Bakary Sambe : « Les jihadistes attisent les conflits intercommunautaires »

L’option du tout-militaire adoptée par la communauté internationale dans sa stratégie de lutte contre le jihadisme dans le Sahel « n’a pas porté ses fruits », juge le chercheur Bakary Sambe. Selon lui, elle a même eu un effet contre-productif, en bouleversant les économies locales.

Bakary Sambe, directeur du Timbuktu Institute et professeur à l’université Gaston-Berger de Saint-Louis, à Dakar, le 15 mai 2019. © Clément Tardif pour JA

Bakary Sambe, directeur du Timbuktu Institute et professeur à l’université Gaston-Berger de Saint-Louis, à Dakar, le 15 mai 2019. © Clément Tardif pour JA

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Publié le 20 mai 2019 Lecture : 3 minutes.

Lancement d’une opération de Barkhane dans la région du Gourma, au Mali,en mars. © Daphne Benoit/AFP
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Pour Bakary Sambe, directeur du Timbuktu Institute et professeur à l’université Gaston-Berger de Saint-Louis, au Sénégal, l’approche sécuritaire qui privilégie le tout-militaire est un échec. Elle est en outre incapable de résorber ce qu’il qualifie de « post-jihadisme » et alimente les tenants des théories du complot.

Jeune Afrique : La recrudescence des attaques au Sahel et l’extension des zones touchées est-elle un signe de l’échec de la réponse purement militaire ?

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Bakary Sambe : Clairement. La communauté internationale s’est focalisée sur le tout-­militaire, et cela n’a pas porté ses fruits. On est venu au Mali pour neutraliser les groupes jihadistes, mais ceux-ci se sont multipliés au point que le pays est devenu l’épicentre du jihadisme dans la région. On n’a pas su valoriser les stratégies de résilience communautaire.

Rétrospectivement, l’intervention au Mali était-elle une erreur ?

Il fallait intervenir, bien sûr, pour éviter que les groupes armés ne s’emparent de Bamako. Mais la réponse militaire ne suffit pas.

Le problème, c’est que le traitement sécuritaire de la crise crée une forte pression sur des communautés locales qui n’en voient pas les bénéfices immédiats. Au Niger, par exemple, on a interdit le commerce du poisson séché et du poivron dans certaines zones pour lutter contre le financement de Boko Haram.

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Résultat : on a tué l’économie locale, et le groupe jihadiste est devenu par endroits le premier employeur pour les jeunes. Cela a aussi alimenté le désarroi des populations, et les porteurs de théories complotistes ont su en profiter.

C’est-à-dire ?

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Les populations voient les troupes étrangères se succéder sans que celles-ci se coordonnent et sans se sentir pour autant plus en sécurité. Cela nourrit l’idée que les puissances occidentales ont toutes « leur agenda » et qu’elles doivent avoir des intérêts cachés. Le paradoxe, c’est qu’alors que la communauté internationale se disperse les groupes terroristes, eux, coopèrent étroitement.

Selon vous, les États ont-ils compris la stratégie des groupes qu’ils combattent ?

Non. Il y a eu un changement de paradigme chez les groupes terroristes qu’Abou Walid al-Sahraoui, le chef de l’État islamique au Grand Sahara, a théorisé dès l’opération Serval en 2013. Il a expliqué que le temps des grandes opérations était terminé, que ce qu’il fallait, c’était attendre que des conflits intercommunautaires éclatent – entre Peuls et Dogons, par exemple – et leur donner un vernis religieux, en l’occurrence islamique.

Ils attisent ces conflits à dessein : cela provoque des interventions militaires étrangères, ce qui radicalise les populations et facilite leur recrutement… C’est aussi ce qu’a fait Amadou Koufa dans le centre du Mali : il a donné un habillage jihadiste à ce qui était au départ une affaire de vol de bétail. On n’est plus dans le jihadisme tel qu’on le concevait au début de la crise mais dans le post-jihadisme.

>>> À LIRE – L’opération militaire française au Mali et au Sahel en chiffres

Peut-on parler d’un déplacement des attaques vers le sud ?

Oui, je pense qu’il y a une volonté des groupes terroristes d’aller vers la zone côtière. Sinon, comment expliquer l’acharnement qu’ils mettent à faire sauter le verrou de la forêt burkinabè, qui est le dernier rempart ? Ils sont déjà au Mali, et aller au nord, vers l’Algérie, est exclu. Reste donc le Sahel et le Sud.

Vous voulez dire la Côte d’Ivoire ?

Je dirais la zone côtière au sens large. Il est vrai que la Côte d’Ivoire est une cible symbolique forte à cause de son poids économique et du fait que les Français y sont présents… Mais on voit aussi une frange des musulmans se radicaliser au Bénin et dans les pays voisins. Tout ce qui ressemble à une crise politique favorise l’implantation de ces groupes.

Les pays de la région se préparent-ils suffisamment face à cette menace ?

Ceux qui ne sont pas encore touchés directement devraient développer une approche préventive, mais ils sont souvent dans le déni. C’est, à mon sens, le cas du Sénégal, comme c’était le cas du Burkina Faso en 2014. Ces pays veulent attirer des touristes et des investisseurs, il est donc malvenu de parler de terrorisme. Résultat : ils devraient développer une politique préventive mais ils ne le font pas.

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