RDC : Sylvestre Ilunga Ilunkamba descend dans l’arène
Économiste de renom mais peu connu du grand public, Sylvestre Ilunga Ilunkamba vient de se voir confier, après quatre mois de tractations, la lourde charge de Premier ministre de la RDC.
Qui aurait prédit à Sylvestre Ilunga Ilunkamba qu’il écrirait une nouvelle page de sa vie, sans doute la plus palpitante, à l’âge vénérable de 72 ans ? Ce professeur d’université et haut fonctionnaire avait, jusque-là, réussi une longue carrière à des postes stratégiques en se tenant loin des projecteurs. Le voici projeté sur le devant d’une scène politique congolaise en pleine mutation.
Après cinq années besogneuses à la tête de la Société nationale des chemins de fer du Congo (SNCC), il n’aura que quelques semaines pour se préparer à diriger un gouvernement de coalition coincé entre les deux têtes du nouveau pouvoir : le président Félix Tshisekedi et son prédécesseur, Joseph Kabila, qui a conservé une très large majorité au Parlement.
Les deux hommes auront mis près de quatre mois pour trouver un accord – leur choix a été confirmé lors d’une rencontre discrète, le 13 mai. Et c’est à cette configuration bicéphale inédite que Sylvestre Ilunga Ilunkamba doit sa désignation. Toutes les autres personnalités pressenties – le patron de la Gécamines, Albert Yuma, le ministre des Finances, Henri Yav, ou encore l’ex-conseiller présidentiel en matière de sécurité, Jean Mbuyu – ont été écartées, car trop étroitement associées à l’ancien pouvoir ou trop susceptibles d’acquérir un poids politique propre.
Kabila a toutefois obtenu que ce poste échoie à un homme issu de son ethnie : les Lubas du Katanga (Lubakats). Sages et notables de cette communauté ont été consultés. Deux parmi eux auraient soufflé son nom : Norbert Nkulu, ex-conseiller que Kabila avait nommé juge à la Cour constitutionnelle, et Jean Nyembo Shabani, ancien gouverneur de la Banque centrale du Zaïre.
En poste sous Mobutu
Ce dernier connaît le nouveau Premier ministre depuis les années 1970 : sous l’empire de Mobutu Sese Seko, Ilunga était déjà un haut fonctionnaire en vue. Disciple de l’économiste franco-égyptien Samir Amin, il obtient en 1979 un doctorat en économie à l’université de Kinshasa, où il devient professeur. De cabinets en secrétariats d’État (Économie, Plan, Portefeuille…), il gravit les échelons du gouvernement de Mobutu jusqu’à se voir confier les Finances, en 1991.
Mais le vieux dictateur est déjà en train de perdre pied. Son armée se met à piller entreprises et commerces. Ilunga quitte rapidement ce maroquin et, bientôt, le pays. Il est alors épinglé par la Commission des biens mal acquis de la Conférence nationale souveraine, qui lui demande de rapatrier des avoirs. « Cette commission était partisane et rendait des décisions arbitraires, à tel point qu’elle a finalement été dissoute », justifie aujourd’hui son entourage.
En 1993, il entame une nouvelle carrière dans une Afrique du Sud qui se libère de l’apartheid : il cofonde Refinex, une entreprise d’import-export de métaux au Cap. Il ne reviendra au Congo qu’une décennie plus tard. Kabila, alors jeune président, tente de redresser son pays en coopération avec la communauté internationale. Le FMI et la Banque mondiale exigent la réforme des sociétés publiques déliquescentes. C’est ainsi qu’est créé le Comité de pilotage de la réforme des entreprises du portefeuille de l’État (Copirep), dont Ilunga devient le premier patron.
Ilunga va devoir faire la preuve des qualités qu’on lui prête pour réussir sa délicate mission
À ce poste, il supervise l’ouverture de leur capital et la vente d’actifs de l’État, dont une partie de ceux de la Gécamines. Cette politique, il la mène avec Jeanine Mabunda, sa ministre de tutelle entre 2007 et 2012. Elle-même vient d’être élue à la tête de l’Assemblée nationale. Le tandem est donc sur le point de reprendre du service. Il devrait parachever la réforme des entreprises d’État.
Faut-il faire confiance à Ilunga pour cela ? Son bilan à la tête de la SNCC, où il a été nommé en 2014, est nuancé. Dès l’arrivée au pouvoir de Tshisekedi, en janvier, ses salariés, gonflés d’espoirs, se sont mis en grève pour réclamer leurs arriérés de salaire. L’entourage d’Ilunga reconnaît 17 mois de retard en moyenne. « Mais il faut le comparer avec la situation qu’il a trouvée à son arrivée : il y avait 167 mois d’arriérés ! » plaide l’un de ses proches. Ilunga aura en tout cas réussi à traverser cette période à des postes sensibles sans être mêlé aux affaires. Même le mouvement citoyen la Lucha, qui qualifie sa nomination de « moindre mal », le concède. Pour le camp Tshisekedi, ce fut un critère déterminant.
Réputé discret et consensuel, encarté au Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD, de Joseph Kabila) sans en être un faucon : Ilunga va devoir faire la preuve des qualités qu’on lui prête pour réussir sa délicate mission. La tâche sera d’autant plus difficile qu’il n’aura pas la main sur la formation de son propre gouvernement. Celui-ci fait l’objet de nouvelles négociations entre les deux camps. Au soir de son existence, une nouvelle vie vient de débuter pour Sylvestre Ilunga Ilunkamba. Ce sera sans doute la plus dure.
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