Les entreprises africaines à l’assaut de l’eldorado nigérian
Si beaucoup d’entreprises africaines s’y cassent les dents, peu renoncent car le marché nigérian reste l’un des plus prometteurs du continent.
Business : le Nigeria, un eldorado à conquérir coûte que coûte
Malgré la chute des cours du pétrole et la dévaluation du Naira, la première économie du continent est en voie de redressement. Pour nombre d’entrepreneurs africains, son marché est un passage obligé, même s’il n’est pas sans risque.
C’est un e-mail qui résume à lui seul le vécu de nombreuses sociétés étrangères au Nigeria. En mai 2012, Giles Pendleton, alors chargé de la promotion immobilière au sein du groupe sud-africain Liberty, écrit à un homme d’affaires qui lui propose un partenariat dans une zone franche non loin de Lagos : « Cet endroit ne dispose ni de route ni de liaison ferrée, ni de port ni d’aéroport. »
La visite a été une perte de temps, estime-t-il, Liberty ne pouvant s’associer à un projet en l’absence d’infrastructures de base. S’emportant, il conclut : « Contrairement à ce que vous avez pu entendre, la zone franche de Lekki est une série de plateformes en pleine jungle, au milieu de nulle part, qui verra le jour au mieux dans vingt ans. »
Des opportunités bien au-delà du pétrole
Cet e-mail, que Jeune Afrique a pu se procurer, illustre les défis auxquels tout entrepreneur envisageant de s’implanter au Nigeria est confronté, et éclaire le choix de beaucoup de l’éviter. Et pourtant ! En dépit des contre-performances des dernières années dues à la chute du prix du baril de pétrole et à la dévaluation du naira, la première économie du continent est en voie de redressement.
Avec un PIB de 450 milliards de dollars et, surtout, un potentiel de croissance à moyen terme qu’Acha Leke, associé chez McKinsey, estime entre 8 % et 10 % par an, elle reste incontournable pour toute société ayant des ambitions continentales. Et ce quel que soit le secteur. Car le marché nigérian présente des opportunités bien au-delà du pétrole : les importations, par exemple, se chiffrent à 50 milliards de dollars par an.
Du groupe agroalimentaire sénégalais Patisen à la banque sud-africaine Absa, en passant par le fabricant marocain de literie Dolidol, l’institut de sondages kényan mSurvey ou le groupe hôtelier malien Azalaï, la liste des sociétés qui s’installent au Nigeria ou qui se préparent à le faire ne cesse de s’allonger. Et en dépit des déconvenues, qui sont légion, nombreux sont ceux qui font de ce pays un enjeu majeur de leur stratégie continentale. Avec l’espoir de voir décoller leur chiffre d’affaires.
Bilan mitigé des entreprises sud-africaines
À 82 ans, l’ex-président Olusegun Obasanjo reste, douze ans après la fin de son mandat, l’un des ardents défenseurs du potentiel de son pays. Quand on l’interroge sur la venue de compagnies étrangères, il répond avec enthousiasme : « Plus on est de fous, plus on rit ! » Conscient des difficultés, il poursuit : « J’implore les entreprises qui voudraient partir de ne pas le faire. Même si elles subissent des revers, elles doivent rester, ces échecs ne sont que temporaires. Avec nos quelque 200 millions d’habitants, tout effort commercial au Nigeria est voué au succès. »
Sur le long terme, peut-être. Mais quand les difficultés s’accumulent, il peut sembler sage de se retirer. C’est le choix qu’ont fait certaines des plus importantes sociétés sud-africaines entrées au Nigeria ces dernières années : la chaîne de magasins d’alimentation Woolworths en 2013, l’industriel agroalimentaire Tiger Brands en 2016 ou le groupe hôtelier Sun International à la fin de 2018.
« Les entreprises sud-africaines affichent un bilan mitigé au Nigeria », analyse Ronak Gopaldas, directeur chez Signal Risk, une société de conseil basée au Cap. « L’entrée de Woolworths, par exemple, a été désastreuse », poursuit-il. Woolworths a justifié son départ, deux ans seulement après y avoir fait une entrée fracassante, par ses charges locatives et fiscales élevées, et par la gestion difficile des chaînes d’approvisionnement. La compagnie n’aura pas su s’adapter.
De Lagos à Abuja en passant par Port Harcourt, les obstacles à une installation réussie restent nombreux. Les entreprises étrangères doivent faire face à des infrastructures défaillantes, une corruption endémique, une devise instable et des instances de régulation qui versent parfois dans l’excès de zèle.
Apprendre des erreurs de leurs prédécesseurs
Ainsi, en août 2018, la Banque centrale a menacé MTN d’un redressement fiscal portant sur 8,13 milliards de dollars. L’opérateur de télécoms était accusé d’avoir rapatrié illégalement ces fonds en Afrique du Sud. Un contentieux finalement réglé à la fin de 2018 pour 53 millions de dollars.
Ce spectaculaire différend, survenu après l’amende record de 2016, n’a en tout cas rien arrangé quant à la manière dont le pays est perçu, comme l’explique le Franco-Algérien Sofiane Lahmar, associé au sein du fonds britannique Development Partners International (DPI), spécialisé sur l’Afrique et présent au Nigeria : « De telles actions contre certains grands groupes étrangers sont inquiétantes. »
Nous nous devons d’être présents sur le premier marché du continent. Mais la compétition y est rude.
Nombreuses pourtant sont les sociétés qui restent attachées à leur projet d’implantation au Nigeria. Tâchant d’apprendre des erreurs de leurs prédécesseurs, elles adaptent leur stratégie aux spécificités du marché. La politique protectionniste du Nigeria joue parfois le rôle d’accélérateur.
Privé de débouchés par Lagos, qui a interdit les importations de NPK, un fertilisant à base de phosphate, OCP, numéro un mondial des phosphates fait contre mauvaise fortune bon cœur et entend investir dans un premier temps 20 millions de dollars dans la construction de deux mélangeurs pour produire de l’engrais localement.
Exceptions douanières au sein de la Cedeao
Pour sa part, Absa (ex-Barclays Africa Group) mise sur une progression à petits pas. Présente au Nigeria depuis environ dix ans, elle n’envisage que maintenant d’étendre ses activités au-delà du marché de capitaux. « Nous y observons une approche très prudente, confie Hasnen Varawalla, coprésident des opérations bancaires du groupe. En tant que banque panafricaine, nous nous devons d’être présents sur le premier marché du continent. Mais la compétition y est rude. Il est important d’y croître par étapes, au fur et à mesure que nous affinons notre connaissance du pays. »
En la matière, les entreprises des pays de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) bénéficient des exceptions douanières de cette zone de libre-échange. Quand Patisen est arrivé au Nigeria, en 2016, il a fait le choix d’importer ses produits du Sénégal plutôt que de les fabriquer sur place. Il évite ainsi par exemple les dépenses liées à l’usage de générateurs diesel, le réseau électrique nigérian étant peu fiable.
Patisen a fait appel à un manager nigérian, Abidemi Muraina, pour conduire son projet. Celui-ci explique que l’emploi d’une main-d’œuvre locale permet au groupe francophone de surmonter la barrière de la langue. « Pour avoir une vue d’ensemble du Nigeria il faut y avoir passé des années, en comprendre la culture et le milieu des affaires », indique-t-il.
Acquisition ou ouverture d’usine ?
Et le pari se révèle plutôt gagnant. Le chiffre d’affaires de Patisen au Nigeria a doublé l’année dernière, et il devrait réitérer cette performance en 2019 pour atteindre 30 millions de dollars ! Malgré la concurrence féroce de la société sud-africaine Promasidor, des multinationales Nestlé et Unilever ou de nombreuses entreprises nigérianes, la société sénégalaise de produits d’épicerie y trouve son compte grâce à la forte poussée démographique, analyse Abidemi Muraina.
>>> À LIRE – Agroalimentaire : comment Patisen se mijote un destin continental
Dolidol rêve d’un destin similaire. Pour arriver à ses fins, la société marocaine a choisi de s’associer au fonds DPI, qui est l’actionnaire principal de Chicken Republic, une chaîne de restauration à succès au Nigeria. En prenant un ticket de 20 % dans Dolidol pour 30 millions de dollars fin 2018, DPI a donné à l’industriel les capitaux nécessaires à son expansion, mais pas seulement.
« La valeur ajoutée que nous pouvons apporter est très importante : nous avons non seulement la connaissance du terrain, mais surtout l’expérience d’avoir déjà investi dans un acteur de cette économie », précise Sofiane Lahmar, qui s’est rendu au Nigeria avec des cadres de Dolidol.
D’autres sociétés du portefeuille du fonds DPI, comme CMGP, une compagnie marocaine d’irrigation, ou Egic, un fabricant égyptien de plomberie, envisagent aussi de s’implanter au Nigeria. Ces deux acteurs ont une approche ouverte à l’égard des modalités d’entrée, par exemple l’acquisition d’une société nigériane ou, tâche plus ardue, l’ouverture d’une usine. Dans le premier cas de figure, leur arrivée au Nigeria pourrait avoir lieu dès cette année, indique Sofiane Lahmar.
La crainte de nouveaux désordres monétaires ?
Pour sa part, mSurvey s’est installé à Lagos au début de 2018. Son pari ? Aider les sociétés étrangères à mieux saisir les attentes des différents types de consommateurs nigérians par ses enquêtes. L’institut espère ainsi transformer un défi majeur de ce marché – sa diversité extrême – en une opportunité commerciale.
« On ne peut pas faire de copier-coller au Nigeria », résume Kenfield Griffith, directeur général de mSurvey, qui juge que des entreprises comme Woolworths auraient connu davantage de succès si elles avaient eu recours à ce genre de services.
Des difficultés, il y en a encore dans ce pays classé 146e sur 190 dans le dernier classement « Doing Business » de la Banque mondiale. Si les réseaux électriques et de transport sont un des chantiers prioritaires du pouvoir, ces infrastructures restent largement en deçà des besoins, et freinent l’essor du Nigeria.
Les gens disent que le Nigeria est difficile, mais tous les marchés le sont si on ne les comprend pas
Il faut parfois deux semaines aux produits importés par Patisen pour être acheminés du port de Lagos aux entrepôts de la ville, tant le premier est engorgé. Et même sur l’île Victoria, le quartier d’affaires de Lagos où sont installées de nombreuses sociétés étrangères, les coupures de courant sont fréquentes. Une nouvelle dévaluation du naira, redoutée par certains économistes, pourrait constituer un casse-tête supplémentaire.
Volonté de développement hors pétrole
Cela étant, la lente remontée des prix du pétrole, après qu’ils sont tombés à leur niveau le plus bas en quinze ans au début de 2016, a permis de réinjecter des dollars dans l’économie, qui dépend à 95 % de l’or noir pour ses exportations. De quoi faciliter les importations et le rapatriement de dividendes pour les sociétés étrangères.
Quant à la réélection, à la fin de février 2019, pour un mandat de quatre ans du président Muhammadu Buhari, 76 ans, elle garantit une certaine stabilité à la politique économique et une volonté de développement hors pétrole dans les infrastructures, l’agriculture, l’industrie ou le numérique à travers la stratégie de l’Economic Recovery and Growth Plan.
« Les gens disent que le Nigeria est difficile, mais tous les marchés le sont si on ne les comprend pas, résume l’homme d’affaires nigérian Arnold Ekpe, ancien directeur général d’Ecobank. Si on est prêt à y investir sur le long terme et à faire l’effort d’en comprendre les particularités, c’est un marché profitable. »
Un avis partagé par MTN. Malgré ses déboires judiciaires, l’opérateur n’a aucune intention de quitter le pays. Après tout, c’est sa percée au Nigeria qui lui a permis de devancer son principal rival, le sud-africain Vodacom.
Un risque à prendre
Et MTN est loin d’être la seule entreprise à avoir gagné en compétitivité en ayant bravé les dangers de ce marché. Ainsi, grâce à son implantation au Nigeria, l’école de commerce sud-africaine Regenesys s’est fortement développée ces dernières années, tandis que sa compatriote, l’université de Stellenbosch, dont la stratégie est plus réservée, n’a pas voulu s’y lancer. Au grand dam de son directeur commercial, Adetoyese Abioye, qui estime que le choix du Nigeria finit souvent par payer.
>>> À LIRE – Nigeria : au lendemain de son introduction en bourse, MTN emprunte 500 millions d’euros
Quant à la zone franche de Lekki, si décriée par Giles Pendleton en 2012, elle a su attirer des sociétés étrangères et a même recueilli l’appui d’Aliko Dangote, première fortune d’Afrique, qui y fait construire la plus grande raffinerie de pétrole au monde. Contrairement à la prévision de l’ancien cadre de Liberty, il aura fallu bien moins de vingt ans pour voir éclore ce projet. Encore fallait-il prendre le risque…
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