Or : la Mauritanie entend protéger son filon
Depuis 2016, la Mauritanie est le nouvel eldorado des industriels et des orpailleurs. Mais l’État, s’il consent à voir son sous-sol exploité, n’est pas prêt à le céder à n’importe quel prix.
La Mauritanie vit à l’heure de l’or. Tasiast, à 300 km au nord de Nouakchott: dans le désert, des camions hors normes remontent le minerai de la fosse de 200 mètres de profondeur par fournée de 220 tonnes. À côté de sa base-vie de 3 800 personnes, le canadien Kinross va réduire les roches en poussière dans des concasseurs géants et en extraire chimiquement les microscopiques paillettes d’or (2 grammes par tonne) qu’elles contiennent.
Gleib N’Dour, à 1000 km plus au nord et en pleine zone militaire : 18 000 orpailleur sont transformé le désert en gruyère pour en extraire le précieux métal (20 grammes par sac de 50 kg).
« Notre pays est très mal connu géologiquement, commente Bezeid A. Abderrahmane, directeur du cabinet de conseil EAB et géologue diplômé de l’université polytechnique de Montréal. Mais la Mauritanie attire de plus en plus, car on découvre peu à peu son potentiel minier : dans le nord, le fer et l’or mais aussi des indices de métaux de base et de quartz ; dans le centre et jusqu’au sud-est, près du Mali, des terres rares, de l’or, du cuivre, du plomb, du chrome. On a découvert aussi de l’uranium, du gypse et du soufre. »
Kinross en difficulté
Le fer étant de la seule compétence de l’entreprise publique Snim, c’est l’or qui focalise tous les regards. À vrai dire, Kinross n’est pas payé de retour par l’usine de traitement de qualité mondiale qu’il a installée en plein désert. Tasiast demeure déficitaire, malgré les 6 à 7 tonnes d’or qu’elle produit bon an mal an (360 000 onces en 2018) et malgré les investissements qu’il a réalisés pour porter de 8 500 à 12 000 tonnes sa capacité de traitement annuel. En cause, les coûts importants de la base-vie en plein désert, l’énergie très chère, les teneurs en or moins élevées.
David Hendriks, son directeur pays, espère pouvoir dégager enfin des bénéfices « l’année prochaine ». Pour l’instant, il taille dans les coûts et gèle avancements et promotions jusqu’à ce qu’il soit « sûr d’avoir les effectifs adaptés à la production souhaitée », au grand dam des représentants syndicaux mauritaniens, qui voient dans ce gel un blocage de la « mauritanisation » des effectifs engagée en 2016.
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Un accord a été trouvé le 29 avril entre la direction et les délégués du personnel, prévoyant le paiement d’un bonus pour le premier semestre 2019 et d’une allocation exceptionnelle pour la fin du Ramadan.
Les relations de Kinross avec la Mauritanie ont toujours été aigres-douces malgré les efforts du canadien pour financer les éleveurs voisins de la mine, le système de santé national, la distribution d’aliments, la sponsorisation du marathon de Nouadhibou ou la formation de techniciens (11,6 millions de dollars dépensés entre 2012 et 2018). Le gouvernement mauritanien souhaite ardemment l’exploitation de son sous-sol, mais veut aussi maximiser les retombées pour le pays en matière d’emplois et bien sûr de recettes.
Modifications successives du code minier
Un bras de fer feutré est d’ailleurs en cours entre Kinross et le gouvernement, qui estime les efforts du canadien insuffisants. Ce dernier n’a pas reçu l’autorisation de démarrer la phase II de la mine de Tasiast qui devait porter à 30 000 t sa capacité de traitement avec un investissement de 950 millions de dollars.
La volonté mauritanienne de contrôler l’exploitation de ses ressources se lit dans les modifications successives du code minier à l’usage des compagnies. Il se fait moins libéral. « La superficie des permis de recherche a été réduite de 1 500 à 500 km2, explique Mohamed Lemine Moustapha, le directeur général des Mines. Nous avons limité les substances recherchées. Aujourd’hui, nous comptons 68 permis de recherche de trois ans renouvelables deux fois et 20 permis d’exploitation en cours. »
Au-delà des industriels, Nouakchott souhaite encadrer la ruée des orpailleurs qui a atteint la Mauritanie depuis 2016. « Nous avons rendu obligatoire le permis de recherche, explique M. Moustapha. Nous avons installé deux centres de traitement du minerai pour protéger l’environnement et la santé de ces artisans, à Chami et à Zouerate. Cinq cents machines pilotées par cinq personnes chacune y ont été mises en place.
La junior Algold Resources tire son épingle du jeu
Il s’agit aussi de surveiller les zones à risques, car les galeries qu’ils creusent sont dangereuses. » Pour suivre à la trace cet or qui pourrait dépasser la tonne cette année, la Banque centrale de Mauritanie a, depuis janvier, ouvert dans chaque centre un guichet où les orpailleurs doivent vendre leur métal précieux. « Cela s’effectue au cours mondial, mais avec une décote, ce qui nous permet de connaître son origine », explique Aziz Ould Dahi Abdel, le gouverneur de l’institution.
Également présente dans le pays, la junior canadienne Algold Ressources bénéficie d’un tout autre traitement que son compatriote Kinross. Celle-ci a vu prolonger la durée de son permis de recherche sur la zone de Tijirit, non loin de Tasiast. Les forages y font apparaître un riche gisement capable de produire 100 000 onces d’or par an avec des coûts inférieurs à 800 dollars l’once et un effectif de 800 employés. Algold doit finaliser l’étude de faisabilité d’ici à la fin de cette année pour ensuite tenter de lever 130 millions de dollars afin d’entamer l’exploitation de sa mine.
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La différence entre Kinross et Algold tient au fait que ce dernier a habilement ouvert le capital de sa filiale à l’État (15 %) et à la société Wafa Holding (10 %), propriété de la famille Ghadde, réputée proche du président Aziz, alors que Kinross détient 100 % de la sienne. À l’évidence, le gouvernement freine Kinross et épaule Algold pour obtenir un partage plus favorable du gâteau.
Une exigence de retombées locales qui devrait durer
Les investisseurs ont eu vent des difficultés de Kinross et ont stoppé les négociations pour financer plusieurs projets. Le président Abdel Aziz n’en a cure. Il a dit à plusieurs interlocuteurs qu’il ne voyait aucun inconvénient à ce que les minerais restent dans le sol en attendant l’arrivée d’investisseurs plus conciliants. Cette position s’explique aussi par son espoir d’obtenir un pactole du gisement gazier Grand Tortue-Ahmeyim qui entrerait en exploitation en 2022.
Kinross pliera-t-il ou partira-t-il ? L’élection de juin désignera-t-elle un président plus accommodant qu’Abdel Aziz concernant la gestion du riche sous-sol mauritanien ? Pas sûr, car l’exigence de retombées plus importantes en provenance du secteur extractif semble partagée par toute la classe politique ainsi que par l’administration minière, qui a une bonne appréhension du rapport de force à maintenir avec les compagnies étrangères.
Mauvaise passe pour le fleuron national Snim
La Société nationale industrielle et minière (Snim) véritable institution en Mauritanie, détenue à 78,35 % par Nouakchott, traverse une passe financière difficile depuis que le prix de la tonne de minerai de fer a été divisé par cinq, en 2014. Comme Gazprom en Russie ou Sonatrach en Algérie, elle paie aussi sa mise à contribution dans des grands projets gouvernementaux très éloignés du domaine minier, comme l’assurance, le tourisme, l’hôtellerie, le nouvel aéroport de Nouakchott, l’assainissement, le transport, la manutention, l’eau, l’électricité, etc.
Au temps de sa splendeur, en 2013, elle espérait produire 25 millions de tonnes de minerai de fer en 2019 et 40 millions de tonnes en 2025. Mais seulement 11,09 millions de tonnes ont été traitées en 2018, l’usine de Zouerate ne parvenant pas à accélérer la cadence. Son actuel administrateur-directeur général, Hassena Ould Ely, vise 12,3 millions de t cette année.
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