RDC : quelle stratégie pour Katumbi ?
Après avoir soutenu Martin Fayulu, candidat malheureux à la dernière présidentielle, l’ex-gouverneur du Katanga va devoir choisir : ménager le nouveau chef de l’État, Félix Tshisekedi, ou s’opposer à lui.
La phrase n’est pas passée inaperçue. C’était fin décembre 2018, lors de la dernière interview que Joseph Kabila accordait en tant que président de la République. Interrogé par Jeune Afrique sur l’état de ses relations avec Moïse Katumbi, Kabila répondait en le comparant à « Judas Iscariote ».
La rupture entre les deux hommes date de 2015, mais la haine que l’ancien chef de l’État voue à celui qui fut son allié semble inextinguible. Et l’expression employée fait encore cogiter dans l’entourage de l’ancien gouverneur du Katanga. « Il faut bien comprendre ce qu’il a voulu dire, tente de décrypter un de ses conseillers. Kabila se prend pour Jésus-Christ ! Après sa mort politique, il croit pouvoir ressusciter. Judas, lui, s’est pendu. C’est ce destin qu’il croit pouvoir imposer à Katumbi ! »
Il est vrai que, dans ses bureaux de Waterloo, la période est propice aux exégèses autant qu’à l’introspection. Voici près de trois ans que Moïse Katumbi vit en exil en Belgique. Il avait beaucoup misé sur l’élection présidentielle pour revenir sur le devant de la scène. Elle a fini par se tenir avec deux ans de retard, le 30 décembre dernier, mais sans lui.
Alliance Lamuka
Empêché d’être candidat faute d’avoir été présent en RDC pour déposer son dossier, Katumbi a dû se ranger derrière Martin Fayulu lors de la fameuse conférence de Genève, en novembre dernier. Félix Tshisekedi était l’un de ses plus proches alliés mais, lorsqu’il a décidé de faire cavalier seul, Katumbi a pesé de tout son poids pour soutenir Martin Fayulu. Il a en partie financé la campagne de ce dernier, au service duquel il a aussi mis ses hommes et mené un intense lobbying auprès des chefs d’État voisins de la RDC.
D’une certaine manière, l’alliance baptisée Lamuka (« Réveillez-vous », en lingala), dans laquelle étaient aussi présents Jean-Pierre Bemba, Adolphe Muzito et Freddy Matungulu, a connu le succès, puisque Fayulu l’a emporté avec plus de 60 % des voix selon la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco).
Mais cette débauche d’énergie n’a pas suffi : c’est Félix Tshisekedi qui a été proclamé vainqueur et préside, depuis le 24 janvier, aux destinées du pays. Kabila, lui, règne toujours sur le Parlement, et sa plateforme politique, le Front commun pour le Congo (FCC), devrait s’arroger une bonne part des ministères.
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Une déclaration de 32 secondes
Depuis, Katumbi, 54 ans, voyage moins, intervient peu et évite les médias. Aurait-il baissé les bras ? Dans son entourage, l’hypothèse fait sourire. « Ce n’est pas du tout son caractère ! Il observe la situation, qui n’est pas encore décantée. Le moment venu, il prendra la parole et reviendra dans son pays. C’est une question de semaines, de mois tout au plus ! »
Depuis janvier, il a fait, en tout et pour tout, une seule déclaration publique. C’était le 23 mars, à Bruxelles, au lendemain d’une réunion de Lamuka. Elle a duré 32 secondes. Le temps pour lui de rappeler qu’à ses yeux Kabila était responsable de « la fraude » et des retards du pays. « Le mal, c’est Kabila », a-t-il lancé. Mais il en a aussi profité pour affirmer que Félix Tshisekedi « restait un frère ».
Katumbi a l’intention de se rapprocher de Félix pour semer la discorde entre lui et Kabila
En dépit de la radicalité de Martin Fayulu, Katumbi a en effet obtenu de ses camarades de l’opposition que Tshisekedi soit ménagé. Voilà qui donne un aperçu de la stratégie qui sera la sienne dans les prochains mois. Comme les Occidentaux et l’Église catholique, Katumbi cherche à s’appuyer sur le nouveau président pour marginaliser Kabila, voire provoquer une rupture entre les deux têtes du nouveau pouvoir congolais.
Katumbi et Tshisekedi ont une histoire commune : ils se sont particulièrement rapprochés après le décès d’Étienne Tshisekedi, le père de Félix, survenu le 1er février 2017 en Belgique. Moïse a conseillé « Fatshi », il a fait en sorte qu’il prenne la tête du Rassemblement de l’opposition congolaise. Il l’a soutenu, parfois financièrement.
De quoi constituer les bases d’une reprise des relations entre les deux hommes ? « Katumbi a l’intention de se rapprocher de Félix pour semer la discorde entre lui et Kabila, affirme Barnabé Kikaya bin Karubi, ancien conseiller diplomatique de Kabila. C’est dans son intérêt bien sûr, mais pas dans celui du pays ni dans celui de Tshisekedi. »
Nouveau passeport
Le nouveau président congolais a pourtant fait de réels efforts pour permettre à Katumbi de revenir au pays. L’opposant ne disposait plus de passeport en règle, parce qu’il avait, par le passé, détenu la nationalité italienne (information qu’il conteste toujours) ?
Tshisekedi lui a fait délivrer un nouveau document de voyage en le dispensant de la procédure normale (dans des cas comparables, d’autres hommes politiques congolais avaient dû faire une demande de recouvrement de leur nationalité d’origine). Il a même dépêché un émissaire pour le lui remettre en main propre en Belgique, courant mars. Selon nos informations, il s’agit d’André Wameso, un de ses ambassadeurs itinérants, souvent chargé de prises de contact discrètes et sensibles.
Katumbi a apprécié le geste, mais considère que toutes les conditions d’un retour ne sont pas encore réunies. L’indicateur qu’il suit avec le plus d’attention, c’est la formation du nouveau gouvernement, toujours en négociation entre les deux têtes du pouvoir congolais. Deux noms ont circulé pour la primature : celui du ministre des Finances sortant, Henri Yav, dont Joseph Kabila ne voudrait pas, et celui d’Albert Yuma, président critiqué de la puissante entreprise publique Gécamines, auquel les Occidentaux sont farouchement opposés… Très lié à Kabila, celui-ci a été récusé par Tshisekedi.
Objectif : classement sans suite des poursuites judiciaires
Mais c’est surtout à l’identité des ministres que l’ex-gouverneur du Katanga sera attentif. Celui des Mines et des Finances notamment, pour savoir qui tiendra les cordons de la bourse – après tout, l’opposant est un homme d’affaires qui a fait fortune dans le secteur minier. Mais aussi ceux de l’Intérieur – il craint pour sa sécurité – et de la Justice.
Ce dernier portefeuille revêt une importance particulière pour Katumbi, qui est toujours visé par plusieurs procédures judiciaires engagées sous Kabila, bien souvent pour des raisons politiques. Il est accusé de spoliation (c’est l’affaire dite « immobilière »), d’atteinte à la sûreté intérieure et extérieure de l’État (dans l’affaire dite des « mercenaires »), et de faux et usage de faux (en lien avec son ancienne nationalité italienne).
Katumbi attend du nouveau président que les poursuites soient classées sans suite. Tshiskedi pourrait y trouver son intérêt : cela lui permettrait de renforcer l’idée qu’il met en œuvre un véritable changement de politique et satisferait les demandes qui lui ont été adressées par l’administration américaine et par la Cenco. Mais en aura-t-il les moyens ?
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Ensemble, principale formation d’opposition
Finalement, Katumbi ne reviendra que s’il estime que son grand rival, Joseph Kabila, a été mis hors d’état de lui nuire. Il pourrait alors tenter de prendre la tête d’une opposition apaisée. Son parti, Ensemble, a beau ne disposer que de 66 députés sur 500 à l’Assemblée nationale, il reste la plus importante formation d’opposition.
Mais pourra-t-il vraiment réussir son retour alors qu’il vit depuis trois ans loin des Congolais ? Cela reste à démontrer et présente pour lui un vrai risque : celui d’exposer un niveau de popularité qui pourrait ne pas être à la hauteur de ce que l’on attend d’un chef de l’opposition. En la matière, Jean-Pierre Bemba a réussi une démonstration de force lors de son arrivée à Kinshasa, en août dernier, après son acquittement par la Cour pénale internationale (CPI), et Martin Fayulu a, lui, fait ses preuves pendant la campagne.
Oreille attentive des chancelleries occidentales
S’il s’estime dans l’incapacité de revenir et s’il se pense condamné à la marginalité au sein des institutions congolaises pour les cinq années à venir, Katumbi adoptera peut-être une stratégie plus agressive. Seule une contestation populaire d’ampleur, comme la RD Congo en a connu par vague ces trois dernières années, conjuguée à des pressions externes pourraient lui redonner l’initiative en forçant le pouvoir à négocier.
Cela dépendra aussi du crédit que Tshisekedi parviendra, ou non, à conserver. Le terrain économique et social paraît crucial pour cela : les attentes des Congolais et de la communauté internationale sont immenses, notamment en matière de restauration de l’État de droit et de lutte contre la corruption.
Dans les chancelleries occidentales, on prête encore une oreille attentive à Moïse Katumbi. En Belgique, certains cercles économiques et politiques influents le soutiennent toujours mordicus. La position des États-Unis et de la France est moins nette. On y est sensible à son point de vue et à ses arguments, mais pas au point de le considérer comme l’unique solution d’avenir pour le Congo. Katumbi en a bien conscience.
Face à un Kabila au Tanganyika
Le 10 avril, les nouvelles assemblées provinciales devraient élire leurs gouverneurs. Zoe Kabila, le petit frère de l’ancien président, est candidat à ce poste au Tanganyika, une des provinces issues du démembrement du Katanga, qui fut jadis le fief de Moïse Katumbi.
Face à Zoe, un « katumbiste » se présente : Christian Mwando. Fils de feu Charles Mwando Nsimba, il a été ministre provincial des Finances de Katumbi, au Katanga, de 2010 à 2015. Le rapport des forces lui est, a priori, peu favorable : 8 députés provinciaux appartiennent à Lamuka, contre 17 au Front commun pour le Congo (FCC), le parti des Kabila. Katumbi n’était d’ailleurs initialement pas convaincu par la pertinence de cette candidature, estimant que la composition de l’Assemblée ne reflétait de toute façon pas la vérité des urnes. Mwando, lui, est convaincu de pouvoir créer la sensation.
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