Aérien : pourquoi Camair-Co s’est enfoncé dans la crise

Trésorerie en berne, lignes abandonnées, bisbilles avec le gouvernement… La compagnie aérienne camerounaise Camair-Co, qui vient de licencier son directeur général, peut craindre le pire.

Un avion de la Camair-Co. © Wikimedia Commons

Un avion de la Camair-Co. © Wikimedia Commons

Rémy Darras © Francois Grivelet pour JA

Publié le 3 juin 2019 Lecture : 3 minutes.

L’embellie enregistrée en 2018, tant au niveau du trafic (343 000 passagers, +46 % par rapport à 2017) que du chiffre d’affaires (26,6 milliards de F CFA – 40,5 millions d’euros –, +62 %) aurait pu laisser penser que la Camair-Co était sortie de la crise permanente dont son histoire, faite d’endettement chronique et de valse des dirigeants, est coutumière depuis sa création en 2011.

Mais le remplacement, le 27 mai lors du conseil d’administration, du directeur général, Ernest Dikoum, par Louis-Georges Njipendi Kouotou, jusque-là président du conseil d’administration (PCA), montre qu’elle n’en a pas tout à fait terminé avec ses vieux démons.

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Trésorerie à sec

Depuis le 7 mai, la compagnie n’assure plus que cinq vols domestiques par jour et n’est plus en mesure d’offrir ses sept dessertes régionales (Abidjan, Dakar, Libreville, Ndjamena…), autour desquelles le désormais ex-DG, ancien directeur Afrique de l’Ouest d’Emirates, avait recentré le réseau aux dépens de l’intercontinental, fermant le vol vers Paris pourtant grand pourvoyeur de recettes. Car, comme en attestent ses trois mois d’arriérés de salaires réglés en mai, sa trésorerie est à sec.

De fait, seuls deux appareils (un MA60 d’origine chinoise et un Bombardier Q400) sur les six que comprend sa flotte sont aujourd’hui opérationnels. Ce qui a ramené le chiffre d’affaires mensuel de 2,4 milliards de F CFA à 200 millions. Ayant remisé pour l’instant toutes ses ambitions contenues dans le plan élaboré par Boeing Consulting en 2016, la compagnie doit sans délai réparer ou remplacer les moteurs de ses deux Boeing 737 arrivés en fin de cycle. Le coût est estimé à 8 millions d’euros.

>> À LIRE – Ernest Dikoum, DG de Camair-Co : « À l’avenir, l’aérien pourra s’autofinancer au Cameroun » 

Difficultés budgétaires ou inertie organisée au sommet de l’État ?

Les problèmes de validation des bilans comptables des exercices 2014 à 2018 n’ont pas incité le consortium de banques mené par Ecobank, en dépit des accords passés, à financer le redécollage de la compagnie, ce malgré la présence d’une garantie souveraine. L’État, au fait de ces difficultés, a lui aussi fait la sourde oreille.

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Si certains observateurs évoquent les difficultés budgétaires du Cameroun, d’autres sources proches du dossier parlent plutôt d’une inertie organisée depuis le sommet de l’État. En février, le passage de l’ex-DG dans un talk-show sur la chaîne privée Canal 2 avait agacé en haut lieu. « Il se félicitait de ses résultats. Or, il a investi les milliards gagnés dans des lignes à perte sans provisionner d’argent pour la maintenance. Et il a accusé Yaoundé de ne pas obéir au cahier des charges », déplore un interlocuteur bien informé.

Le gouvernement a affirmé que tant que Dikoum serait là, il ne réinjectera pas d’argent

Le conflit avec la tutelle n’a fait que s’envenimer ces dernières semaines, jusqu’à devenir un conflit de personnes, entre le DG, réputé proche de l’ancien ministre des Transports et de la Défense Edgar Alain Mebe Ngo’o, incarcéré en mars, et le PCA, lui-même fidèle à Ferdinand Ngoh Ngoh, l’influent secrétaire général de la présidence.

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Début mai, par courriers interposés, le DG et son PCA croisaient le fer sur le choix d’un Embraer. « Le gouvernement a affirmé que tant que Dikoum serait là, il ne réinjectera pas d’argent, il y a eu une asphyxie à tous les niveaux », poursuit notre source, même si le ministre des Finances a autorisé le 22 mai un coup de pouce de 1,5 milliard de F CFA. Un audit devrait permettre d’analyser si le taux d’endettement justifie une recapitalisation, une ouverture de capital, voire une liquidation.

Douala attire la concurrence

Alors que Camair-Co s’enfonce dans la crise, la concurrence s’intensifie à Douala, qui voit arriver de nouveaux acteurs depuis un an : Tchadia Airlines, filiale d’Ethiopian, le gabonais Afrijet, Congo Airways et Rwandair. Disposant d’une importante diaspora et d’un marché de fonctionnaires de la Cemac, le Cameroun reste un marché attractif. Même Emirates comptait faire de Douala sa porte d’entrée en Afrique centrale en lançant un Dubai-Douala-Libreville, mais l’État a refusé.

[Exclusif] Afraa : le loupé de Camair-Co

Après Rabat en 2018, c’était au tour de Yaoundé d’accueillir, en novembre, la 51e édition de l’assemblée générale de l’Association des compagnies aériennes africaines (Afraa). Mais la situation critique dans laquelle se trouve la Camair-Co la contraint à renoncer à coorganiser l’événement, indique Jean-Ernest Massena Ngalle Bibehe, le ministre camerounais des Transports, dans une lettre adressée à la direction générale de la compagnie, datée du 17 mai. Selon certains membres de l’Afraa, l’Égypte ou l’Angola seraient les mieux placés pour accueillir la conférence.

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