Mali : la politique autrement, le credo de l’imam Mahmoud Dicko

Des années durant, il a présidé le Haut Conseil islamique. Un poste qu’il vient de quitter mais qui lui a donné une capacité de mobilisation inédite. Va-t-il continuer à s’en servir ?

L’imam Mahmoud Dicko à Bamako, le 9 février 2019. © E.B.Daou

L’imam Mahmoud Dicko à Bamako, le 9 février 2019. © E.B.Daou

BENJAMIN-ROGER-2024

Publié le 28 avril 2019 Lecture : 6 minutes.

Chef religieux formé en Mauritanie et en Arabie saoudite, devenu le chantre de l’islam wahhabite au Mali, Dicko n’en est pas à sa première démonstration de force. En 2009 déjà, il avait fait plier le pouvoir d’Amadou Toumani Touré sur la réforme du code de la famille. En décembre dernier, il a fait reculer le gouvernement sur un projet de manuel d’éducation sexuelle. Début février, il a rempli les 60 000 places du stade du 26-Mars de Bamako en fustigeant la présidence d’Ibrahim Boubacar Keïta et en réclamant la démission de son Premier ministre.

Au fil des années, auréolé du prestige de guide spirituel, Dicko s’est forgé une image de gardien des bonnes mœurs. Chaque fois, il appelle à défendre les « valeurs sociétales et religieuses » du Mali et pourfend « la mauvaise gouvernance ». Ce faisant, il a acquis une capacité de mobilisation indéniable que lui envient bien des hommes politiques. Avec lui, les islamistes sont aussi devenus l’une des premières forces de contestation politique du pays.

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Le 20 avril, ce Peul affable né à Tonka, près de Tombouctou, a quitté la présidence du Haut Conseil islamique du Mali (HCIM), qu’il occupait depuis 2008. Que va-t-il faire maintenant ? « Je suis et resterai toujours imam. Beaucoup de gens parlent de mon avenir, mais, pour le moment, je préfère me reposer un peu », confie-t-il. Quand il ne prêchera pas dans sa mosquée de Badalabougou, sur la rive sud de Bamako, il ira « faire le berger et marcher avec ses animaux », assure-t-il. Mais certains de ses proches se montrent plus diserts.

« Il réfléchit à lancer son propre mouvement, glisse l’un d’eux. Ce ne sera pas une association politique, davantage une structure œuvrant pour la moralisation de la vie publique. Il entend continuer à jouer un rôle dans la vie citoyenne et le dialogue intercommunautaire. » « Si on fait appel à lui et que la situation l’impose, il ne se dérobera pas », ajoute un autre.

Positions conservatrices

Le 5 avril 2019, plusieurs milliers de personnes ont manifesté à Bamako pour dénoncer l'incapacité de l'État et de la communauté internationale à mettre un terme aux violences intercommunautaires et à l'insécurité. © REUTERS/Keita Amadou

Le 5 avril 2019, plusieurs milliers de personnes ont manifesté à Bamako pour dénoncer l'incapacité de l'État et de la communauté internationale à mettre un terme aux violences intercommunautaires et à l'insécurité. © REUTERS/Keita Amadou

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Mahmoud Dicko, 65 ans, a toujours assumé une certaine forme d’engagement. Il est depuis longtemps sorti de sa mosquée pour mener ses combats sur le terrain politique ou social. « Si le fait de se soucier de son pays et du bien-être des gens est politique, alors oui, je suis politique. Mais je ne suis pas un politicien. Je n’ai jamais brigué un seul mandat et je ne le ferai pas », promet-il.

Ses prises de position conservatrices provoquent parfois l’indignation. Comme en novembre 2015, quand il estime que l’attentat contre le Radisson Blu de Bamako, dans lequel une vingtaine de personnes ont perdu la vie, est une « punition divine », car « les hommes ont provoqué Dieu » en faisant « la promotion de l’homosexualité ». En 2012, c’est son long silence à la suite de la destruction des mausolées de Tombouctou par les jihadistes qui fait polémique.

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Cette année-là, il est un personnage central dans la crise politico-militaire qui ébranle le pays. Dans les heures qui suivent le coup d’État contre Amadou Toumani Touré, des putschistes viennent le chercher à son domicile bamakois. Ils l’emmènent dans leur fief de Kati, où l’attend le capitaine Amadou Haya Sanogo, qui souhaite le consulter. A-t-il été proche de la junte ?

« Ce sont eux qui m’ont sollicité. J’ai répondu favorablement pour le bien de notre pays », rétorque l’intéressé. À l’époque, son nom circule pour le poste de président de la transition. « Dicko est un ambitieux que la politique a toujours intéressé, explique un homme qui l’a côtoyé. Il l’a peut-être trop montré durant cette période et cela en a agacé certains. »

Le marigot politique malien, l’imam le connaît bien. Il a appris à en maîtriser les codes et les coups fourrés. Début février, il étale devant la presse les 50 millions de F CFA (76 000 euros) que le gouvernement lui a fait parvenir avant son meeting au stade du 26-Mars pour, officiellement, « appuyer » l’organisation de l’événement. « Certains font mine de s’étonner, mais Mahmoud Dicko a toujours eu des positions politiques tranchées. La seule chose qui a changé est qu’il ne fait plus campagne pour IBK », estime Soumaïla Cissé, le chef de file de l’opposition.

Dialogue avec les jihadistes

Mahmoud Dicko, ex-président du Haut Conseil islamique malien, ici en 2012 à Bamako. © Daou Bakary Emmanuel pour Jeune Afrique

Mahmoud Dicko, ex-président du Haut Conseil islamique malien, ici en 2012 à Bamako. © Daou Bakary Emmanuel pour Jeune Afrique

Entre le prêcheur wahhabite et le président, les relations ont longtemps été bonnes avant de se détériorer. Dicko assure qu’il continue à considérer son aîné « comme un frère », avec lequel il entretient des « liens très solides, faits de respect et d’estime réciproques », mais que « cela ne [l’]empêche pas de dénoncer ce qui ne va pas ».

Les deux hommes se connaissent depuis le milieu des années 1990. À l’époque, Dicko est l’une des figures de l’Association malienne pour l’unité et le progrès de l’islam (Amupi). IBK, lui, est le Premier ministre d’Alpha Oumar Konaré. Leurs fonctions respectives les amènent à se croiser. Dicko devient par la suite un soutien de poids pour l’homme politique : en 2002 tout d’abord, puis en 2013, avec le succès que l’on sait.

Cheikh Ag Aoussa, tué le 8 octobre 2016, à Kidal, dans le nord-est du pays. © Capture d’écran Al Jazeera

Cheikh Ag Aoussa, tué le 8 octobre 2016, à Kidal, dans le nord-est du pays. © Capture d’écran Al Jazeera

Pour joindre Iyad Ag Ghali, le chef d’Ansar Eddine, Dicko passe par un de ses ex-lieutenants, Cheikh Ag Aoussa

Des signes de tensions apparaissent en 2016. Convaincu qu’il faut dialoguer avec les jihadistes maliens pour ramener la paix, Dicko entreprend de se rapprocher d’eux. Les autorités le savent et laissent faire. Pour joindre Iyad Ag Ghali, le chef d’Ansar Eddine, qu’il a croisé du temps où celui-ci fréquentait les salons de la capitale, Dicko passe par un de ses ex-lieutenants, Cheikh Ag Aoussa. En septembre 2016, une lettre lui est transmise.

« Je ne peux pas garantir qu’il en était bien l’auteur, mais elle était signée Iyad Ag Ghali et annonçait sa volonté de cesser les hostilités », affirme Dicko. Quelques jours plus tard, le 8 octobre 2016, Cheikh Ag Aoussa est assassiné dans un attentat à la voiture piégée à Kidal. « Sa mort a tout fait capoter. Nous n’avons jamais su pourquoi il avait été tué ni par qui. Il avait eu l’accord de Iyad Ag Ghali pour négocier, il ne restait plus que quelques points à finaliser », glisse un intime de Mahmoud Dicko.

Amadou Koufa, dans une vidéo de propagande diffusée le 28 février 2019 (image d'illustration). © Capture d’écran d’une vidéo de propagande jihadiste

Amadou Koufa, dans une vidéo de propagande diffusée le 28 février 2019 (image d'illustration). © Capture d’écran d’une vidéo de propagande jihadiste

Des passerelles sont établies avec Amadou Koufa, le principal chef jihadiste du Centre

Début avril 2017, Abdoulaye Idrissa Maïga est nommé Premier ministre. Fin mai, il demande au président du HCIM de prendre la tête d’une « mission de bons offices » pour accélérer l’application de l’accord de paix d’Alger et « apporter une réponse crédible et durable à la situation à Kidal et dans le centre du pays ».

La médiation de Dicko devient officielle. Des locaux sont mis à sa disposition à la primature, ainsi qu’un budget. Il tente de prendre langue avec Amadou Koufa, le principal chef jihadiste du Centre, qu’il a connu à Mopti à la fin des années 2000. Des passerelles sont établies.

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« Il avait réussi à entrer en contact avec plusieurs proches de Koufa et avec des membres de sa katiba », poursuit un de ses collaborateurs. Mais à Bamako, l’approche ne plaît pas à tout le monde. « Nous étions d’accord pour une mission de bons offices dans le Nord et le Centre pour faciliter le processus de paix et gérer les tensions intercommunautaires. Pas pour négocier avec des terroristes », explique un proche d’IBK. La France, surtout, ne veut pas entendre parler de dialogue avec les jihadistes.

En janvier 2018, Soumeylou Boubèye Maïga entre à la primature. Ex-patron de la Sécurité d’État et ancien ministre de la Défense, il est bien vu à Paris et fait partie de ceux qui sont sur une ligne dure. Il met rapidement fin à la mission du chef religieux. « Environ 300 millions de F CFA ont été dépensés par Dicko. Pour quels résultats ? Aucun », détaille un proche de l’ancien Premier ministre.

Puissants soutiens financiers

Pour le président du HCIM, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Lors de la campagne pour la présidentielle de 2018, il décide de ne soutenir personne – ce qui est interprété à Bamako comme une prise de position hostile au président sortant. IBK réélu, Mahmoud Dicko maintient la pression, dans la rue et dans ses prêches.

Sans la machine du HCIM derrière lui, que deviendra l’imam de Badalabougou ? Ses partisans le décrivent comme un homme peu porté sur l’argent, mais il dispose de puissants soutiens financiers. Ceux de ses réseaux dans le Golfe, mais aussi ceux des grands commerçants wahhabites du pays.

Il a également l’appui du fortuné chérif de Nioro, remonté contre IBK. « S’il nous en veut, c’est parce que nous avons réglementé sa zone franche à Nioro en mettant fin aux nombreuses exonérations douanières et fiscales dont il bénéficiait », affirme une source à Koulouba. De quoi renforcer l’inquiétude de ceux qui considèrent Dicko comme une menace, notamment parmi les Occidentaux, et qui préféreraient le voir promener ses troupeaux sur les rives du Niger plutôt que d’agiter les foules à Bamako.

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