Maroc : le changement de régime en Algérie fait naître l’espoir à l’Est
Le possible rétablissement des échanges avec l’Algérie tient en haleine les Oujdis, qui entrevoient enfin le désenclavement de leur région.
Le contrôle strict des frontières a conduit à un marasme économique. Dans cette région où le taux de chômage oscille entre 16 % et 17 %, l’informel a toujours alimenté le circuit structuré. Sur les 12 km de route qui séparent l’impasse Zouj Beghal de la ville d’Oujda, chef-lieu de l’Oriental, on dénombre pas moins d’une dizaine de salles des fêtes. « Les affaires tournaient bien à une époque, commente Fouad, chauffeur de taxi.
Aujourd’hui, ces établissements mettent la clé sous la porte. Leur salut passe par la célébration, un jour peut-être, d’un mariage de raison entre le Maroc et l’Algérie. » à l’époque où la frontière n’était pas encore étanche, Fouad conduisait une mouqatila, ces véhicules customisés façon Mad Max, chargées à ras bord de bidons d’essence, qui traversaient à tombeau ouvert les pistes frontalières et les routes secondaires de l’Oriental.
Un petit trafic qui lui rapportait jusqu’à 3 000 dirhams (275 euros) par trajet, l’équivalent de son revenu moyen mensuel actuel de chauffeur de taxi. « Les bons soirs, on tombe parfois sur un client bien accompagné et généreux, qui te glisse un billet de 100 dirhams. Mais ce genre de clientèle se fait de plus en plus rare. Les Oujdis n’ont plus la tête à la fête… », confie Fouad. Aujourd’hui pourtant, il y a comme un vent d’espoir qui souffle de l’est.
Business en péril
Aux abords de la médina d’Oujda, la place du Maghreb-Arabe est dans un état aussi déplorable que l’alliance régionale qui lui a donné son nom. Polluée, bruyante, déstructurée, elle a vu grandir l’ex-président algérien Abdelaziz Bouteflika. Sa demeure familiale, menaçant de tomber en ruine depuis des années, a été démolie en janvier dernier. Prémonitoire ? à quelques mètres de ce qui est aujourd’hui un terrain vague, sur la terrasse d’un café, quelques Oujdis se livrent à une lecture métaphorique des événements.
Ici plus qu’ailleurs au Maroc, les habitants suivent de près ces événements. Ils y voient un espoir de changement et de retrouvailles avec leurs frères
« Le clan d’Oujda, qui tenait Alger d’une main de fer et qui avait une dent contre le Maroc, s’est effondré comme cette maison de Bouteflika, lance l’un d’eux. Maintenant, il faut voir ce que vont reconstruire les généraux. Vont-ils regarder enfin du côté de la frontière ou resteront-ils les yeux rivés sur les cours du pétrole ? » « Ici plus qu’ailleurs au Maroc, les habitants suivent de près ces événements. Ils y voient un espoir de changement et de retrouvailles avec leurs frères, explique Abdelaziz Aftati, ancien député d’Oujda. Ils se disent que ça ne peut pas être pire que ces dernières années. »
Devant le conseil régional de l’Oriental, s’étend une longue file de camions échoués depuis plusieurs jours. « Ils exigent une sorte de préférence locale pour les marchés publics attribués par la région, vu qu’ils n’ont plus accès au carburant algérien bon marché », explique un familier de l’économie locale. À l’intérieur, nulle trace du président Abdenbi Bioui. L’élu du Parti Authenticité et Modernité (PAM) a été condamné à de la prison ferme pour détournement de deniers publics. Le même sort a été réservé au maire de la ville, Omar Hjira (Istiqlal). Un scandale dont l’Oriental, déjà en mal d’attractivité, aurait pu se passer. En l’absence des deux principales figures politiques de la ville, c’est le vice-président du conseil régional qui tient la barre, enchaînant signatures (hésitantes) de parapheurs et tournées avec des investisseurs. « Je viens de quitter des investisseurs russes, qui ont été très attentifs au potentiel de notre région », précise Mohamed Mrabet. Pour ce pharmacien sexagénaire, la relance de l’investissement et les créations d’emplois sont les principaux défis à relever.
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« Aux investisseurs qui nous demandent ce que nous avons à leur offrir, nous répondons qu’ils auront tout ce dont ils ont besoin, voire plus », clame l’édile. Lequel gère, avec le Centre régional d’investissement (CRI), un fonds d’appui aux investissements doté de 55 millions de dirhams. « Il permet de subventionner les investissements pourvoyeurs d’emplois, et de compenser ainsi notre déficit de compétitivité par rapport à d’autres régions », observe Mohamed Sabri, directeur du CRI, qui croise les doigts pour attirer une entreprise de câblage automobile, la première.
L’attractivité de la région, aux yeux des investisseurs, prendrait une nouvelle dimension, à la hauteur du marché étendu qui s’ouvrirait et du pouvoir d’achat additionnel généré
À la clé, 900 emplois. Les officiels sont conscients du bouleversement que constituerait une évolution des relations avec l’Algérie. « Une réouverture des frontières, c’est le jackpot pour notre développement. Toutes les activités reprendraient, et la population retrouverait la confiance et le moral », affirme le vice-président du conseil régional. « L’attractivité de la région, aux yeux des investisseurs, prendrait une nouvelle dimension, à la hauteur du marché étendu qui s’ouvrirait et du pouvoir d’achat additionnel généré », renchérit le directeur du CRI.
Plan d’investissements
À l’autre bout de la ville, au siège de la Chambre de commerce d’industrie et de services, la foule attend, ce 10 avril au matin, un invité de marque : le ministre Moulay Hafid Elalamy, qui vient à la rencontre des commerçants pour écouter leurs doléances. Le président de la chambre de commerce lui remet 87 recommandations pour la relance des secteurs productifs. Avec ses 18 000 points de vente et 20 grandes surfaces, le secteur du commerce assure 54 % des emplois dans la région. Sans compter l’informel… Aujourd’hui, l’activité est menacée. Des affiches placardées dans certaines galeries marchandes en appellent à une intervention royale pour sauver des échoppes de la saisie bancaire.
En attendant une hypothétique réouverture des frontières, les autorités cherchent tant bien que mal à dynamiser l’activité économique. « Les investissements publics des quinze dernières années se chiffrent à quelque 100 milliards de dirhams », souligne Mohamed Sabri. Autoroute Fès-Oujda, voie ferrée Nador-Taourirt, rocade méditerranéenne, faculté de médecine, station touristique de Saïdia, réaménagement de la lagune de Marchika, agropole de Berkane, centrale thermosolaire d’Aïn Beni Methar, technopole d’Oujda…
Même avec la mise à niveau des infrastructures, les initiatives privées restent limitées
De nombreux projets d’infrastructures sont sortis de terre depuis le discours de Mohammed VI à Oujda, le 18 mars 2003. Mais les besoins restent considérables. « Même avec la mise à niveau des infrastructures, les initiatives privées restent limitées », constate Mohamed el-Mbarki, directeur de l’Agence pour la promotion et le développement de l’Oriental.
Le conseil régional compte quant à lui débloquer 19 milliards de dirhams d’investissements d’ici à 2021. Des secteurs comme l’offshoring sont subventionnés pour placer Oujda sur les tablettes des opérateurs internationaux. Un autre projet de création d’une plateforme logistique de valorisation des produits du terroir est en cours de développement. Il vise à soutenir l’économie solidaire : les 3 300 coopératives que compte la région génèrent directement 40 000 postes de travail et 12 000 emplois indirects. Les efforts sont multiples pour sortir l’Oriental de son cloisonnement, avec notamment l’ouverture d’une liaison aérienne vers Bouarfa et l’accélération des travaux du port Nador West Med. Mais pour les locaux, rien ne pourrait remplacer une levée du « blocus de l’est ».
L’Oriental Express, locomotive du tourisme
En 2011, la planète cinéma et les Marocains découvrent les décors époustouflants traversés par le « train du désert », dans une scène de Spectre, le dernier James Bond à cette époque. Huit ans plus tard, le ministère du Tourisme, l’Office national des chemins de fer et le conseil de la région de l’Oriental viennent de signer un partenariat avec des opérateurs privés pour redonner vie à « l’Oriental Express ».
Contrairement aux projets lancés jusque-là pour relier Oujda à Bouarfa (350 km), le modèle économique retenu repose sur la création d’escales le long du trajet. La relance du projet vise le développement du tourisme régional. Car l’Oriental compte deux stations balnéaires d’exception. Une étude a été confiée au cabinet Valyans pour identifier neuf nouveaux sites d’intérêt touristique. « Nous avons veillé à avoir au moins un site par province », confie Mohamed Mrabet, vice-président du conseil régional.
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