Lobbying : Philip Morris veut imposer son changement de modèle

Alors que les pays de la Cedeao augmentent le prix des paquets de cigarettes, le leader mondial du tabac négocie un cadre fiscal spécifique pour son nouveau produit électronique.

L’usine Phillip Morris à Dakar au Sénégal. Photo Bob Balestri/iStock/Getty Images © Bob Balestri/iStock/Getty Images

L’usine Phillip Morris à Dakar au Sénégal. Photo Bob Balestri/iStock/Getty Images © Bob Balestri/iStock/Getty Images

Rémy Darras © Francois Grivelet pour JA

Publié le 28 avril 2019 Lecture : 3 minutes.

Installée à Dakar depuis 2007, la seule usine appartenant en propre à Philip Morris International (PMI, 69,7 milliards de dollars de CA en 2018) sur le continent, qui emploie 300 personnes et dans laquelle il a investi 60 millions d’euros, continuera-t-elle encore longtemps de produire des cigarettes ?

C’est la question qui se pose désormais pour le leader mondial de l’industrie du tabac, détenteur de 12 % de part de marché au sud du Sahara et dont la filiale (qui couvre treize pays d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale) réalise annuellement l’équivalent de 100 millions d’euros de chiffre d’affaires.

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Souhaitant, en vertu du « principe de la réduction de la nocivité dans l’industrie du tabac », arrêter la production de cigarettes à terme partout dans le monde – comme elle l’a fait dans son usine grecque en mars –, l’entreprise américano-suisse entame actuellement la plus grande transition industrielle de son histoire. PMI ne fabriquera plus qu’un appareil électronique sans fumée : l’iQos, qu’il présente comme une solution proposée aux fumeurs adultes.

Intense lobbying

Commercialisé dans une quarantaine de pays, dont l’Afrique du Sud, devenu numéro un des produits à fumer au Japon, ce tube aux allures de stylo-plume, vendu en kit 70 à 80 dollars, chauffe le tabac sans le brûler, grâce à un stick (vendu exclusivement par PMI) que l’on insère. S’il est l’objet de virulentes controverses, le produit, en supprimant la combustion, enlèverait 95 % de la nocivité d’une cigarette traditionnelle, selon les dires de PMI, qui a engagé 5 milliards de dollars en recherche et développement depuis une dizaine d’années.

C’est désormais au sud du Sahara que le fabricant des célèbres marques Marlboro, L&M ou encore Chesterfield entend accélérer sa transition. Mais pour cela, PMI doit obtenir l’accord des gouvernements. Ses équipes mènent actuellement un intense lobbying auprès des ministères du Commerce et de la Santé pour faire évoluer le cadre réglementaire et fiscal qui permettrait de commercialiser cette cigarette alternative.

Hausse des taxes

Épousant dans sa communication les prescriptions de l’OMS, le groupe dit adhérer aux politiques d’interdiction de fumer dans les lieux publics, de marquage sur les paquets, d’interdiction de la publicité sur les produits du tabac, d’interdiction aux mineurs, qui se mettent actuellement en place dans les pays. L’enjeu du débat est ailleurs pour la firme, qui dispose de laboratoires à Neuchâtel (Suisse).

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Car le secteur profitait jusque-là de faibles niveaux de taxation, s’élevant en moyenne de 10 % à 30 % en Afrique de l’Ouest, contre 62 % dans les pays européens. Selon la réglementation en vigueur, ceux-ci ne pouvaient pas aller au-delà de 50 % des prix du paquet.

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Une directive de la Cedeao datant de décembre 2017 fixe de nouvelles conditions. Les droits d’accise (impôt indirect) passent de 50 % de taxation au minimum à un maximum de 150 %. Ce qui a entraîné des hausses importantes, notamment au Sénégal, qui est passé en juillet de 45 à 65 % d’imposition.

« On ne peut pas passer de 10 % à 40 % de taxation de manière aussi rapide », s’émeut un cadre de l’industrie. Risque d’aggravation du phénomène de contrebande et, par ricochet, du financement des activités terroristes, argue PMI auprès des États.

Toutefois, le groupe se dit prêt à accepter des hausses importantes (mais graduelles) à condition qu’une taxation réduite (15 % à 20 %) soit appliquée sur son nouveau produit « pour créer un appel d’air ». Ce qui permettrait, selon ses plans, un transfert des fumeurs de cigarettes traditionnelles vers iQos. Et proposerait une alternative à une population de fumeurs encore peu élevée (77 millions d’individus) sur le continent mais promise, selon l’OMS, à une croissance de 40 % entre 2010 et 2025.

La moindre nocivité en question

« L’iQos (cigarette chauffée) offre moins de nicotine, ce qui donne au fumeur l’envie d’inspirer plus de fumée. On n’a aucune idée de ses effets à long terme », indique Pascal Diethelm, ancien fonctionnaire de l’OMS. « L’industrie du tabac avait déjà promis une nocivité moindre avec les cigarettes légères, mais cela a débouché sur d’autres types de cancer. »

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