« La Vie lente » : l’amour, ses doutes et la quête de liberté sous la plume d’Abdellah Taïa
Natif de Salé, au Maroc, Abdellah Taïa réside désormais à Paris. Dans « La Vie Lente », kaléidoscope de points de vue narratifs et d’histoires entremêlées, il prend le contre-pied d’une littérature maghrébine souvent vue en Europe par le seul prisme de la lutte face à un univers musulman fantasmé et obscurantiste.
Les premières pages de La Vie lente, le dernier roman d’Abdellah Taïa, consistent en un interrogatoire de police. Le héros, Mounir Rochdi, vient de se disputer avec sa voisine, madame Marty. Et maintenant, des agents sont sur son palier. Nous sommes en France, en 2016, peu de temps après les attentats qui ont frappé Paris. Le virage kafkaïen du roman s’amorce déjà : les moindres faits et gestes deviennent suspects.
« C’est curieux quand même… Habiter un si bel appartement et ne rien faire pour le meubler… C’est bizarre… » Entre madame Marty et Mounir, pourtant, il n’y avait pas que de la défiance, mais plutôt un « lien étrange ». Peut-être lié au fait de ne pas faire partie des mieux lotis : « Madame Marty, la Française, elle, survit dans un minuscule studio depuis les années 1970. […] avec des toilettes sur le palier. Madame Marty vivait dans les mêmes conditions que certains immigrés […]. »
Genre et sexualité
Le lecteur suit les pensées et l’errance de Mounir, plongé dans sa nouvelle situation de suspect. Prisonnier des représentations que se font de lui les agents, le voilà assailli par l’amour – pour un policier – et les doutes.
Comme dans d’autres romans de Taïa, les femmes occupent une place particulière. Souvent, elles sont moins violentes que le reste de la société qui condamne, méprise, met à l’écart. Pas seulement madame Marty, ici, mais les vendeuses d’une pâtisserie nord-africaine en banlieue parisienne : une bouffée d’oxygène pour le suspect.
Souvent, les auteurs maghrébins et leurs œuvres sont présentés, en France, comme étant en lutte face à un univers musulman fantasmé et obscurantiste
Les questions de genre et de sexualité traversent l’œuvre du Marocain, qui écrit à partir de sa propre expérience et prête parfois à ses protagonistes des traits autobiographiques. Au Maroc, il a volontairement incarné l’exigence de droits pour les homosexuels.
Natif de Salé, il réside à Paris depuis plusieurs années maintenant. La plupart de ses romans avaient pour cadre global le Maroc, mais, depuis 2015 et Un pays pour mourir, son pays de résidence s’invite dans ses récits. Souvent, les auteurs maghrébins et leurs œuvres sont présentés, en France, comme étant en lutte face à un univers musulman fantasmé et obscurantiste.
Des recensions de romans deviennent parfois l’occasion de pointer maladroitement du doigt des traits supposés typiques des sociétés maghrébines. La Vie lente part à rebours : la société française n’y est pas un creuset d’émancipation. « Paris ne lui donne pas la liberté », écrit Taïa à propos d’un personnage.
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Le kaléidoscope de points de vue narratifs, les histoires entremêlées, les répétitions de mots, les sauts de ligne, les pensées et les dialogues qui s’intercalent, les passages d’un type de discours à un autre… Le style de Taïa peut perdre plus d’un lecteur. C’est le sien depuis le début. Les va-et-vient entre des dimensions a priori bien distinctes ; le réel, le rêve, le passé, les souvenirs offrent une dimension très poétique au roman, au risque de nous égarer.
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