Conjoncture : la grande reprise du BTP en Afrique

Porté par une croissance plus vigoureuse et par des besoins toujours aussi massifs, le secteur du BTP repart de l’avant sur tout le continent et devrait croître de 5,6 % cette année. Avec la Chine en maître d’œuvre.

Réhabilitation de l’aéroport de Maputo / RAZEL Mozambique © Yves CHANOIT

Réhabilitation de l’aéroport de Maputo / RAZEL Mozambique © Yves CHANOIT

Publié le 22 mai 2019 Lecture : 7 minutes.

Ouverture du chantier du stade olympique de Diamniadio, au Sénégal, premiers coups de pelleteuse du barrage de Nachtigal, au Cameroun, rénovation du pont Houphouët-Boigny, à Abidjan, début de l’édification, à Nairobi, des huit tours de logements de River Estate, porté par un milliardaire chinois… En cette mi-2019, le continent semble en travaux partout. Après une relative stagnation ces dernières années, 2018 a marqué un vrai décollage du BTP.

Ce que le consultant Deloitte relevait dans son étude « Africa Construction Trends 2018 », qui recense les projets de plus de 50 millions de dollars. Cumulés, ceux-ci atteignent 471 milliards de dollars, un bond de 53,3 % sur un an. Quant au nombre de chantiers, 482 (contre 303 en 2017), il affiche, lui, une hausse de 59,1 % !

C’est la croissance la plus forte depuis 2012

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« C’est la croissance la plus forte depuis que nous réalisons cette étude, née en 2012. Il s’agit aussi d’un record en valeur », assure Rajiv Sharma, directeur senior chez Deloitte Afrique de l’Est à Nairobi, pour qui, « à l’exception de l’Afrique de l’Ouest et sur le seul critère de la valeur en raison d’un redémarrage assez lent au Nigeria, toutes les régions ont connu en 2018 une hausse à la fois du nombre de projets et de la valeur de ceux-ci ».

>>> À LIRE – Sénégal : Diamniadio s’élève lentement mais sûrement

L’Afrique de l’Est en tête quant au nombre de projets

Ce dynamisme est confirmé par François Farges, directeur international de l’entreprise de travaux publics Razel-Bec, filiale du français Fayat, qui emploie environ 4 000 personnes sur le continent, dont 1 000 en Côte d’Ivoire et, surtout, 2 200 au Cameroun. Dans ce dernier pays, « le niveau d’activité est bon, tiré notamment par les travaux liés à la CAN, même si celle-ci a été finalement déplacée en Égypte. En Côte d’Ivoire, les affaires sont assez dures, mais un grand nombre de projets y voient le jour ».

Hormis le Cameroun, où le groupe mène d’importants chantiers routiers autour de Douala, Razel-Bec vient de moderniser l’aéroport de Maputo, au Mozambique, et conduit par exemple des travaux hydrauliques au Sénégal. Il s’attend à ce que le secteur reste dynamique dans les zones où il est présent, qu’il cherche à étendre à l’Afrique de l’Est, très allante. De fait, l’est du continent figure en tête quant au nombre de projets (28,8 %), selon Deloitte, devant l’Afrique du Nord, qui, avec 22,6 % des chantiers, s’affiche leader en matière de valeur (31,5 % du total).

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Dans ce contexte porteur, la vigueur du BTP va se renforcer en Afrique subsaharienne, jugeait le cabinet britannique GlobalData fin 2018 dans ses prévisions, confirmées à JA ces derniers jours. « Après une croissance que nous estimons à 4,4 % en 2018, le secteur devrait connaître une accélération – à 5,6 % cette année et à 6,2 % environ l’an prochain –, portée par le domaine des infrastructures, l’expansion de l’exploitation pétrolière ainsi que de meilleures conditions climatiques », prédit l’économiste égyptienne Yasmine Ghozzi, de GlobalData.

Développement de la promotion immobilière

En ce qui concerne les secteurs, l’énergie et les infrastructures de transport comptent parmi les principaux pourvoyeurs de travaux. Ils pèsent, à parts à peu près égales, 47,1 % de la valeur des projets identifiés par Deloitte. Ils restent toutefois précédés par l’immobilier commercial, industriel et résidentiel, qui s’arroge plus d’un quart de la valeur des chantiers. De fait, les projets de villes ou de quartiers nouveaux, comme Diamniadio, près de Dakar, Eko Atlantic, à Lagos ou Yennenga, près de Ouagadougou font florès.

En Afrique de l’Ouest et en Afrique de l’Est, il y a un boom de la demande de logements individuels de qualité

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Avec une tendance nouvelle : le développement de la promotion immobilière privée pour les logements intermédiaires ou supérieurs, en marge de l’offre de grands ensembles de type HLM ou de condominiums de luxe. « En Afrique de l’Ouest et en Afrique de l’Est, il y a un boom de la demande de logements individuels de qualité, tirée par la classe moyenne et aussi par la diaspora », témoigne le Togolais Yao Attignon, fondateur de la start-up Wizodia.

Installée en région parisienne, cette jeune pousse représentée au Cameroun, au Togo et bientôt en Côte d’Ivoire surfe sur cette tendance en qualifiant des promoteurs locaux et en assurant un suivi des chantiers pour les membres de la diaspora voulant investir au pays.

Constructions réalisées par des entreprises de BTP turques. Chantiers à Kaloum, à Conakry. © Youri Lenquette pour JA

Constructions réalisées par des entreprises de BTP turques. Chantiers à Kaloum, à Conakry. © Youri Lenquette pour JA

Malgré ce climat dynamique, tout n’est pas rose. Certains pays restent à l’écart. Ainsi en est-il du Gabon, qui peine à se remettre de la crise de l’or noir et où la construction demeure en souffrance. Il en va de même en Angola. À Luanda, la frénésie de chantiers d’antan n’est plus qu’un souvenir. Au Maroc, les programmes d’infrastructures sont pour l’essentiel achevés.

Emballement constructif en Égypte

Et le bâtiment, qui a connu une mini-crise immobilière ces dernières années pour cause d’excès de l’offre et de produits mal ciblés, reste en phase stationnaire. C’est ce que montrent les ventes de ciment en 2018, à leur plus bas niveau depuis 2007. Quant au Nigeria et à l’Afrique du Sud, des économies souffreteuses ces dernières années, ils sortent juste la tête de l’eau. GlobalData y attend cette année une croissance respective du BTP de 3,7 % et 0,7 %.

>>> À LIRE – Afrique de l’Ouest : ces secteurs qui recrutent

Il en va tout autrement pour l’autre poids lourd africain : l’Égypte. Après une période difficile, son PIB devrait croître de 5,5 % cette année, et le pays des Pharaons connaît un emballement constructif ! Pour relancer l’économie, le président Abdel Fattah al-Sissi, aidé par les pays du Golfe et le FMI, a lancé un nombre incalculable de chantiers.

Chaque semaine ou presque, la Chine marque un peu plus l’Afrique de son empreinte

« Le secteur est soutenu par le programme de développement urbain du Caire, note Yasmine Ghozzi. Celui-ci pourrait conduire à créer 23 villes nouvelles, à quoi s’ajoute une poussée de l’amélioration des infrastructures de transport : métros, trains régionaux ou projets fluviaux. » L’Égypte compte ainsi le plus grand nombre de projets identifiés par Deloitte, devant le Kenya et l’Éthiopie, avec 46 chantiers et un total de 79,2 milliards de dollars.

33,2 % des projets recensés sont portés par des groupes chinois

Et du côté des opérateurs ? Dans le concert des pelleteuses et des centrales à béton, un chef d’orchestre domine : la Chine. Incontournables, les groupes de l’empire du Milieu s’arrogent 33,2 % des projets recensés par Deloitte, loin devant les entreprises locales (23,9 %) et à des années-lumière des groupes français (3,1 %). Chaque semaine ou presque, la Chine marque un peu plus l’Afrique de son empreinte. Le continent est l’un des hubs de ses « nouvelles routes de la soie », et elle a promis d’y investir 60 milliards de dollars ces prochaines années.

Pour preuve, le prêt de 1,26 milliard de dollars consenti mi-mai au Nigeria par China Eximbank pour moderniser le chemin de fer Lagos-Ibadan. Un projet qui sera réalisé par le groupe public China Civil Engineering Construction Corp (CCECC).

Le financement demeure un point critique pour le montage de projets du fait des taux élevés

Principal bras armé de Pékin dans le BTP en Afrique, CCECC, qui vient d’achever la mosquée géante d’Alger, participe sur le continent à des projets équivalant à 39,5 milliards de dollars, selon GlobalData. Il est suivi, de même source, par le turc Yapi Merkezi (34,3 milliards de dollars) et par la filiale nigériane du contractant pétrolier italien Saipem (30,5 milliards).

Arica50 commence à prendre son envol

Et, tout comme dans le rail nigérian, l’emprise chinoise s’affirme aussi à travers le cash. Pékin finance 18,9 % des 482 projets relevés par Deloitte ! Un avantage compétitif, car « le financement demeure un point critique pour le montage de projets du fait des taux élevés des banques commerciales », note François Farges, de Razel-Bec, qui structure de plus en plus de packages comprenant travaux et fonds.

Un modèle qu’entend suivre l’américain Bechtel avec les agences de crédit d’export de son pays pour le méga­projet d’autoroute Nairobi-Mombasa.

En matière de financement, un acteur panafricain commence à prendre son envol : Africa50. Issu d’une initiative de la BAD, ce fonds doit, selon un accord récent, financer pour 660 millions de dollars le pont rail-route Kinshasa-Brazzaville, dont l’inauguration des travaux a été promise pour août 2020. Si ce vieux serpent de mer sort du fleuve Congo, c’est que vraiment le BTP va !

Ouagadougou cible les classes moyennes

L’avenir de la construction ne se résume pas aux grands projets ou aux barres HLM à la pékinoise. Il passe aussi par le concept de ville durable. C’est ce que veut mettre en pratique le groupe de BTP burkinabè CGE en association avec le cabinet français Architecture-Studio sur le projet de Yennenga, une ville nouvelle située près de Ouagadougou.

>>> À LIRE – Burkina Faso : Yennenga, ville nouvelle, ville complète ?

Ce concept urbain intégré de 80 000 habitants à terme donne toute sa place au principe de mixité. Il doit associer de l’habitat social à du logement ciblant les classes moyennes, voire la diaspora, et des activités commerciales. Le tout étant inscrit dans une optique de résilience, par exemple face aux pluies de l’hivernage. Architecture-Studio démarre juste les études d’avant-projet après validation des hypothèses techniques par CGE et par les autorités.

Le cabinet parisien va par ailleurs proposer une étude pour l’écoquartier de Marcory, une commune d’Abidjan, en Côte d’Ivoire, dans le cadre de l’appel à projets Ville durable en Afrique qu’a lancé Bercy en vue du sommet Afrique-France de 2020.

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