Égypte : Elsewedy Electric, la diversification sans frein

Deux ans après le choc de la dévaluation de la livre égyptienne, la stratégie du fabricant de câbles Elsewedy Electric paie.

Le siège social de la compagnie, au/Caire. © DR/EL SEWEDY

Le siège social de la compagnie, au/Caire. © DR/EL SEWEDY

Publié le 25 juin 2019 Lecture : 6 minutes.

Le 28 janvier 2019, lors de la visite du président français, Emmanuel Macron, au Caire, les flashs crépitent. Sur la photo, le directeur des relations internationales d’Elsewedy Electric signe un accord avec le PDG français de Montagne et Neige Développement Group (MND Group), Xavier Gallot-Lavallée, « particulièrement fier » de nouer une nouvelle alliance avec le leader des câbles en Afrique et au Moyen-Orient, qui exporte dans près de 110 pays.

Elsewedy Electric a vu dans cette PME spécialiste des câbles téléphériques qui emploie près de 400 personnes une opportunité de créer de nouveaux marchés dans le transport par câble. Une technologie qui a de quoi séduire de nombreuses villes en pleine expansion dans la région et qui manquent encore de transports collectifs. Alors atteindra-t-on un jour le plateau des pyramides de Gizeh en remontée mécanique ?

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Ce nouveau partenariat illustre bien la volonté du géant égyptien de poursuivre sa diversification. Les câbles de transport sont la seule corde qui manquait encore à son arc, qui va de l’automobile aux télécommunications, en passant par l’énergie.

Solutions intégrées

Coté à la Bourse égyptienne, Elsewedy Electric est l’exemple même de la société qui a réussi à s’intégrer au marché mondial sans s’éloigner du giron familial et du pays qui l’a vu naître il y a quatre-vingts ans. Transmis de père en fils, Elsewedy Electric est non seulement devenu numéro un des câbles d’énergie et télécoms en Égypte, où il possède neuf usines, mais il s’est aussi implanté avec succès dans 25 pays et compte près de 14 000 employés dans le monde entier. Si son chiffre d’affaires de 2018 accuse un léger fléchissement de 1 % par rapport à l’année précédente, il a enregistré une croissance de 12 % lors de son dernier trimestre, ce qui lui a permis de terminer l’année sans aucune dette.

Devenu le plus gros fabriquant de câbles de la région, Elsewedy Electric réalise 55 % de son chiffre d’affaires grâce à cette production en Égypte et dans une dizaine d’autres pays. Mais s’il reste son cœur de métier, le câble n’est plus son principal vecteur de croissance. Depuis qu’elle s’est lancée, en 2002, à la conquête du continent, l’entreprise a changé de dimension. Son ambition est désormais de devenir un fournisseur de solutions intégrées développant, équipant et gérant des réseaux électriques à l’échelle d’un pays ou d’une région.

Le groupe a déjà développé une dizaine d’installations clés en main en Angola, au Ghana ou en Mauritanie, où il a livré des sous-stations électriques en même temps que les lignes de transmission. « Nous prévoyons de doubler le nombre de ces projets intégrés dans les cinq prochaines années. En produisant tout de A à Z, du câble à l’ingénierie, nous disposons d’un avantage compétitif solide », assure Tarek Wahby, chef du bureau commercial Afrique d’Elsewedy Electric.

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Des projets d’implantation en Amérique latine et en Asie

Pour autant, il n’est pas question de changement de cap radical. La compagnie veut continuer d’avancer sur plusieurs fronts en implantant sur le continent des usines ou en vendant des transformateurs (comme au Nigeria, en Éthiopie ou en Zambie) et en achetant des terrains pour les convertir en parcs industriels. Dans ces deux domaines, ses études de marché la poussent à miser sur l’Ouganda, dont la croissance de 6 % en 2018 est l’une des plus fortes du continent et qui manque de grandes infrastructures.

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À l’export, Elsewedy Electric est là encore à un tournant stratégique de son développement. Alors que 50 % de sa production est achetée localement en Égypte, principalement par l’État et ses sociétés publiques, la société envisage de s’implanter en Amérique latine et en Asie.

La méthode est la même qu’en Afrique : ne pas se focaliser sur un seul segment d’activité mais combler les lacunes de chaque pays. Ceci en privilégiant le secteur de l’énergie, dont les prévisions de croissance dépassent celles des télécommunications. C’est ainsi qu’Elsewedy Electric a pu devenir le premier producteur de câbles et de transformateurs en Algérie en s’y installant en pionnier en 2002. Cette position lui a permis de s’imposer sur toute la chaîne de production et de distribution énergétique et de participer à des chantiers d’envergure comme l’aéroport ou le métro d’Alger.

Une bonne résistance face aux importations indiennes, chinoises ou turques

Si Elsewedy Electric réfléchit à la construction de nouvelles unités de production en Asie, c’est aussi pour regagner des marchés d’export, notamment en Afrique, où la concurrence chinoise sur les prix est rude. En matière de compétitivité, les certifications internationales de ses produits lui ont permis de résister jusqu’alors.

La dévaluation de la livre égyptienne a également dopé ses ventes en dehors de son marché domestique. Avec une monnaie ayant perdu la moitié de sa valeur, les produits d’Elsewedy Electric sont devenus meilleur marché que les importations indiennes, chinoises ou turques. Sans compter que les accords commerciaux signés par l’Égypte avec le Marché commun de l’Afrique orientale et australe (Comesa) et l’Union européenne lui donnent un accès privilégié à ces marchés. De quoi contrebalancer l’augmentation du cours du cuivre.

Elsewedy Electric commence également tout juste à prendre le virage des réseaux intelligents (smart grids), en plein développement grâce aux énergies renouvelables. Comme la production d’énergie solaire ou éolienne est par essence intermittente, les réseaux doivent être beaucoup plus sophistiqués et plus décentralisés qu’aujourd’hui afin d’acheminer et de stocker l’électricité selon la demande.

Les défis du renouvelable

Pour l’instant, la société égyptienne se contente de développer des compteurs intelligents pour son marché local de 97 millions d’habitants et pour l’Europe, par l’intermédiaire de sa filiale slovène Iskraemeco, acquise en 2008. « Nous avons pris en compte cette tendance mondiale et nous voulons nous améliorer sur les autres composants des smart grids », précise Tarek Wahby.

En attendant, Elsewedy Electric s’est positionnée comme l’un des investisseurs clés du plus vaste parc solaire du monde, en construction dans le sud de l’Égypte, à Benban. D’ici à la fin de cette année, ses 6 millions de panneaux solaires s’étendront sur près de 37 km² et pourraient alimenter jusqu’à 350 000 habitants en électricité. La production sera gérée par Elsewedy Electric et EDF qui la revendront à la compagnie égyptienne publique d’électricité pour 8,4 cents de dollars par kWh, un prix aligné sur ceux de l’entreprise française dans l’Hexagone.

C’est précisément ce type de partenariat international qu’Elsewedy Electric entend développer pour se faire une place sur le marché du renouvelable. À l’aube de la ruée vers ce nouvel or noir et face à des géants comme Prysmian ou Siemens, Elsewedy Electric fait le pari de l’adaptation progressive sans renier l’image de vendeur de câbles, à l’origine de son succès.

Ahmed El Sewedy, un ingénieur globe-trotter

Ahmed El Sewedy, Président de l’entreprise El Sewedy Electric, au/Caire en 2017. Photo © Ehab Farouk/REUTERS © Ehab Farouk/REUTERS

Ahmed El Sewedy, Président de l’entreprise El Sewedy Electric, au/Caire en 2017. Photo © Ehab Farouk/REUTERS © Ehab Farouk/REUTERS

Quand Ahmed El Sewedy prend la direction des affaires familiales, en 1986, il connaît déjà par cœur la petite société de négoce créée par son père en 1938. Apprenti pendant ses études d’ingénieur en électricité à l’université du Caire, il a peu à peu gravi les échelons. Ce commerce lucratif de câbles est devenu Arab Cables, ou l’industriel numéro un du secteur en Égypte. Mais c’est trop peu pour le jeune Ahmed, qui rêve de nouveaux territoires. En Zambie, au Ghana, mais aussi au Moyen-Orient, il construit des usines à tour de bras. En une dizaine d’années, le groupe passe d’une seule usine à une trentaine de sites.

En le rebaptisant Elsewedy Electric, Ahmed entre dans la cour des grands groupes mondiaux (Prysmian, Nexans…). Il pousse son vaisseau – introduit en Bourse en mai 2006 – à intervenir sur toute la chaîne, de la production à la distribution d’énergie. Aujourd’hui, sa multinationale intervient dans sept secteurs : les câbles donc, les produits électriques, les télécoms, les transformateurs, l’éolien, les installations clés en main (de l’ingénierie à la distribution) et les solutions de gestion énergétique (smart grids). Ce globe-trotter préside les conseils égyptiens d’affaires avec la Chine, le Liban et l’Éthiopie.

L’effet livre

La dévaluation de la livre égyptienne fin 2016 a eu un effet paradoxal pour Elsewedy, qui réalise une bonne part de ses ventes en dollars ou en euros. En 2017, son chiffre d’affaires en livres a bondi de 74 % tout en sauvegardant ses profits (15 % de marge nette, contre 16 % en 2016). À cela s’est ajoutée la hausse du cours du cuivre.

En 2018, ces leviers n’ont plus joué, et le chiffre d’affaires a stagné à 42,49 milliards de livres (2 milliards d’euros, soit – 1 %) avec 11,7 % de marge nette.

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