Aéroports : les États face au grand bond en avant du trafic aérien

Face au développement spectaculaire du trafic aérien, les États doivent revoir leur stratégie. Une minorité a fait le choix de confier la gestion de ses infrastructures à des privés.

L’aéroport du Caire est le deuxième le plus fréquenté du continent, avec 17,4 millions de passagers en 2018. © Zhao Dingzhe/Xinhua/Photoshot/NurPhoto/AFP

L’aéroport du Caire est le deuxième le plus fréquenté du continent, avec 17,4 millions de passagers en 2018. © Zhao Dingzhe/Xinhua/Photoshot/NurPhoto/AFP

Rémy Darras © Francois Grivelet pour JA

Publié le 14 avril 2019 Lecture : 7 minutes.

Après avoir inauguré en grande pompe l’aéroport de Marrakech-Menara fin 2016, celui de Fès en 2017, et en janvier le nouveau terminal 1 de l’aéroport de Casablanca, qui devrait lui permettre d’accueillir 14 millions de passagers, Zouheir Mohamed El Oufir, directeur général de l’Office national marocain des aéroports (ONDA), a encore d’autres projets dans ses cartons pour répondre à un trafic qui ne cesse de croître.

Depuis 2006, ce dernier augmente de 6 % à 8 % par an et a même progressé de 10 % au cours de ces deux dernières années, porté par l’open sky et par les compagnies low cost. Présent début mars à Louxor à la 61e conférence régionale du Conseil international des aéroports-Afrique (ACI-Afrique), la grand-messe annuelle du secteur, le dirigeant met en avant son nouveau projet phare : le terminal de Rabat-Salé, dont les travaux, lancés en décembre 2018, devraient quadrupler la capacité d’accueil de l’aéroport en la portant à 4 millions de passagers.

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Comme l’a par ailleurs appris Jeune Afrique de banquiers d’affaires, c’est sur un plan d’investissement de 22 milliards de dirhams (2 milliards d’euros) que planche actuellement l’ONDA. Il devrait comprendre comme chantier le plus emblématique un nouveau terminal géant à Casablanca (6 milliards de dirhams) qui permettra à la plateforme d’atteindre la barre des 30 millions de passagers d’ici à 2035, mais aussi un terminal d’aviation d’affaires et de nouveaux terminaux à Tanger et à Marrakech… Un montant record pour l’Office national, ses précédents investissements s’étant élevés chacun en moyenne depuis dix ans à des sommes comprises entre 1 et 2 milliards de dirhams.

Réunir les ressources financières nécessaires pour relever le défi du doublement du trafic d’ici à vingt ans est devenu une préoccupation majeure.

Pour l’ONDA comme pour les autres gestionnaires d’aéroports africains, promis à un doublement du trafic aérien (s’établissant actuellement à 195 millions de passagers) d’ici à vingt ans, trouver le moyen de réunir les ressources financières nécessaires pour relever ce défi est devenu une préoccupation majeure. Car les projets poussent partout, de Cotonou à Ouagadougou, en passant par Libreville, Kigali, N’Djamena, Niamey, Khartoum, Conakry ou Djibouti… jusqu’au mégaprojet envisagé en Éthiopie, à 50 km d’Addis­-Abeba, dont les capacités sont fixées à 100 millions de passagers.

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« Comment ne pas faire peser ces charges sur les États, qui ont souvent du mal à expliquer aux populations que cet investissement est prioritaire ? » fait remarquer Jean-Marc Bourreau, directeur d’exploitation du cabinet IOS Partners, installé à Madagascar.

Au Maroc, on travaille déjà sur des pistes. Si les précédents projets étaient jusqu’à présent cofinancés par l’ONDA et par des bailleurs internationaux tels que la BAD – qui couvre par exemple 70 % du chantier de Rabat –, l’établissement public souhaite désormais se tourner vers des investisseurs privés au travers de partenariats public-privé (PPP).

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Ensuite, il pourrait proposer ses services hors de ses frontières, à l’instar d’Aéroports de Paris (ADP) ou du sud-africain Acsa. Au sud du Sahara, seuls quelques aéroports – tous situés dans des pays francophones, comme Abidjan, Brazzaville (tous deux exploités par le français Egis), Dakar (géré par le consortium turc Summa-Limak), ceux de Maurice et de Madagascar (avec l’opérateur ADP) – sont pour l’instant régis par des concessions ou des PPP. Ils font exception.

Les États s’endettent auprès d’entreprises turques ou chinoises

Au-delà des contrats de gestion, dans lesquels les opérateurs privés ne prennent pas de risque financier et apportent simplement leur expertise, la plupart des États, comme la Guinée, le Cameroun, la Tanzanie ou l’Ouganda, rechignent encore à confier les clés de leurs infrastructures au privé, car les aéroports constituent de confortables rentes dans lesquelles les gouvernements peuvent piocher pour boucler leur budget.

C’est en Afrique que les besoins pour ces infrastructures sont les plus criants

C’est actuellement le cas de la Guinée, qui fait tout pour ralentir le projet de concession proposé par le gestionnaire ADP pour l’aéroport de Conakry et cherche des financements, notamment auprès du fonds Africa50.

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« C’est en Afrique que les besoins pour ces infrastructures sont les plus criants. Mais des modes de financement tels que les PPP font face aux résistances gouvernementales, alors que les aéroports sont un bien de retour pour l’État. L’opérateur privé prend le risque et garde une partie de la rémunération, mais à la fin il ne peut pas repartir avec la piste. Les partenariats n’enlèvent en rien le caractère stratégique de l’actif », commente Ramatou Magagi, principale chargée d’investissement à la Société financière internationale (IFC), à Washington, sollicitée sur de nombreux projets d’aérogare sur le continent.

Pour développer leurs projets, les États, qui présentent souvent des budgets en déficit, continuent donc de s’endetter auprès des bailleurs ou des entreprises turques ou chinoises. Mais, surtout, ils font peser leurs charges sur les compagnies aériennes, qui les répercutent sur les prix des billets. « En Afrique, les revenus des sociétés gestionnaires dépendent plus qu’ailleurs des redevances payées par les compagnies aériennes », rappelle Philippe Villard, chef du service politiques économiques à l’ACI. Ce qui restreint d’autant plus la croissance du trafic et l’attractivité des dessertes. « Selon les périodes, les taxes aéroportuaires sur un billet Dakar-Banjul peuvent représenter jusqu’à 80 % du prix », soulève l’experte de l’IFC.

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Pour les professionnels rencontrés au bord du Nil, le secteur privé dispose de beaucoup plus de marge de manœuvre que les États pour accroître les nouvelles ressources. Pour financer, rentabiliser l’investissement et libérer le potentiel de trafic, les aéroports peuvent bénéficier d’une nouvelle manne qui dépend d’une contribution volontaire du passager : les recettes extra-aéronautiques.

Le modèle de financement transformant les terminaux en immenses centres commerciaux gagne toutes les régions du monde

Autant dire tout ce qui n’a pas trait directement au cœur de métier traditionnel d’un aéroport : recettes des parkings, commerces, duty free, restaurants, publicité, voire la promotion immobilière grâce aux cités aéroportuaires (« aerotropolis »), comme celle développée à l’aéroport de King-Shaka, près de Durban, devenue une véritable zone industrielle…

Un modèle de financement transformant les terminaux en immenses centres commerciaux qui gagne toutes les régions du monde : l’Europe où il représente 38,3 % des revenus, l’Asie-Pacifique, 45,2 %, et le Moyen-Orient, 48,2 %. Mais il semble encore un horizon lointain pour les aéroports africains qui percevaient seulement 26,7 % de recettes extra-­aéronautiques en 2017. Au Maroc, « ces dernières sont passées de 18 % à 32 % de nos revenus en six ans et ont progressé l’année dernière de 124 % », se félicite Zouheir Mohamed El Oufir, qui promet d’autres espaces de détente, de nouvelles aires de restauration et de luxueuses vitrines pour venir jalonner le parcours du passager avant sa porte d’embarquement.

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Souhaitant dupliquer à Casablanca et à Rabat ce modèle éprouvé avec succès à Marrakech, le dirigeant de l’ONDA s’est fixé comme objectif de dépasser les 45 % de revenus extra-­aéronautiques d’ici à cinq ans. « Le but étant de fluidifier au maximum le parcours du passager pour qu’il ne fasse pas trop la queue et se retrouve au plus vite au milieu des commerces. Quand on conçoit un aéroport en greenfield (ex nihilo), il est essentiel d’avoir à l’esprit les coûts de l’exploitation », explique Olivier Baric, directeur aviation Afrique d’Egis.

Un aéroport n’est pas rentable au-dessous de 1 million de passagers

Le groupe français a vu le fonds sud-africain AIIM prendre 50 % du capital de sa filiale aéroportuaire africaine Segap en juillet 2018, en remplacement d’Aéroports de Marseille-Provence, pour lui donner plus de capacités d’investissement en fonds propres.

Mais encore faut-il que la conception de l’aéroport et l’enveloppe d’investissement soient en accord avec le volume de passagers attendus. Car, « au-dessous de 1 million de passagers, un aéroport n’atteint pas son seuil de rentabilité », observe Jean-Marc Bourreau, s’appuyant sur les chiffres d’ACI, qui établit le retour sur investissement à – 2,6 %. Ce qui est le cas pour 80 % des aéroports africains, note le consultant.

« C’est surtout une question d’adéquation avec les besoins. Quand un aéroport n’a pas la base suffisante de trafic, il n’est pas possible de faire supporter tout le risque par l’opérateur privé », analyse Ramatou Magagi. D’autres experts citent le cas du nouvel aéroport de Donsin, à 30 km de Ouagadougou, qui affichait une base de trafic de 300 000 passagers. « S’il y a un investissement de 500 millions de dollars, cela ne marche pas, même si c’est sur une durée de vingt à trente ans », poursuit un spécialiste.

Sur la table depuis plus de dix ans, le projet devrait finalement être réalisé en PPP avec le fonds Meridiam, déjà actionnaire de Ravinala Airports (Antananarivo et Nosy Be), et Aéroports de Marseille. La peur de l’éléphant blanc guette malgré tout. Le Mozambique ne sait plus quoi faire de l’aéroport fantôme de Nacala, ouvert en 2014 mais qui ne fonctionne qu’à 4 % de ses capacités.

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