Ibukun Adebayo – London Stock Exchange : « Londres a complètement revu sa stratégie africaine »
Collaboration avec les Bourses africaines, accompagnement des PME, émissions obligataires… La place financière fait du continent une priorité. Ibukun Adebayo, codirecteur de la stratégie pour les marchés émergents, revient sur l’actualité de ces derniers mois.
Avec ses 114 sociétés africaines cotées, pour une valeur de 165 milliards de livres sterling (194 milliards d’euros), la London Stock Exchange est la deuxième plus importante place boursière pour le continent, derrière Johannesburg. Pourtant, comme l’explique Ibukun Adebayo, le chef des opérations africaines du groupe, la chasse aux cotations n’est plus sa tâche principale. Ce Britannique d’origine nigériane décrit pour JA cette nouvelle stratégie et revient sur l’actualité de ces derniers mois.
Jeune Afrique : Vous avez pris la tête des opérations africaines de la bourse il y a dix ans. Quelle fut la première de vos priorités ?
Ibukun Adebayo : À l’époque, nous avions surtout des sociétés avec des filiales en Afrique mais dirigées par des Occidentaux. Nous voulions faire entrer des sociétés gérées par des Africains, car elles aussi avaient besoin de capitaux étrangers pour croître. La Bourse a alors connu un afflux important de ces sociétés-là, avec notamment les cotations des banques nigérianes Guaranty Trust Bank et Diamond Bank.
Nous proposons des outils de trading à une douzaine de pays, parmi lesquels le Botswana, l’Égypte et la Tanzanie
À vos débuts, vous vous focalisiez donc sur l’ajout de nouvelles cotations. Est-ce encore le cas aujourd’hui ?
En 2016, nous avons pris conscience que notre marché n’était pas pour tout le monde. Plutôt que de se fixer comme objectif un maximum de cotations, nous avons complètement revu notre stratégie pour nous focaliser sur le développement des marchés de capitaux domestiques et leur permettre de lever des fonds plus importants ainsi que d’adopter des règles de bonne conduite plus rigoureuses. Notre Bourse se considère désormais complémentaire aux levées de fonds domestiques.
Comment mettez-vous cette idée en pratique ?
Nous proposons des outils de trading à une douzaine de pays, parmi lesquels le Botswana, l’Égypte et la Tanzanie. Nous épaulons également les régulateurs afin d’améliorer le classement de leur marché. À l’heure actuelle, seuls deux pays, l’Égypte et l’Afrique du Sud, ont le statut de marché émergent, qui leur donne accès à des investissements plus importants.
On se trompe quand on pense que l’Afrique anglophone est notre marché naturel
Quels sont vos autres partenaires ?
Nous collaborons avec le Nigeria, pour faciliter des cotations doubles à Lagos et à Londres. Au Kenya, nous travaillons main dans la main avec le ministère du Pétrole et des Mines pour préparer la cotation de la compagnie nationale de pétrole à Londres et à Nairobi.
Nous avons également mis en place « Elite », une initiative d’aide à la croissance des petites entreprises. Une centaine de sociétés en ont déjà bénéficié. La majorité d’entre elles se trouvent au Maroc. L’année dernière, nous avons étendu le programme à l’Afrique de l’Ouest à travers la Bourse régionale des valeurs mobilières, et avons signé un accord de principe avec le Kenya afin d’apporter ce même soutien aux PME d’Afrique de l’Est. Les premiers bénéficiaires kényans devraient être annoncés cette année.
La Bourse de Londres a longtemps été plus proche de l’Afrique anglophone. Le programme Elite représente-t-il une volonté d’ouverture ?
Le Maroc, un marché francophone, a été notre premier partenaire. Notre travail de soutien des marchés de capitaux du continent se fait dans différents pays indépendamment de la langue qui y est parlée. On se trompe quand on pense que l’Afrique anglophone est notre marché naturel.
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Londres est le lieu idéal pour les sociétés extractrices : il y a ici une forte concentration d’investisseurs et de consultants qui connaissent les mines et le pétrole
La première société africaine cotée à Londres, en 1938, était un fabricant de détonateurs de mine. Vivo Energy, la plus récente, est une compagnie pétrolière. Serait-il temps pour la Bourse, qui affiche désormais une conscience écologique, de prendre ses distances avec ce secteur ?
Londres est le lieu idéal pour les sociétés extractrices : il y a ici une forte concentration d’investisseurs et de consultants qui connaissent les mines et le pétrole. Cela dit, nous prenons le changement climatique très au sérieux. Une grande part de notre travail consiste à canaliser des fonds vers les entreprises moins polluantes. Sur le marché principal de la LSE, seule une entreprise sur quatre appartient à ce secteur.
En 2018, les gestionnaires de tours de télécommunications Eaton et Helios ont mis en suspens leurs cotations londoniennes, pourtant attendues. Pourraient-ils revenir ?
Cette industrie a beaucoup de potentiel en Afrique. Certaines de ces transactions ont pu échouer du fait des risques macroéconomiques dans les pays où ces sociétés opèrent.
Helios, qui opère en RD Congo, par exemple ?
Précisément. C’est pourquoi nous estimons que ces revers n’ont rien à voir avec la Bourse de Londres. Il faut mettre en place un mécanisme pour rassurer les investisseurs quant à ces risques. Après quoi, je pense que l’on verra un grand nombre de ces transactions à Londres. Ces entreprises se situent à un stade où elles ont besoin de fonds supplémentaires pour grandir.
Le marché connaîtra toujours des défaillances. Il faut être réaliste : certaines personnes font peu de cas des règles
La plateforme de commerce en ligne Jumia a fait une entrée remarquée le mois dernier à la Bourse de New York. Londres est-elle en train d’être rattrapée par ses pairs ?
Selon moi, Jumia est un cas isolé. Pour certaines sociétés technologiques, il s’agit en priorité d’obtenir une valorisation élevée le premier jour. Londres propose une valorisation plus légitime sur le long terme.
La condamnation récente de deux anciens cadres d’Afren, une société présente en Afrique et cotée à Londres, a entaché l’image de bonne gouvernance de la Bourse. Qu’avez-vous tiré de cet épisode ?
Nous avons un cadre pour les émetteurs et les investisseurs, mais au bout du compte le marché connaîtra toujours des défaillances. Il faut être réaliste : certaines personnes font peu de cas des règles.
Les deux dernières années, entre l’arrêt de la fusion prévue avec la Bourse de Francfort et le départ de votre DG, ont été houleuses pour la LSE. La Bourse s’est-elle remise de ces maux ?
Nos résultats parlent d’eux-mêmes : dans de nombreux domaines, nos activités sont en pleine croissance. Et notre nouveau PDG, David Schwimmer, porte une attention toute particulière à l’Afrique. L’été dernier, il a accompagné Theresa May dans son voyage au Nigeria, au Kenya et en Afrique du Sud. Il était sur place pour le lancement de notre plateforme de trading électronique à Johannesburg.
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Les émissions de dette obligataire sont en hausse à travers l’Afrique. Ce domaine est-il porteur pour la Bourse ?
Absolument. Depuis 2017, des pays africains ont levé au total 30 milliards de dollars de dette obligataire à Londres. Rien qu’en mars, le Ghana a levé 3 milliards de dollars. L’autre domaine qui nous intéresse est celui de la dette en monnaie locale. L’année dernière, nous avons lancé la première transaction de cette nature à Londres, en cedis ghanéens, pour le pétrolier Quantum Terminals. D’autres pourraient suivre, y compris en francs CFA.
Y a-t-il d’autres marchés à conquérir ?
Nous voulons collaborer avec différents marchés, même naissants. L’Angola, par exemple, a annoncé un programme de privatisations et aura besoin de développer son marché très rapidement. La Bourse de Londres peut lui proposer une aide en technologie et en régulation financière.
Enfin, comment vous préparez-vous au Brexit ?
Il existe tellement d’incertitudes à l’heure actuelle qu’il serait difficile de nous exprimer sur ce sujet. Tout point de vue qu’on pourrait avoir serait contredit dès le lendemain.
Mais avez-vous des plans d’urgence pour les différents cas de figure ?
Naturellement. Nous sommes prêts.
Airtel bientôt coté
Airtel Africa, filiale du groupe indien Bharti Airtel, pourrait, selon Bloomberg, lever un milliard de dollars au London Stock Exchange le mois prochain. Si elle a lieu, cette introduction sera l’une des plus importantes de l’année, valorisant l’entreprise à environ 5 milliards de dollars.
Cette cotation, particulièrement attendue à Londres, avait été repoussée en raison de la volatilité des marchés émergents l’année dernière. Airtel Africa est présent dans quatorze pays dont le Nigeria, où il a perdu à la fin de 2018 la deuxième place du marché au profit de Globacom, propriété du milliardaire Mike Adenuga.
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