cinq ans, nous avons ouvert une antenne à Dakar, puis en 2015 un bureau à Abidjan. Nous possédons des antennes en RDC et au Cameroun, où nous fournirons sept turbines pour le barrage de Nachtigal. Nous allons poursuivre cette expansion et espérons développer nos activités dans d’autres pays, comme le Bénin ou le Mali.
Après huit ans d’efforts, nous venons de clore le financement de Bridge Power au Ghana, notre projet phare
Vous êtes parvenu l’an dernier, aux côtés de l’américain Endeavor Energy et du ghanéen Sage, à boucler le financement d’un projet Gas to Power de 400 mégawatts au Ghana. Ces infrastructures intéressent nombre de pays, n’est-ce pas une grande opportunité pour GE ?
Les projets Gas to Power sont très importants car ils promettent une plus grande indépendance électrique des pays et une meilleure stabilité du réseau. Cela fait plus de dix ans que nous y travaillons. Bridge Power à Tema, au Ghana, est notre projet phare. Après huit ans d’efforts, nous venons d’en clore le financement. Cela a été long, mais tout était nouveau. C’est la première centrale à partir de gaz de pétrole liquéfié (GPL) en Afrique et c’est aussi la plus grande du genre dans le monde. Elle sera pour partie fournie en gaz ghanéen et pour une autre en gaz importé.
Généralement nous ne sommes pas développeurs, mais nous avons fait une exception pour ce projet parce qu’il était innovant et qu’il fallait convaincre les nombreuses parties prenantes. Notre réussite en la matière nous donne un avantage sur la concurrence, et nous sommes attentifs aux pays qui voudraient suivre le mouvement, comme l’Afrique du Sud, le Sénégal ou le Mozambique…
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En Afrique, vous êtes confronté à la fois à la concurrence européenne – Siemens, ABB, Wartsila – et chinoise. Or, ces derniers ne sont pas seulement vos concurrents, ce sont aussi vos clients. Comment gérez-vous cette ambivalence ?
Globalement bien. Sur le papier, les Chinois sont à la fois des concurrents et des partenaires, mais en réalité ce sont plutôt des partenaires. En joint-venture avec PowerChina, nous faisons partie des trois derniers sélectionnés sur l’énorme projet hydroélectrique de Batoka (2 400 MW), en Zambie, et au Zimbabwe.
Nous leur fournissons également plusieurs turbines dans le cadre du barrage de la Grande Renaissance en Éthiopie. Dans de nombreux cas, ce sont les pays eux-mêmes qui militent pour ce genre de partenariat afin que la partie construction soit réalisée par les Chinois et que nous nous chargions de la partie technologie.
Mais les entreprises chinoises apprennent vite. Ce mariage est-il pérenne ?
On ne peut jamais dire que c’est éternel. Disons qu’il y a encore aujourd’hui une volonté de faire ensemble. Surtout, il y a une volonté des pays africains de garder GE comme partenaire, et c’est cette confiance-là qui garantit la pérennité de nos activités.
- 64 GW
C’est la puissance installée avec les turbines de GE en Afrique subsaharienne.
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