Égypte : le gel des avoirs des Moubarak a-t-il été contourné par Credit Suisse ?

Credit Suisse a-t-il contourné le gel des avoirs pesant sur la famille Moubarak ? C’est ce que laisse penser un document récent de l’Organized Crime and Corruption Reporting Project.

Entre 2013 et 2016, l’établissement helvétique a organisé une série de transactions, dont une partie a été déboursée sous forme de pots-de-vin. © Plaza Financiera/CC-BY-SA 2.0

Entre 2013 et 2016, l’établissement helvétique a organisé une série de transactions, dont une partie a été déboursée sous forme de pots-de-vin. © Plaza Financiera/CC-BY-SA 2.0

Publié le 31 mai 2019 Lecture : 6 minutes.

En décembre 2017, la justice helvétique prononce la levée du gel des avoirs visant depuis 2011 l’ancien président égyptien Hosni Moubarak et son entourage. Avec le retour d’une fortune de près de 700 millions de francs suisses (620 millions d’euros) aux intéressés, poursuivis dans différents pays pour corruption, blanchiment en bande organisée et délits d’initiés, ce sont six ans de procédure qui sont balayés.

Le revirement est d’autant plus déconcertant que la justice suisse s’était montrée particulièrement active sur ce dossier, au contraire de ses voisins européens, chez qui un gel similaire des avoirs de Moubarak n’a pas donné lieu à la publication de la nature des biens et des montants gelés ou saisis. Un dispositif qui ne brille donc pas par sa transparence. Et que Credit Suisse n’a pas hésité à contourner au profit de l’un des fils du président déchu. Retour sur l’affaire Pan World Investments Inc., la société offshore de l’homme d’affaires Alaa Moubarak.

Le cas pointe les faiblesses juridiques des décisions européennes face au système complexe de l’évasion fiscale

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L’existence de la société Pan World Investments Inc., domiciliée aux îles Vierges britanniques, est révélée par les Panama Papers en mai 2016. Le public découvre alors que l’activité de ladite société, gérée aux îles Vierges par le tristement célèbre cabinet d’avocats Mossack Fonseca, n’aurait pas été gelée, contrairement aux dispositions prises en ce sens en Europe. On y apprend également que la firme avait fait l’objet d’une amende des autorités locales en 2014 pour ne pas avoir signalé l’existence de cette compagnie et de son propriétaire, Alaa Moubarak, fiché comme client « à haut risque » par les enquêteurs financiers locaux.

Dissolution de Pan World Investments Inc.

Début 2015, Credit Suisse manifeste la volonté de poursuivre l’activité de cette compagnie, voire de la déplacer vers une nouvelle juridiction. Ce qui conduit Mossack Fonseca, pourtant peu regardant en général, à démissionner de son rôle de gestionnaire. Des courriels internes font état des doutes du cabinet d’avocats quant à la légalité des actions engagées par Credit Suisse. Peu de temps avant la rupture avec la banque helvétique, l’un des employés de Mossack Fonseca prévient : « Les raisons avancées pour la réactivation de la société ne sont pas plausibles, et nous devons garder à l’esprit que toute réactivation pourrait faciliter des transactions allant à l’encontre de l’ordre de gel. »

En 2015, Credit Suisse diligente alors le cabinet Icaza Gonzales pour maintenir la société aux îles Vierges britanniques, ce qu’il fera pour une durée d’un an, avant de démissionner à son tour. Impossible de connaître la nature de la coopération entre ce cabinet et la banque. A-t-il accepté une réactivation litigieuse, voire des transactions non conformes au gel en cours ? On ne peut l’affirmer avec certitude. On ignore également la valeur des avoirs détenus par Pan World Investments Inc., au-delà de sa participation à différentes compagnies connexes appartenant au réseau offshore des Moubarak et d’un compte en banque. Les efforts répétés de Credit Suisse en vue de déplacer Pan World Investments Inc. laissent malgré tout suggérer l’importance de cette dernière aux yeux de son client.

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Un document récemment mis à disposition par l’Organized Crime and Corruption Reporting Project révèle que, le 16 septembre 2016, la société d’Alaa Moubarak a été rayée du registre du commerce des îles Vierges britanniques et dissoute. Quel rôle a joué Credit Suisse dans cette décision ? Que sont devenus les avoirs détenus par la société ? Mystère. Interrogé sur la dissolution de Pan World Investments Inc. et le déplacement éventuel de ses avoirs vers une autre juridiction, Credit Suisse répond être engagé au « respect strict des lois et des régulations des marchés au sein desquels il opère ». La réponse, tirée d’une citation à peine modifiée du site internet du groupe, ne répond pas aux points précis de ce cas spécifique.

Opération contestable

L’ordre de gel européen adopté en 2011 mentionne clairement l’interdiction de « transférer, d’ajuster, d’utiliser ou de commercer d’aucune manière susceptible de changer la valeur, la localisation, la propriété, la possession ou la nature » d’un bien. Dans le cas de Pan World Investments Inc., la simple dissolution de cette compagnie laisse penser qu’au moins l’une de ces dispositions a été enfreinte, celle relative à la nature du bien. Quant à la situation actuelle des avoirs détenus par la compagnie, ni les autorités locales des îles Vierges britanniques ni celles de Guernesey – où Credit Suisse prévoyait initialement de rapatrier les avoirs – n’ont souhaité répondre à nos questions.

toute preuve d’une infraction envers le gel européen devrait faire l’objet d’une enquête de la part des autorités locales

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La Commission européenne, chargée de l’application du gel à l’échelle de l’Union, ne semble quant à elle pas prévoir de sanction à l’égard des juridictions, personnes ou établissements financiers qui enfreindraient ses dispositions de gel. Ces sanctions seraient du ressort de la juridiction concernée, en l’espèce de nouveau les îles Vierges britanniques, dont le gouvernement n’a pas non plus souhaité nous répondre. Pour Agatino Camarda, fondateur et directeur de l’organisation Civil Forum for Asset Recovery (CiFAR), « toute preuve d’une infraction envers le gel européen devrait faire l’objet d’une enquête de la part des autorités locales, et le cas échéant de sanctions envers les auteurs de cette infraction, en accord avec les lois domestiques ».

Le droit de regard presque nul qui fait la spécificité de juridictions telles que les îles Vierges britanniques empêche cependant de connaître le résultat des enquêtes et procédures en cours, et même de s’assurer que des dispositions ont été prises pour empêcher une nouvelle évasion des biens détenus par Alaa Moubarak. Ce dernier ainsi que son avocat, tous deux contactés par téléphone, n’ont pas souhaité apporter de réponses à nos questions.

>>> À LIRE – Égypte-France : l’enquête sur les biens mal acquis du clan Moubarak au point mort

Des cas similaires observés au Royaume-Uni, ou encore à Paris, montrent que, loin d’être isolé, le cas de Pan World Investments Inc. participe à un échec commun à faire respecter le processus européen de gel concernant les Moubarak. Déjà, en 2012, un documentaire de la BBC s’était penché sur les difficultés rencontrées par les autorités britanniques à faire observer ces mesures restrictives envers le clan de l’ancien président égyptien pour des sociétés installées à Londres. En France, le gel de ses biens a épargné un luxueux appartement d’une valeur de plus de 3 millions d’euros, apparemment négligé par les autorités judiciaire et fiscale. Ces différents cas pointent les faiblesses juridiques des décisions de gel européen face au système complexe de l’évasion fiscale, qui, lui, ne connaît pas de frontières.

La nouvelle vie de l’ex-raïs

C’est le rituel du 4 mai. Une photo, sur le réseau social Instagram, pour donner des nouvelles de l’ancien dictateur égyptien Hosni Moubarak – et de son épouse, Suzanne. C’est généralement son petit-fils, Omar Aala, qui la poste. Cette année, le cliché est agrémenté de deux émoticônes : un cœur et un gâteau d’anniversaire. Ce 4 mai, Hosni Moubarak fête ses 91 ans. L’ancien président, acquitté des accusations de meurtre de manifestants en 2017, et libre depuis, coule des jours – heureux ? – en famille, à Héliopolis, dans le delta du Nil. Il reçoit à cette occasion la presse. À une journaliste koweïtienne, il confie ses inquiétudes sur l’évolution du conflit israélo-palestinien : « Netanyahou ne veut pas d’une solution à deux États au nom de la paix. Il veut séparer Gaza de la Cisjordanie. »

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